François Trausch gère un portefeuille de plus de 70 millions d’euros dans l’immobilier chez Allianz Real Estate. (Photo: Hervé Thouroude)

François Trausch gère un portefeuille de plus de 70 millions d’euros dans l’immobilier chez Allianz Real Estate. (Photo: Hervé Thouroude)

Pour s’occuper de son portefeuille immobilier, l’assureur Allianz compte sur son propre gestionnaire d’actifs: Allianz Real Estate. Une branche que pilote le Franco-Luxembourgeois François Trausch. Il détaille sa stratégie d’investissement.

Allianz, assureur international basé en ­Allemagne, possède une entité dédiée à l’investissement dans l’immobilier. Pourquoi?

François Trausch. – «Une compagnie d’assurances investit généralement dans le domaine obligataire, un peu dans les actions et dans le secteur alternatif qui offre des rendements plus élevés (l’immobilier en fait partie, ndlr). Pour une compagnie d’assurances qui doit adosser ses actifs par rapport à son passif, avoir des actifs à long terme est très attractif. On sait que les obligations gouvernementales offrent des rendements faibles ou négatifs. Reste l’immobilier qui offre cette possibilité, puisqu’une fois qu’on détient un immeuble, on peut le détenir aussi longtemps qu’on le souhaite.

Depuis votre arrivée à la tête d’Allianz Real Estate en 2016, vous êtes passés d’environ 40 milliards d’euros d’actifs à 71,5 milliards. Comment?

«Il y avait, de la part d’Allianz, une volonté de faire croître ce secteur dans le cadre de sa diversification. Une autre explication vient simplement de l’évolution du secteur immobilier, beaucoup plus liquide et transparent, qui est devenu une véritable classe d’actifs, prisée par les institutionnels et les family offices (gestionnaires de grandes fortunes, ndlr). Tout cela s’est fait dans un environnement de taux d’intérêt bas.

Je me souviens très clairement d’une discussion que j’ai eue avec Allianz quand je suis arrivé. Je leur ai dit: ‘je pense que c’est une très bonne stratégie d’augmenter votre présence dans l’immobilier, mais ne me demandez pas d’acheter encore un immeuble de bureaux en Allemagne’. Nous nous sommes mis d’accord sur le fait qu’une bonne façon de croître était de le faire en diversifiant les types d’investissements.

Une diversification géographique…

«Allianz avait historiquement une activité très im­portante en Europe. Ils avaient développé un business de grande envergure aux États-Unis. Mais rien en Asie. Nous avons donc monté une équipe à Singapour pour nous positionner sur ce marché en forte croissance. Aujour­d’hui, l’Asie représente 6,6 milliards d’euros.

… mais aussi selon le type d’actifs…

«Les compagnies d’assurances ont toujours investi dans le bureau. Chez Allianz, nous nous sommes diversifiés dans des classes d’actifs alternatives à l’intérieur de l’immobilier, par exemple les résidences étudiantes et la logistique. Cela demande, avant de se lancer, de construire l’expertise, faire venir des spécialistes de ces secteurs.

Ils sont très globaux. Si je prends les résidences étudiantes, les trois grands marchés sont l’Angleterre, l’Australie et les États-Unis. En ayant un business en Europe, aux États-Unis et en Asie, nous pouvons couvrir ces opérateurs. Même chose dans la logistique, où les chaînes d’approvisionnement sont globales, donc avoir cette couverture géographique dans trois continents nous a permis d’accélérer notre entrée.

Il y a 20 ans, une compagnie d’assurances avait près de 90% de son patrimoine dans des bureaux. Aujourd’hui, cela représente, pour nous, 52%. Le reste se partage entre le résidentiel (11%), la logistique (12%), les résidences étudiantes (3%), le retail (17%), et d’autres classes d’actifs. Je pense que ce partage ne va pas changer, parce que le bureau reste la fondation du portefeuille à long terme d’un investisseur institutionnel. Les autres classes d’actifs sont là pour amener la diversification.

Concrètement, comment investissez-vous dans l’immobilier?

«De trois façons. La première est d’acheter un immeuble à 100%, pour lequel nous assurons la totalité de la gestion. La majorité de notre portefeuille entre dans cette catégorie. Une autre façon est d’investir avec un partenaire. La troisième est de prendre des investissements dans les fonds d’autres personnes. C’est une activité minoritaire qui représente quand même environ 10 milliards d’euros. Nous le faisons par exemple lorsque ce sont des actifs plus risqués.

