La justice luxembourgeoise enquête depuis 2009 sur l'affaire. (Photo: DR)

La justice luxembourgeoise enquête depuis 2009 sur l'affaire. (Photo: DR)

L’avocate du Barreau de Luxembourg, Beatriz Garcia a été arrêté ce mercredi matin dans son appartement par la police luxembourgeoise en vue de son extradition en Espagne dans le cadre d’une enquête judiciaire sur des faits présumés de corruption, blanchiment et faux et usage de faux. Elle a été placée sous mandat de dépôt à Schrassig, sur la base d’un mandat d’arrêt européen délivré par Madrid en attendant son extradition, a expliqué vendredi à paperJam.lu, le porte parole de l’administration judiciaire. La demande d’extradition devrait être exécutée en début de semaine où elle sera alors présentée au juge Pablo Rafael Ruz Guitierrez.

Cette procédure espagnole se greffe sur des faits remontant à 2009 pour lesquels une enquête est toujours en cours à Luxembourg depuis cinq ans.

Contacté par paperJam.lu, Me François Prum, l’avocat de Beatriz Garcia, estime que son arrestation est «un acte démesuré» par rapport au rôle (le montage de sociétés) qu’elle a été amenée à jouer dans cette affaire. Il assure que sa cliente, qui se rend toutes les deux semaines en Espagne, se serait présentée sans problème devant le juge Ruz s’il le lui avait demandé plutôt que lui envoyer un mandat d’arrêt et des policiers luxembourgeois venus l’arrêter à son domicile mercredi 9 juillet.

«Beatriz Garcia va affronter la justice espagnole la tête haute», explique Me Prum. «À aucun moment», dit-il, «elle ne s’est soustraite à la justice. Elle a parfaitement coopéré et reste persuadée d’avoir agi en toute légalité, le montage économico-financier mis en place reposant d’ailleurs sur un ruling de l’administration fiscale luxembourgeoise».

L’affaire dite «Angolagate 2» au cœur des déboires judiciaires de l’avocate du Barreau de Luxembourg porte sur des contrats conclus en 2008 par le gouvernement angolais à une société semi-publique espagnole pour l’acquisition de matériel policier et militaire de seconde main par Luanda. Sa révélation fait suite à la dénonciation d’une banque luxembourgeoise qui va déclencher en 2009 une enquête du parquet luxembourgeois pour abus de biens sociaux présumés lors de montages entre une société luxembourgeois et une autre des Iles vierges britanniques.

Ces montages (légaux) étaient destinés à payer les sous-traitants du contrat angolais et avaient d’ailleurs fait l’objet d’un ruling avec l’Administration des contributions directes pour leur traitement fiscal. Jusqu’ici aucune inculpation n'avaient été prononcées dans le dossier luxembourgeois. Des perquisitions étaient intervenues à l’étude de Me Garcia et dans les locaux d’une fiduciaire avec laquelle l’avocate avait l’habitude de travailler et l’argent qui avait été saisi a été débloqué.

Arrestation abusive

Dans le cadre de cette enquête initiale, le juge d’instruction luxembourgeois lança plusieurs commissions rogatoires internationales pour remonter les flux financiers au départ de la société luxembourgeoise. L’entraide judiciaire fut donc sollicitée à Madrid, qui sur base des informations fournies par le Grand-Duché, ouvrit sa propre enquête pour des faits présumés de corruption en bande organisée, blanchiment de capitaux, délit fiscal et faux et usage de faux auxquels l’avocate luxembourgeoise n’est d’ailleurs pas directement liée.

Beatriz Garcia a-t-elle été la cible du zèle d’un juge espagnol? Me Prum trouve «déplorable et particulièrement déplacé» les gros moyens déployés par le juge d’instruction madrilène, alors qu’une simple convocation en son cabinet «aurait été suivie sans faille». Pour lui, «un recours aussi arbitraire au mandat d’arrêt européen expose tous les professionnels de la Place qui, en toute légalité, conseillent par exemple leurs clients non-résidents à optimiser leurs situations patrimoniales en ayant recours à des montages parfaitement licites, à une arrestation abusive avec extradition vers l’État membre de l’Union européenne requérant».

«La réserve de nationalité n’étant plus à l’ordre du jour», ajoute son défenseur, «les banquiers, avocats, notaires et autres conseillers luxembourgeois, qui lors d’une audition à Luxembourg devraient se retrancher derrière leur secret professionnel, risquent le même sort».

La nièce de son oncle

La presse espagnole, qui a relayé l’affaire cette semaine, ne s’est pas privée en tout cas de mettre sur la table le «pedigree» de Beatriz Garcia qui se trouve être aussi la nièce de Francisco Paesa, l’ancien chef des services secrets espagnols.

Le nom de Beatriz Garcia était apparu en marge de l’enquête parlementaire sur les dysfonctionnements du service de renseignement de l’État luxembourgeois. Le Srel avait en effet tenté d’instrumentaliser la nièce de Paesa, pour en faire un de ses agents, ce que la jeune femme avait refusé, après avoir fait l’objet d’une surveillance rapprochée (ses téléphones étaient sur écoute et ses faits et geste scrutés dans le moindre détail) jusque sur son lieu de vacances en Afrique du Sud par deux agents du Srel opérant sous de faux noms.

En surveillant l’avocate, le Srel avait surtout joué avec des allumettes et était sorti de son rôle de protection des intérêts luxembourgeois pour dériver sur le terrain des intérêts privés. L’enquête parlementaire et les nombreux témoignages avaient en effet démontré que le service de renseignement luxembourgeois avait tenté d’utiliser la nièce de Paesa pour rendre service à un ancien oligarque russe qui avait un litige d’ordre financier avec l’ancien espion espagnol.