Bruno Colmant: «La crise de 1929 coïncida avec une profonde mutation de l’économie.» (Photo: Degroof Petercam/Archives)

Bruno Colmant: «La crise de 1929 coïncida avec une profonde mutation de l’économie.» (Photo: Degroof Petercam/Archives)

Comme un sourd appel relayé par mille économistes, la crise de 1929 fut probablement le plus grand choc économique de l’histoire contemporaine.

Ce ne fut pas tellement à cause du choc boursier qui ruina la classe moyenne américaine. Pas non plus par la profonde dépression et le désespoir que cette crise entraîna et que «Les Raisins de la colère» de Steinbeck décrivent avec une accablante résignation. Non, il y a avait autre chose: la crise de 1929 consacra la fin d’un monde. Ce fut l’adieu au 19e siècle.

Cette crise fut probablement ressentie par les Américains comme la plus grande trahison qu’un peuple peut éprouver: celle de s’être égaré dans des artifices d’une fragile prospérité boursière.

Pourtant, tout souriait aux États-Unis, devenus la première puissance mondiale. Même si la paix européenne avait été mal signée, les «boys» étaient revenus victorieux des tranchées et la prohibition garantissait que la classe ouvrière serait disciplinée dans la moralité d’une productivité croissante. L’Amérique rentrait dans les temps modernes, ceux d’une économie industrielle qui délaissait la croissance agricole pour mettre les hommes au travail à la chaîne, comme dans  «Les Temps modernes» de Chaplin où un homme est contraint de visser des écrous à un rythme endiablé sur une chaîne de montage accélérée.

En 1929, l’agriculteur quitte les champs pour travailler dans les usines, suscitant un gigantesque exode rural et des famines locales.
Bruno Colmant

Bruno Colmanthead of macro researchDegroof Petercam Bruxelles

Et pourtant, tout s’écroula le 24 octobre 1929. Comment expliquer que le monde de la finance se fissura en quelques jours alors que, justement, l’Amérique se remettait au travail et que le monde allait plus vite?

Il y eut d’abord une bulle spéculative entraînée par des achats d’actions effectués avec un effet de levier, autorisé dès 1926. Entre 1921 et 1929, la production industrielle augmenta de 50% alors que les cours des actions grimpèrent de 300%. En 1929, la conjoncture se retourna brusquement, entraînant l’éclatement de cette bulle, lui-même aggravé par les ventes en panique destinées à honorer les appels de couverture des achats à crédit d’actions. Il faudrait attendre 1954 pour que les cours bourse retrouvent leur niveau de 1929.

Ensuite, tout s’affaissa parce que la crise de 1929 coïncida avec une profonde mutation de l’économie. C’est cette année qu’aux États-Unis, la proportion des hommes travaillant dans l’industrie dépassa le nombre des agriculteurs.

D’ailleurs, les krachs surviennent en anticipation de transitions majeures. Ils correspondent chaque fois à une accélération de l’économie. En 1929, l’agriculteur quitte les champs pour travailler dans les usines, suscitant un gigantesque exode rural et des famines locales.

La crise de 1929 éclata dans un monde marqué par de grands déséquilibres monétaires, résultant de décisions politiques malencontreuses.
Bruno Colmant

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De plus, la crise de 1929 éclata dans un monde marqué par de grands déséquilibres monétaires, résultant de décisions politiques malencontreuses. Les autorités monétaires, prisonnières d’un étalon monétaire métallique, formulèrent une réponse inadéquate à la crise: elles décidèrent de restreindre le crédit, croyant ainsi freiner la spéculation et la chute des cours boursiers. Il s’en dégagea un choc déflationniste, une effrayante poussée de chômage et, plus grave, une contraction des flux de commerce et de la production industrielle.

Enfin, la crise de 1929 consomma la fin d’un monde stable. L’humanité rentrait dans des territoires incertains. Roosevelt comprit l’appel du peuple et formula en 1935 le New Deal, destiné à rééquilibrer le partage des richesses. Mais ce New Deal ne suscita pas l’enthousiasme espéré, car l’esprit pionnier américain s’opposait à une collectivisation des ressources. Ce serait, en 1941, l’entrée des États-Unis dans le fracas de la guerre qui réunirait les Américains sous une même bannière.

La crise de 1929 fut le rappel permanent de la fragilité des richesses fondées sur l’éphémère négoce. Elle fut semblable aux dernières images des «Temps modernes» de Chaplin: le départ, à l’aube, d’un homme ruiné vers un futur indécis, mais plein d’espérance.