Un autre exemple de diversification, au-delà de la géographie et du produit, se trouve dans la façon d’investir. Sur les 71,5 milliards ­d’euros que nous avons aujourd’hui, 50 milliards sont des actifs que nous détenons ou dans lesquels nous détenons des participations. Mais nous avons développé à côté de cela une activité de financement, qui concerne les 21,5 ­milliards restants. Nous sommes comme une banque, nous prêtons à des opérateurs immobiliers, en général à long terme. Avec un avantage sur les banques, qui prêtent mais ne peuvent pas détenir les actifs. Car une compagnie d’assurances peut prêter et, en cas de problème, reprendre la gestion de l’immeuble. Nous ne faisons en général des prêts que sur des im-­meubles que nous aimerions détenir, donc de haute qualité.

On parle d’actifs, mais serait-il possible de savoir combien de biens cela représente?

«Nous détenons plus de 500 biens en Europe.

Quelle place le Luxembourg occupe-t-il dans votre activité?

«Nous avons 400 millions d’euros d’investissement dans quatre immeubles au Luxembourg. Un portefeuille 100% bureaux. L’actif le plus emblématique se trouve à la Cloche d’Or: l’ensemble immobilier Vertigo.

Comment la crise a-t-elle touché vos différentes activités?

«Les taux d’intérêt sont restés extrêmement bas, les gouvernements ont aidé à la prise en charge des coûts de pas mal d’entreprises. La catégorie bureaux a été peu affectée à ce jour. Nos locataires sont des sociétés de taille moyenne ou des grands groupes, qui ont besoin de leur outil de travail, même s’ils l’ont mis en veille durant les périodes de confinement. On n’est pas très loin d’un rendement de 4%, ce que nous visions.

Le marché de la logistique a fortement progressé avec l’essor de l’e-commerce. Le retail est le secteur qui a perdu de la valeur parce que lorsqu’un centre commercial est fermé, les loyers ne rentrent pas. Cela nous a conduits à faire des concessions, voire des remises de loyer. Heureusement, nous nous étions positionnés sur des centres de grande taille, dits premium, qui ont bien performé une fois qu’ils ont pu rouvrir.

Le groupe Allianz a publié des résultats 2020 en baisse. Qu’en est-il du chiffre d’affaires du real estate? Que représente-t-il?

«Nous ne communiquons pas sur le chiffre d’affaires – qui correspondrait à la collecte de loyers. Mais nous faisons en moyenne 4 milliards d’euros d’investissements en acquisition de biens par an, et 5 milliards d’euros en achats indirects, via des fonds ou des prêts.

Nous avons une vingtaine de bureaux à travers le monde, je pense que cette présence d’équipes locales nous a permis de rester actifs sur le marché sans être dépendants de déplacements transfrontaliers (quand les frontières ont été fermées, ndlr).

Le real estate représente 10% des montants investis par Allianz — un pourcentage resté stable malgré la hausse de 40 à 71,5 milliards d’euros. Ce qui montre à quel point les investissements généraux ont continué à croître eux aussi.

Si le télétravail se généralise, ne craignez-vous pas une chute des rendements liés aux bureaux?

«Nous allons sortir du Covid avec plein ­d’inconnues sur les comportements. N’ayant pas de réponse absolue sur le sujet, nous avons fait une étude en dessinant un cercle concen­trique de 5 km autour des centres-villes ou des quartiers d’affaires, où le choix de locataires alternatifs est plus grand, et regardé quel pourcentage de notre patrimoine se trouve à l’intérieur. Pour ceux qui se trouvent à ­l’extérieur, il y a peut-être une réflexion pour les vendre à terme. Mais je pense que les immeubles ­centraux vont plutôt bien s’en sortir.

Les gens ne viendront peut-être pas tous les jours au bureau. Mais à moins de leur imposer de venir certains jours et pas d’autres, ce qui est difficile, il faudra bien faire face au jour où tout le monde pourra se retrouver au bureau, et je pense qu’il faut aussi prendre en compte le besoin de plus de convivialité et de travail collectif en mode projet.

