Pour Stephen Surpless, «les sources de préoccupations sont nombreuses pour l’évolution des bourses». (Photo: Patricia Pitsch / Maison Moderne)

Pour Stephen Surpless, «les sources de préoccupations sont nombreuses pour l’évolution des bourses». (Photo: Patricia Pitsch / Maison Moderne)

À moins d’une récession économique, nous ne pensons pas que les marges bénéficiaires vont se réduire au cours des 12 à 24 prochains mois, notamment grâce aux progrès de la technologie et aux effets de la mondialisation.

Rivalités commerciales sino-américaines, Iran, Brexit, marchés pétroliers… Les sources de préoccupations sont nombreuses pour l’évolution des bourses, à l’aube de cet été 2019. S’il faut s’y pencher sérieusement, nous devons aussi ne pas perdre de vue les moteurs à long terme des marchés d’actions: les bénéfices (et les marges) des entreprises. Les entreprises cotées sont évaluées par la somme de leurs flux de trésorerie futurs actualisés. Cela contribue à expliquer la volatilité des marchés d’actions, car l’avenir est incertain.

Gestion des coûts

Après une année 2018 particulièrement florissante pour les bénéfices aux États-Unis, les bénéfices américains devraient progresser, selon les prévisions actuelles, d’environ 4% en 2019. Concernant les marchés européens, qui n’ont pas connu une hausse aussi importante, les analystes s’attendent à une croissance légèrement supérieure à celle des États-Unis. Malheureusement, ces mêmes analystes font souvent preuve d’un excès d’optimisme. Il est donc fort possible que les bénéfices diminuent en 2019 par rapport à 2018.

Les bénéfices sont avant tout déterminés par la croissance du chiffre d’affaires, mais aussi par la façon dont les entreprises gèrent leurs coûts. Ces coûts sont composés de différents facteurs, comme le coût d’achat des matériaux, les salaires, les frais d’exploitation et les intérêts, ainsi que les impôts.

Taux d’inflation bas

Depuis le début de la reprise qui a suivi la crise financière de 2008, les marges ont progressé dans l’ensemble des pays développés, grâce à un taux d’inflation bas, au faible coût de financement de la dette et au recul des prix des matières premières, ainsi qu’à la productivité accrue des entreprises grâce à la technologie.

Ces hausses inflationnistes entraînent l’intervention des banques centrales qui mettent fin au cycle économique.
Stephen Surpless

Stephen Surplesssenior portfolio manager Edmond de Rothschild (Europe)

Par conséquent, les acteurs du marché redoutent de plus en plus que les marges aient atteint leur niveau maximum et reviennent à leur moyenne de long terme. Or, une baisse des marges et des bénéfices s’accompagne généralement d’une baisse des marchés d’actions.

Alors, les marges sont-elles condamnées à diminuer? Au cours des cycles précédents, les marges ont généralement diminué, en raison de la hausse de l’inflation (due à différents facteurs tels que les salaires ou les prix des matières premières).

Ces hausses inflationnistes entraînent l’intervention des banques centrales qui mettent fin au cycle économique (ou au cycle bénéficiaire). À cela peuvent s’ajouter des hausses d’impôts ou des charges d’intérêts, dès lors que les changements politiques ou les crises économiques et financières génèrent des coûts plus élevés pour les entreprises et amoindrissent la croissance économique.

Facteurs de maintien des marges

Le cycle actuel est-il différent? Les marchés ont tendance à revenir à des moyennes à long terme, car la plupart des cycles sont normalement déclenchés par des tendances fortes. L’idée la plus dangereuse sur les marchés financiers consiste peut-être à supposer que la période en question est différente de celles qui l’ont précédée. Cela étant, certains facteurs peuvent permettre de maintenir les marges à un niveau élevé (en termes historiques) plus longtemps que lors des précédents cycles économiques. Il s’agit de l’importance croissante de la technologie, en particulier des logiciels, et aussi de la mondialisation de l’économie.

L’économie est de moins en moins axée sur la fabrication de biens et de plus en plus orientée vers les services.
Stephen Surpless

Stephen Surplesssenior portfolio managerEdmond de Rothschild (Europe)

Il n’est pas surprenant que la technologie joue un rôle plus important dans l’économie mondiale en 2019 qu’en 1980, par exemple. Alors que la plupart des matériels technologiques sont soumis à la loi de Moore et que les logiciels offrent sans doute le modèle d’affaires le plus évolutif de l’histoire, les marges bénéficiaires vont augmenter structurellement avec le temps, en supposant que la technologie continue d’investir une part toujours plus grande (un phénomène qui se manifeste clairement aux États-Unis mais aussi en Chine).

La composition de l’indice S&P500 montre que les technologies de l’information constituent aujourd’hui le secteur le plus important, avec 21% du marché, contre 6% seulement en 1990. En outre, l’économie est de moins en moins axée sur la fabrication de biens et de plus en plus orientée vers les services, lesquels confèrent traditionnellement des marges plus élevées à leurs producteurs.

Boucler la boucle

La mondialisation, et toutes les répercussions politiques qu’elle engendre actuellement, a également permis de doper et de maintenir les marges. La main-d’œuvre a moins de pouvoir de négociation et se renouvelle à partir des régions les moins chères du globe – autant de facteurs qui atténuent, voire éliminent la principale menace pesant sur les marges des entreprises, à savoir l’inflation. Partant, les marges devraient rester élevées plus longtemps que lors des cycles précédents.

Cependant, pour boucler la boucle, nous nous devons de mentionner l’impact de la guerre commerciale à ce sujet. De toute évidence, l’un des principaux objectifs politiques de l’administration Trump consiste à limiter ou à réduire la mondialisation en rapatriant des emplois et des activités économiques de Chine vers les États-Unis. Il en résultera un certain nombre d’actifs obsolètes, car les entreprises qui ont investi dans des actifs productifs voient leur valeur diminuer.

Nous croyons que la menace inflationniste a perdu une grande partie de sa puissance, en raison notamment des développements technologiques.
Stephen Surpless

Stephen Surplesssenior portfolio managerEdmond de Rothschild (Europe)

Alors que l’inflation directe des tarifs douaniers actuels et proposés sera modeste (selon l’étude récente la plus influente, l’indice de prix à la production a progressé de 1% en 2018, tandis que la hausse de l’indice des prix à la consommation a atteint 0,1% en 2018, voire 0,5% si toutes les importations chinoises sont soumises à un tarif de 25%), l’impact à long terme porterait sur la restructuration des chaînes logistiques mondiales: les économies auront alors plus de difficultés à se procurer des produits de base à moindre coût et seront donc condamnées à assumer des coûts supérieurs.

En conclusion, nous croyons que la menace inflationniste (l’ennemi traditionnel du cycle de profits) a perdu une grande partie de sa puissance, en raison notamment des développements technologiques. Toutefois, certaines décisions géopolitiques pourraient produire leurs effets sur le long terme. Les entreprises devront alors réagir aux changements du paysage politique qui limiteront leur capacité à maintenir la pression sur les coûts.