Vicky Krieps: «Si jamais, un jour, j’ai l’impression de faire une chose sans être juste, respectueuse, alors, j’arrête de travailler.» (Photo: Patricia Pitsch/Maison Moderne)

Vicky Krieps: «Si jamais, un jour, j’ai l’impression de faire une chose sans être juste, respectueuse, alors, j’arrête de travailler.» (Photo: Patricia Pitsch/Maison Moderne)

Après le succès de «Phantom Thread», la comédienne luxembourgeoise a tourné aux États-Unis, en Allemagne et en France. Elle nous parle dans cette interview de son métier, de son engagement et de sa vie de femme et de mère.

Cet article rédigé par et Céline Coubray est paru dans l’édition mars 2019 du .

Est-ce que la célébrité est parfois lourde à porter?

Vicky Krieps. – «Franchement, je ne me sens pas célèbre du tout. Les gens me laissent tranquille et ne s’intéressent pas à ma vie. La presse people doit me trouver bien ennuyeuse d’avoir une vie si simple... Je réponds aux questions, je n’ai rien à cacher. Les gens qui s’intéressent à moi sont ceux qui sont touchés par mon travail et m’en parlent.

Ce sont ces mêmes valeurs qui influencent vos choix de rôles ou votre manière d’approcher un réalisateur?

«Oui, je pense que ça se tient. Depuis 'Phantom Thread', j’ai refusé presque tout ce qui m’a été proposé par Hollywood, parce que ces projets ne me semblaient pas intéressants. Il y a sûrement d’autres acteurs qui accepteraient ces offres, parce que c’est Hollywood, parce qu’il y a beaucoup d’argent. Je n’ai même pas pris d’agent aux États-Unis. J’aime l’Europe, il y a plein d’histoires à raconter et de jeunes cinéastes intéressants. J’ai reçu plusieurs projets intéressants de réalisateurs français qui viennent vers moi avec des projets artistiques, poétiques ou politiques.

Et on vous fait jouer des Françaises, ou on travaille sur votre accent pour jouer des étrangères?

«Ça dépend, les deux arrivent. Pour l’instant, je joue une Française d’origine polonaise... Mais je ne pense pas que ce soit tellement important. Une fois qu’on est dans le film et qu’on accepte le personnage, les accents importent peu. On vit dans un monde où de plus en plus de gens ont des accents divers, pas forcément identifiables. On parle aussi avec les yeux, et parfois j’ai l’impression que je parle avec la peau.

Avez-vous une démarche active vers les réalisateurs, ou laissez-vous faire vos agents?

«Moi, je ne fais rien, et je demande aussi à mes agents de ne pas trop en faire. Je pense que le bon travail, celui que je dois faire, va venir vers moi spontanément. C’est ce qui s’est passé jusqu’à présent. Ceux qui viennent vers moi sont ceux qui connaissent mon travail et pensent à moi dès le début. Je n’hésite pas non plus à dire 'non' aux projets qui ne m’intéressent pas.

Qu’est-ce qui suscite votre intérêt?

«Les projets commerciaux ou les blockbusters ne m’intéressent pas. Mais comme je n’aime pas parler de ce que je ne connais pas, j’ai quand même essayé d’en faire. J’ai eu quatre jours de tournage dans 'The Girl in the Spider’s Web', une grosse production de studio. Ça m’a suffi! J’ai vu ce que c’était, et c’est exactement ce que je ne veux pas faire.

Je suis sûre que je vais revenir travailler ici, peut-être même vivre au Luxem­bourg.

Vicky KriepsActrice

«Phantom Thread» et «Gutland» sont sortis presque en même temps. Comment vous sentez-vous sur la scène luxembourgeoise?

«Ce n’est pas comme si je ne voulais pas travailler ici, mais le Luxembourg reste assez mystérieux pour moi. Depuis que j’ai quitté le pays après avoir passé mon bac, je ne suis jamais revenue pour une longue période. Et le pays a beaucoup changé depuis. Et comme je n’aime pas l’argent, c’est mal parti. Mais je referais sans hésiter un projet avec Govinda Van Maele, par exemple, ou avec Jeff Desom ou d’autres jeunes cinéastes qui m’intéressent.

