Le député Gilles Roth, très en forme, a fustigé le projet de loi sur la réforme de la procédure d'échange de renseignements fiscaux. (Photo: Chamber TV)

Le député Gilles Roth, très en forme, a fustigé le projet de loi sur la réforme de la procédure d'échange de renseignements fiscaux. (Photo: Chamber TV)

L’opposition avait sorti mardi toute sa puissance de feu pour tenter de démolir le projet de loi 6680 devant réformer la procédure d’échange de renseignements fiscaux, afin de la mettre en conformité avec les standards dictés par l’OCDE et l’une de ses émanations, le Forum mondial sur la transparence en matière fiscale. Et le CSV, après un an d’opposition, a montré qu’il pouvait devenir offensif même sur des sujets touchant la place financière, qui font normalement le consensus dans la classe politique, quelle que soit sa couleur.

Les conservateurs ont cherché à se différencier en jouant sur la corde de la défense de la sphère privée des clients étrangers faisant l’objet d’investigations de leur fisc. Ils ont invectivé le gouvernement bleu rouge et vert, accusé d'allégeance aux experts du Forum mondial. Le rapporteur du projet de loi, Guy Arendt, DP, avocat et ancien bâtonnier du Barreau de Luxembourg, a eu un peu de mal à rendre son discours crédible, en récitant le nouveau crédo d’une place financière qui affiche une propreté Ariel à toutes les températures.

L'image et la défense

«Il en va de l’image de la Place financière, un centre d’excellence qui doit le rester», déclarait Guy Arendt à la tribune de la Chambre, en félicitant l’approche «proactive» du ministre des Finances Pierre Gramegna pour rendre le Luxembourg «fully compliant» avec les standards du Forum mondial. Pour rappel, le pays avait été recalé à l’examen de conformité en 2013, notamment en raison de l’existence de recours juridiques permettant aux personnes faisant l’objet d’investigations pour fraude fiscale dans leur pays d’origine et dont le fisc sollicite auprès de l’Administration des contributions directes des renseignements au Luxembourg pour lever le secret bancaire, de contester la légitimité de ces demandes de coopération au niveau du Luxembourg. Parce que souvent, les demandes étrangères manquent de «pertinence vraisemblable» et ressemblent davantage à une «fishing expedition». Et que l’intervention des juges administratifs, devant lesquels des recours sont encore possibles, permet parfois de retoquer les demandes de renseignement de l’étranger les plus improbables.

Il est donc indispensable, soutiennent les partisans du système actuel, que le pays requis, en l’occurrence le Luxembourg, garde un certain contrôle sur les demandes des administrations étrangères parfois trop zélées. Et donc que les recours soient maintenus devant les juridictions administratives, alors que la réforme prévoit de les supprimer sous certaines conditions et dans certaines circonstances. Ce qui fait hurler les juristes, au nom des droits de la défense.

Or, comme le soutiennent les ministres des Finances Pierre Gramegna (DP) et de la Justice Felix Braz (Déi Gréng), les fraudeurs du fisc et autres évadés n’ont pas besoin de ces recours au Luxembourg pour contester la pertinence de demandes de renseignement pour des seules questions de procédure. Ils ont la possibilité de le faire au fond dans leur pays d’origine et cette option suffit amplement à protéger leur droit à se défendre.

Le Bettel de 2010 dans le texte

C’est un député CSV Gilles Roth particulièrement en forme qui est monté le premier à la tribune de la Chambre des députés pour s’en prendre à l’abandon du contrôle de la «pertinence vraisemblable» des demandes de renseignements que le Luxembourg faisait en adoptant le projet de loi tel qu’amendé par le ministre des Finances après des oppositions formelles du Conseil d’État. «Le contrôle judiciaire est un principe de base d’un État de droit, or les recours contre des mesures exécutées par l’administration fiscale luxembourgeoise resteront impossibles dans la majorité des cas», s’est plaint le député.

Gilles Roth ne s’est pas privé, inspiré sans doute par le répertoire du Premier ministre Xavier Bettel — dans son discours de présentation du Zukunftspak, il avait cité son prédécesseur Jean-Claude Juncker dans le texte —, de puiser dans les archives de la Chambre des députés de 2010, lorsqu’un jeune parlementaire libéral nommé Xavier Bettel défendait fermement les recours devant les juridictions administratives pour se prémunir contre les éventuels zélateurs des administrations fiscales étrangères traquant la fraude au Luxembourg et les abus de droit.

Gilles Roth a même été jusqu’à citer le nom de la marraine politique de Bettel, Colette Flesch, connue pour être au Luxembourg une des plus fervents défenseurs de l’État de droit. Il n’a pas manqué non plus de rappeler au ministre des Finances Pierre Gramegna la position de la Chambre de commerce, son ancien employeur, sur la suppression des recours juridiques pour mettre en cause au Luxembourg une injonction du directeur de l’Administration des contributions directes pour exécuter aveuglément des demandes de renseignements de ses homologues étrangers. Car l’organisation patronale avait indiqué dans son avis sur le projet de loi que l’abandon des recours constituait un recul en matière de respect des droits de la défense. Parlant de «sacrifice», le député de l’opposition a houspillé le gouvernement Bettel qui se met «à genoux devant le Forum mondial».

Les jeux semblaient toutefois faits d’avance, entre l'image et la procédure. Le projet de loi sur la réforme de la procédure d’échange de renseignements fiscaux a été adopté, par 32 voix pour, 5 contre et 23 abstentions.