En Asie, tous les employés sont de retour au bureau, car dans les grandes villes, les conditions résidentielles sont relativement étroites. Aux États-Unis, on a eu un certain nombre de mouvements de gens quittant New York pour d’autres villes moyennes. L’Europe est un peu entre les deux. Cela dépend de la situation et de la densité des villes. Il y aura sûrement des ajustements. Mais je reste convaincu que les grandes villes mondiales restent attrayantes pour les talents, et nous continuerons d’investir dans des bureaux ­centraux et très bien placés.

Qu’en est-il du résidentiel? La crise pousse certains citadins vers la campagne…

«Le résidentiel représente 11% de nos encours, 7,6 milliards d’euros. Il a toujours fait partie des investissements des compagnies d’assurances, mais a été un peu délaissé ces dernières années, parce que les investisseurs privés se sont positionnés très fortement. Mais je pense qu’il y a un retour des investisseurs institutionnels dans ce secteur, que ce soit dans le logement social ou dans le résidentiel fait pour la location, avec des services supplémentaires. Nous continuons de nous positionner sur les grands centres urbains.

Quelle stratégie adoptez-vous pour les prochaines années?

«Nos cinq thèmes d’investissement seront, premièrement, l’urbanisation. Un phénomène qui va continuer, notamment en Asie. Ensuite, l’adoption des technologies, avec par exemple les centres de données — une classe d’actifs qui n’existait pas il y a quelques années et sur laquelle nous allons nous positionner. ­L’e-commerce, ce qui veut dire l’investissement dans la logistique. Le développement d’infrastructures supplémentaires. Le Grand-­Duché en est un bon exemple avec les investissements, ces dernières années, dans le tramway, les routes, le train, etc. C’est structurant pour l’immobilier. Le marché de la Cloche d’Or ne serait pas aussi attractif s’il n’était pas destiné à être connecté au tram, par exemple. Enfin, nous restons dans un environnement de taux d’intérêt bas.

Visez-vous de nouveaux territoires?

«Nous allons continuer à développer nos trois pôles, parce qu’ils ont en commun un fort niveau de transparence et de liquidité et, pour l’Asie, une forte croissance. Nous irons un jour dans d’autres parties du monde, mais elles sont encore trop volatiles pour un investisseur institutionnel. Notre prise de risque doit être plus limitée que celle d’un investisseur privé, qui le fait pour son propre compte.

Quels projets au Grand-Duché?

«Le Luxembourg est un pays qui nous ­intéresse, il offre une très grande stabilité. Donc nous continuerons à y regarder les opportunités dans le secteur qui reste le plus liquide: les bureaux. Le logement est trop petit pour nous, géré par des acteurs plus locaux. La logistique représente peut-être un secteur que nous serons appelés à regarder. Le retail n’est pas accessible, les centres commerciaux sont déjà contrôlés.

Quel regard portez-vous sur le Luxembourg, pays où vous êtes né avant de rejoindre la France?

«Qui est intéressé par l’immobilier l’est aussi par l’urbanisme, et j’ai observé un énorme progrès dans l’organisation du pays que j’ai quitté il y a 30 ans. Prenons l’exemple du plateau de Kirchberg. Le Luxembourg a réus­si à transformer ce qui était une autoroute en un quartier urbain, un travail de longue haleine. Un nouveau secteur comme la Cloche d’Or est aussi intéressant: comment construire un quartier à partir de zéro en le connectant au tram.

Le Luxembourg a fait venir un certain nombre d’architectes internationaux. Nous sommes propriétaires à Paris d’un immeuble de bureaux important, City lights, qui a été redéveloppé par Dominique Perrault, celui qui a refait la Cour européenne de justice au Luxembourg.

Mon père était l’historien Gilbert Trausch – qui a écrit la plupart des livres d’histoire du Luxe­mbourg –, décédé il y a trois ans. Donc il y a aussi un autre aspect qui me lie à ce pays à travers l’effort qu’il a fait pour expliquer comment le Luxembourg, qui a reçu son indépendance il y a un peu plus de 150 ans, a réussi à devenir une nation à part entière.

Avec le Brexit, beaucoup d’entreprises ont choisi le Luxembourg.
François Trausch

François TrauschCEOAllianz Real Estate

Le marché de l’immobilier y est tendu, avec un manque de logements et des prix qui grimpent chaque année. Quelle évolution imaginez-vous?

