Jean-Charles Schiltz: «La BCE devra chercher tôt ou tard une porte de sortie.» (Photo: Edmond de Rothschild)

Jean-Charles Schiltz: «La BCE devra chercher tôt ou tard une porte de sortie.» (Photo: Edmond de Rothschild)

Après le statu quo décidé par le conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE), les marchés restent dans l’attente de nouvelles annonces lors des prochaines réunions de politique monétaire. Écartée pour l’instant par le président Mario Draghi, la question d’un éventuel «tapering», pour employer la formule consacrée, reste ouverte.

En effet, la BCE devra chercher tôt ou tard une porte de sortie. Selon certaines rumeurs, la Banque centrale songerait à ajuster sa politique d’assouplissement quantitatif, par exemple en réduisant graduellement le montant de ses achats d’obligations – le fameux «tapering» - à raison de 10 milliards d’euros en moins chaque mois. Selon «des responsables de la Banque centrale» cités par Bloomberg début octobre, cette éventualité n’exclurait pas, dans un premier temps, un prolongement du programme d’intervention au-delà de mars 2017.

Ballon d’essai

Réduction? Prolongement? Ces subtilités confirment au moins les doutes qui règnent toujours au sein de la Banque centrale sur la pérennité et les effets pertinents de cette politique monétaire européenne hyper-accommodante. On se souvient que ces achats «non conventionnels», déjà pratiqués aux États-Unis et au Japon avec des résultats contestables, avaient fait l’objet de vives controverses à Francfort avant leur lancement en mars 2015.

Le ballon d’essai de début octobre confirme aussi la prudence redoublée des banquiers centraux sur ce sujet sensible. Mario Draghi, auteur de la formule devenue célèbre «whatever it takes to save the euro» en juillet 2012, sait mieux que quiconque combien chacune de ses déclarations compte et peut être interprétée par les investisseurs et les marchés financiers comme un signal positif ou négatif.

Montants considérables

Or, les montants en jeu sont considérables. Outre ses opérations de refinancement à long terme (LTRO), la BCE achète chaque mois pas moins de 80 milliards d’euros d’obligations publiques ou privées, soit l’équivalent d’une fois et demie le PIB annuel du Grand-Duché de Luxembourg. Sur un an, cela représente près de 1.000 milliards d’euros, soit l’équivalent de 10% du PIB de la zone euro.

Cette politique expansionniste, dont l’efficacité est loin d’être prouvée, produit certes des effets tangibles, et en particulier sur l’immobilier et les marchés obligataires. Selon une enquête de la BCE auprès des banques commerciales, la croissance de la demande de crédits immobiliers n’a jamais été aussi dynamique depuis 2003. La hausse est sensible dans toute la zone euro, et particulièrement forte en Allemagne et en Espagne. À certains, ceci rappellera de mauvais souvenirs.

Anomalies flagrantes

Mais la BCE et les autres grandes banques centrales, désormais adeptes du «quantitative easing (QE)», ont ainsi gonflé artificiellement et distordu le prix de certains actifs réels et financiers.

Rappelons quelques-unes des anomalies les plus flagrantes. Plus de 10.000 milliards d’euros de dette s’échangent aujourd’hui dans le monde avec des rendements négatifs, y compris celle émise par des entreprises privées. Le mois dernier, Sanofi et Henkel ont émis des emprunts avec des rendements inférieurs à 0%. Ces émetteurs auraient eu tort de ne pas profiter de l’aubaine, mais cela n’a aucun sens pour les investisseurs, censés être au moins rémunérés contre le risque de défaut.

Si le QE affaiblit le secteur bancaire en compressant les marges de crédit, il produit d’autres effets pervers. Aux États-Unis, la même politique, aujourd’hui interrompue, et la compression des taux d’intérêt ont incité les entreprises à s’endetter à bon compte pour racheter leurs actions et augmenter leurs dividendes plutôt que pour investir. Ces pratiques ont soutenu les cours boursiers et gonflé les bénéfices par action.

Valorisations faussées

Dans la zone euro, où la sous-utilisation des capacités de production n’est guère propice non plus à une accélération de l’investissement, on peut redouter le même type de comportement. Par ailleurs, les méthodologies de valorisation des actions fondées sur les taux d’actualisation sont faussées par le niveau nul des taux sans risque. Enfin, cette politique peut inciter les gouvernements de la zone euro à reporter les réformes structurelles qu’ils devraient pourtant prendre à bras-le-corps pour accroître la productivité et améliorer les perspectives de croissance, qui manquent tant à la zone euro.

Marchés plus vulnérables

Ce «tapering» devra donc intervenir à plus ou moins brève échéance, même si le risque ne semble pas immédiat au vu des récentes déclarations officielles de la BCE. Difficile d’en mesurer aujourd’hui les conséquences, compte tenu d’un calendrier très incertain. La publication surprise de la dépêche Bloomberg avait généré une tension brutale sur les rendements obligataires. Le taux du Bund allemand à 10 ans, également sensible aux perspectives de hausse des taux de la FED en décembre, est de nouveau positif. Il ne fait guère de doute qu’un début de retrait de la BCE rendrait les actifs financiers, comme non financiers, plus vulnérables.