Depuis ses études, Yves Nosbusch s’intéresse à la dette publique. Une notion au cœur de l’action du CNFP. (Photo: Anthony Dehez)

Depuis ses études, Yves Nosbusch s’intéresse à la dette publique. Une notion au cœur de l’action du CNFP. (Photo: Anthony Dehez)

Monsieur Nosbusch, le Conseil national des finances publiques (CNFP) vient de rendre un avis important qui concerne l’évaluation des finances publiques. Faut-il s’inquiéter?

«Il faut tout d’abord préciser que cette revue des finances publiques s’appuie sur des règles budgétaires nationales, dont la conformité du solde structurel par rapport à l’objectif à moyen terme (OMT), qui est actuellement de -0,5% du PIB. Le solde structurel représente le solde nominal des administrations publiques – soit les recettes moins les dépenses –, corrigé des effets liés à la conjoncture économique, ainsi que de mesures ponctuelles et temporaires. 

Quels sont les résultats principaux de votre étude?

«Indépendamment de la méthode de calcul retenue, les administrations publiques devraient respecter l’OMT en 2017. En effet, le solde structurel devrait être de l’ordre de 2%. Pour 2018 et 2019, le solde structurel se dégraderait d’environ un point de pourcentage, notamment en raison du solde nominal des administrations publiques. À noter qu’un nouvel OMT sera fixé en avril 2019 pour les années 2020 à 2022, comme le prévoient les règles européennes.

Quels sont les éléments qui expliquent la variation d’un OMT d’un pays par rapport à un autre?

«Les différences s’expliquent par le niveau de dette, la croissance prévue pour les années à venir et les projections sur les coûts liés au vieillissement de la population.  

Comment sont organisées vos missions?

«Nous publions deux rapports détaillés tous les ans. Un premier rapport est produit à l’occasion du programme de stabilité et de croissance (PSC) que le gouvernement doit envoyer à la Commission européenne fin avril. Il s’agit du rapport qui vient d’être publié le 15 juin. L’autre rapport est produit à l’automne dans le contexte de la procédure budgétaire nationale et de la loi de programmation financière pluriannuelle. 

Il y a aussi des constats techniques, deux fois par an, pour vérifier si l’OMT est respecté. En plus de cela, nous venons de publier une évaluation détaillée des prévisions macroéconomiques et budgétaires officielles, et nous avons publié l’année dernière, en octobre, une évaluation de la soutenabilité à long terme des finances publiques.

D’où provenait cette initiative?

«Notre mission légale place l’OMT, à savoir l’objectif à moyen terme, au cœur de notre action. Or, le calcul de l’OMT prend en compte l’évolution à long terme des coûts liés au vieillissement de la population. 

Vous avez donc actualisé ces prévisions. Que disent-elles?

«Nous nous basons sur des projections démographiques d’Eurostat qui ont été revues le 25 mai dernier. Notre analyse de 2017 tenait compte d’une population de 1,14 million en 2060. Les nouvelles projections font état d’une population de 0,99 million en 2060, ce qui aura un impact sur différents paramètres, dont l’OMT à l’avenir.

«La situation favorable actuelle, avec un taux d’endettement nettement inférieur aux recommandations européennes, devrait perdurer sur le court et le moyen terme.»

Yves Nosbusch, président du Conseil national des finances publiques

Quelle est la définition de la soutenabilité des finances publiques?

«On considère que les finances publiques sont soutenables si les administrations publiques sont capables d’assurer le financement de leur dette publique ainsi que l’ensemble de leurs dépenses futures, y compris les dépenses futures liées au vieillissement de la population, avec leurs recettes futures. Le tout sur base d’un horizon à long terme et à politique budgétaire constante. C’est ce point qui est clé: sans faire de changement, ni au niveau des recettes ni au niveau des dépenses. En d’autres termes, on considère que les finances publiques sont soutenables si on peut continuer avec les politiques actuelles. La réforme des pensions de 2012 est intégrée dans notre analyse. Nous avons regardé trois horizons de temps, le court terme, qui est la situation actuelle, le moyen terme, qui correspond à l’horizon 2030, et le long terme vers 2060 et au-delà. 

La manière la plus naturelle de comprendre le problème est de se demander comment va évoluer le ratio de dette publique si on ne change rien au système. Nous constatons que la situation favorable actuelle, avec un taux d’endettement nettement inférieur aux recommandations européennes, devrait perdurer sur le court et le moyen terme. Les défis ne sont pas considérables à cette échelle, mais c’est à partir de 2040 environ que cela commence à devenir inquiétant. 

Ces calculs ne sont-ils pas très sensibles aux hypothèses retenues?

«C’est vrai. Ce que nous avons fait est de nous baser sur les hypothèses officielles dans notre scénario principal, mais nous avons également analysé la sensibilité des résultats aux hypothèses retenues. Quelles que soient les hypothèses retenues, la conclusion est qu’il y a clairement un problème de soutenabilité à long terme.  

Vous évoquez aussi dans le rapport l’indicateur S2. Que recouvre-t-il?

«Il s’agit de cerner l’ajustement budgétaire qu’il serait nécessaire de faire et de le maintenir tous les ans – à partir de l’année prochaine jusqu’à l’infini – pour rendre soutenable notre système. Autrement dit, si on ne veut pas changer d’autres paramètres du système, quels sont les efforts budgétaires permanents qu’il faudrait faire pour que la dette n’aboutisse pas dans une dynamique explosive. D’après les anciennes hypothèses, le S2 pour le Luxembourg était de 5,7 points de % du PIB. Cela voudrait dire qu’il faudrait un surplus budgétaire de l’ordre de 6% du PIB tous les ans pour stabiliser notre dette à long terme. Si vous regardez la décomposition des défis, il s’agit en large partie des pensions, mais aussi de l’assurance-dépendance, les soins de santé contribuent nettement moins.

Les autorités européennes ont-elles établi un seuil en matière de S2?

«Le seuil pour être considéré comme à risque élevé est de 6%. La révision récente des projections démographiques à long terme implique que nous avons désormais franchi ce seuil. D’après les derniers calculs de la Commission européenne sur base d’un horizon de 2070, le S2 se situerait à 8,4 points de % du PIB.

Quelle est votre conclusion?

«À long terme, nous sommes incontestablement confrontés à des défis, et ceci soulève des questions d’équité intergénérationnelle. 

Aviez-vous obtenu une réponse formelle de la part du ministre des Finances l’an dernier?

«Nous n’avions pas eu de réponse formelle, mais le ministre avait réagi dans les médias suite à la publication du rapport. J’avais cru comprendre que notre analyse n’a pas été remise en cause.

En termes de recettes et dépenses pour l’État luxembourgeois, certains éléments sont-ils à surveiller plus que d’autres?

«Nous avions déjà publié dans notre rapport de 2017 une liste de risques. On peut ainsi mentionner le fait que nous soyons une petite économie ouverte où le secteur financier est important. Ce type de risque est plus important au Luxembourg que dans d’autres pays, mais cela peut aller dans les deux sens. Je pense notamment au Brexit, qui pourrait offrir de nouvelles opportunités à la Place à court terme.

Techniquement, la marge de manœuvre du gouvernement pour faire preuve de créativité budgétaire semble réduite compte tenu des engagements à tenir…

«Le court terme montre une marge assez importante en termes de solde structurel par rapport à l’OMT. À plus long terme, il s’agit de garder cette marge de manœuvre, car, en tant que petite économie ouverte avec une activité économique qui est concentrée dans certains secteurs, les chiffres d’activité sont plus volatiles, et cela sera toujours le cas.»

Retrouvez la deuxième partie de cette interview ici.