«Je vais mettre de côté le résidentiel, car ce n’est pas un secteur que je connais bien au Luxembourg. Il y a sûrement un besoin de logements, mais dans les secteurs des affaires comme le bureau, il y a deux aspects à vérifier: comment vont se positionner les frontaliers par rapport au télétravail? Cela dépendra des traités entre les pays. L’autre aspect, c’est quels vont être les besoins de l’Union européenne? Je pense qu’il faut observer l’impact de ces deux mouvements sur la demande.

D’un autre côté, avec le Brexit, beaucoup d’entreprises ont choisi le Luxembourg au même titre que Dublin, Paris, Francfort ou Amsterdam comme marché de repli créant une demande de bureaux. Je pense que pour peu que le Luxembourg arrive à produire des bureaux de qualité, il y aura une demande des institutionnels pour continuer à y investir.

Et au niveau mondial, quelles prévisions pour l’investissement immobilier?

«Je pense que les investisseurs institutionnels continueront à voir l’immobilier comme une classe d’actifs nécessaire à côté de l’obligataire et des actions.

Peut-on craindre une bulle immobilière?

«Il n’y a actuellement pas de bulle, parce qu’on a des taux d’intérêt bas. Une bulle est en général créée quand il y a beaucoup d’offres, quand on construit énormément. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Et je dirais que la croissance des loyers a été modérée, ce qui explique pourquoi nous ne voyons pas ce même ­phénomène que nous avons peut-être pu voir dans d’autres cycles.

Et au Luxembourg?

«Encore une fois, je mets de côté le résidentiel. Mais, dans le bureau, la croissance des loyers a été modérée également.

La crise ne crée-t-elle pas des risques d’insolvabilité?

«Je pense que c’est une question qu’on peut se poser au niveau des financements. Mais comme les taux d’intérêt sont bas, l’effort qu’un emprunteur doit faire par rapport au rendement de son immeuble reste relativement faible. C’est très différent d’un moment où les taux étaient élevés. Nous n’avons pas vu beaucoup d’exem­ples d’insolvabilité. Il faut dire que tous les acteurs dans ce secteur, les banques et les assureurs, ont été très disciplinés dans leurs financements. Dans notre cas, nous prêtons rarement au-dessus de 60% de la valeur de l’immeuble et nous nous assurons qu’il y ait un nombre minimum de locataires. Des ­critères que nous mettons en place pour nous assurer que l’emprunteur peut faire face à ses ­remboursements.

Comment vérifiez-vous l’impact de vos actifs sur le plan environnemental?

«Nous faisons partie d’une association qui réunit les grands investisseurs institutionnels, avec laquelle nous avons développé une base de données qui mesure l’empreinte carbone des immeubles et leur consommation énergétique. Nous avons une courbe qui descend chaque année pour arriver à 0 en 2050. ­L’objectif de nos équipes est de s’assurer que l’empreinte carbone des immeubles que nous gérons ou que nous détenons reste à tout moment sous cette courbe. Sinon, il faut engager des travaux. Allianz s’est engagée à réduire son empreinte carbone sur son patrimoine immobilier en investissement de 25% d’ici 2025.

Quelle place accordez-vous au logement abordable?

«C’est un secteur que nous regardons lorsqu’il y a des opportunités. Nous avons fait deux transactions en Allemagne dans le logement social, mais cela dépend des pays. En France, par exemple, c’est plus difficile, parce que le secteur est contrôlé par les institutionnels étatiques ou paraétatiques.

Comment les métiers évoluent-ils dans le real estate?

«Prenons l’exemple de l’asset manager qui gère un immeuble, les locataires, le budget… On peut maintenant capter beaucoup de données dans l’immeuble, et il pourra gérer à la fois le bâti et sa version digitale: comment ­optimiser le flux, gérer la climatisation, etc.

Va-t-on vers des rapprochements entre les acteurs du secteur?

«Il y a sûrement une consolidation dans ce secteur pour ceux qui restent relativement petits. Pour faire une vraie diversification, il faut une certaine assise. Nous avons la chance d’avoir un patrimoine très important.»

Cet article a été rédigé pour  parue le 24 juin 2021.

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