Bertrand Schmeler, senior vice president de CBP Quilvest. (Photo: Maison Moderne/archives)

Bertrand Schmeler, senior vice president de CBP Quilvest. (Photo: Maison Moderne/archives)

2021 restera dans les mémoires comme un très bon cru boursier: la hausse de 28,6% de l’indice américain des 500 plus grosses valeurs (S&P 500) a été la sixième plus forte de ces 40 dernières années.

La bonne performance des indices boursiers masque des écarts importants entre les différents marchés, et les gestionnaires d’actifs ont eu fort à faire pour rivaliser avec les performances affichées: aux États-Unis, cinq valeurs (Apple, Alphabet, Microsoft, Nvidia et Tesla) expliquent à elles seules 50% de la hausse de l’indice S&P 500 en 2021. En d’autres termes, les investisseurs ont manqué d’inspiration et concentré leurs paris sur les valeurs vedettes, souvent via des ETF («trackers» répliquant la performance des grands indices mondiaux). Les pays dits développés ont généralement bien performé: l’Europe, notamment (avec 25% de hausse sur les grands indices), a pour une fois fait presque jeu égal avec les États-Unis, alors que les marchés émergents (notamment la Chine et le Brésil) terminaient l’année en baisse.

Les facteurs de soutien aux marchés financiers, qui ont prévalu depuis les 18 derniers mois, vont-ils perdurer en 2022? Quels sont les principaux risques de dérapage des performances cette année?

«Notre scénario reste raisonnablement optimiste. Les conditions de marché actuelles continuent de guider nos investissements vers les marchés actions: une croissance économique mondiale bien supérieure à la moyenne historique, des politiques coordonnées de relance, d’incitations fiscales et d’investissements (infrastructures, énergies vertes, santé), des taux d’intérêt réels (corrigés de l’inflation) très bas par rapport à leur moyenne historique et aux niveaux d’activité, des valorisations – bien qu’historiquement élevées dans certains secteurs – globalement attractives par rapport aux rendements offerts par les autres actifs disponibles à l’investissement (immobilier, obligations, matières premières) et des profits des entreprises en forte progression.

Avec le recul, les performances boursières de 2021 sont finalement un reflet assez fidèle de la hausse des profits des entreprises qui composent les grands indices.

Pour 2022, les risques de correction s’accentuent toutefois: au premier rang desquels demeurent le contexte sanitaire et les incertitudes liées aux ‘variants’. Bien qu’ils nécessitent des mesures restrictives supplémentaires et pèsent sur l’activité et le climat des affaires, on constate toutefois que les nouveaux variants semblent aboutir jusque-là à moins de cas graves. À l’image des populations qui ont appris à vivre avec ce virus, les marchés semblent eux aussi s’en accommoder progressivement et vouloir regarder en direction des politiques de soutien à l’activité qui prévalent.

Le risque central pour 2022 est sans nul doute celui d’un retour de l’inflation et d’un resserrement trop abrupt des taux d’intérêt: un changement important des conditions de liquidités entraînerait de fortes corrections du prix des actifs financiers et réels (private equity, immobilier).

Les chiffres actuels d’inflation n’en finissent plus de battre des records, et certaines prévisions alarmistes laissent craindre un retour permanent de la hausse des prix et un ajustement nécessaire des taux d’intérêt. Notre lecture diffère de cette perception: selon nos économistes, les forts taux d’inflation actuels sont largement dus à des comparaisons par rapport à des mesures réalisées en plein cœur de la pandémie (au moment où l’activité économique mondiale était encore quasiment à l’arrêt) et constituent le contrecoup d’une activité économique qui redémarre lentement. À titre d’exemple, la fabrication de nouveaux véhicules étant actuellement fortement ralentie, le prix des automobiles d’occasion a bondi de 20% aux États-Unis en 2021. Selon nos estimations, la comparaison historique avec les périodes de guerre nous semble pertinente: arrêt brutal de l’activité dans de nombreux secteurs, pénurie de biens et de main-d’œuvre, puis redémarrage progressif de l’économie. Les observations passées nous montrent que les fortes hausses de prix observées au moment du redémarrage se normalisent au bout de deux ans en moyenne. Ainsi, les chiffres d’inflation devraient commencer à décélérer dans la deuxième moitié de 2022 et revenir progressivement aux niveaux d’avant-crise. Il faut garder à l’esprit que les facteurs désinflationnistes qui existaient avant la crise (baisse des coûts liée au progrès technique, concurrence des pays à bas prix, partage des profits en faveur des entreprises et au détriment des salariés) demeurent largement.

Dans ce contexte, les hausses de taux attendues par la Banque centrale américaine (Fed) devraient rester limitées – les marchés anticipent actuellement les taux directeurs en USD autour de 1% à fin 2022 – et en tout cas ‘accommodantes’ par rapport au niveau d’activité et d’inflation. La Fed nous semble vouloir continuer à accompagner cette reprise, plutôt que de vouloir préventivement anéantir tout risque de dérapage de l’inflation. Les rendements obligataires à long terme (10 ans) ne devraient pas s’installer bien au-delà de 2%, restant un facteur de soutien structurel aux marchés actions. Les autres grandes banques centrales en Europe, au Japon et en Chine devraient quant à elles maintenir leurs taux très bas, préoccupées par un niveau d’activité toujours faible dans leur région.

Dans un tel scénario, nous continuons de privilégier les investissements en actions, avec toutefois un degré d’engagement moins élevé qu’au cours des deux précédentes années. En Europe, nos préférences vont vers les secteurs qui accompagnent la reprise mondiale: les banques, les valeurs industrielles, les valeurs liées à la transition écologique; aux États-Unis, une fois l’ajustement à la hausse des taux d’intérêt réalisé, nous reviendrons sur le secteur de la technologie, synonyme de forte croissance et de transition vers une économie plus ‘digitalisée’.»