Mais c’est vrai aussi que cela est de plus en plus difficile, car on m’offre des projets vraiment intéressants. Je dois faire des choix entre des films qui sont tellement bien faits que c’est dur de trouver des projets au Luxembourg qui puis­sent les détrôner. Mais je suis sûre que je vais revenir travailler ici, peut-être même vivre au Luxem­bourg. C’est juste qu’actuellement, ma vie de famille est ancrée à Berlin.

Au moment du Filmpräis, votre allocution sur les acteurs n’a pas été bien perçue, ou bien interprétée. Pouvez-vous nous repréciser quelle était votre intention?

«J’ai trouvé cela hilarant d’être assise en tant qu’actrice et de voir d’autres collègues acteurs se dé­me­ner sur scène. Je me suis souvenue du nombre de fois où on m’a de­man­dé de faire des cho­ses sur scène à l’impro­viste, simplement pour amuser la galerie. Le travail d’un acteur, dans ces conditions, est très dur. On attend de vous que vous fassiez de la magie, que vous brilliez, et que vous divertissiez tout le mon­de de manière instantanée, alors que c’est quelque chose de difficile à atteindre. On nous laisse seuls face à ce public. C’est cette difficulté du jeu d’acteur que je voulais souligner.

Mais cela a été interprété comme une prise de parole hautaine, disant «moi, maintenant, je suis loin de tout cela»…

«C’est parce que certaines personnes veulent le voir comme cela. Ce sont les lunettes que ces personnes portent pour me regarder qui déforment leur regard, tout comme ces gens doivent penser qu’en ce moment, je fais carrière à Hollywood et que je dîne avec Scorsese… Moi, je sais que je n’ai pas changé. Quand je prends la parole en public, je parle à leur place, je me vois parmi eux.

Ce que je voulais souligner, c’était à quel point le travail d’acteur peut être difficile à faire. Autrefois, les acteurs étaient ceux qui venaient sur la place publique avec leur chariot et à qui on jetait des œufs et des tomates. Mais ils le faisaient quand même, car ils aimaient ce métier.

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C’est aussi ce qui m’a touchée le soir du Filmpräis, de voir ces jeunes acteurs qui se jettent sur scène avec toute leur passion. Si j’ai émis une critique, elle était dirigée contre l’organisation, pas contre les acteurs. Quand j’ai fait 'Phantom Thread', je me suis aussi retrouvée dans cette situation: on m’a demandé de me présenter devant Daniel Day-Lewis, sans rien me dire.

On m’a laissée là, et si je ne m’en étais pas sortie, j’aurais été remplacée. C’est souvent ça, le travail d’acteur. On se met toujours à nu… Et ce soir-là, j’étais tellement sûre de ne pas remporter de prix que je n’avais pas préparé de discours. J’ai parlé de manière instinctive, improvisée.

Quand il s’agit d’un film, comment vous préparez-vous à votre rôle?

«Cela dépend du film, du projet, des partenaires… D’une manière générale, avec ma vie de famille, j’ai très peu de temps. J’ai donc renoncé à avoir de l’ambition, car je n’ai pas la disponibilité pour faire un travail que j’estimerais parfait. Pour moi, la préparation commence souvent dans l’avion pour me rendre sur place. On parle rarement de cela, mais je trouve cela beaucoup plus compliqué de pouvoir faire ce métier en étant mère. Par miracle, j’y arrive toujours. Par exemple, dernièrement, j’ai dû apprendre à parler polonais en deux jours. C’était un grand défi, que j’ai voulu relever la tête haute, comme me l’avait appris mon grand-père.

Pour être tout à fait juste, j’ai une préparation, qui est celle de ne pas être préparée. J’ai une sorte de méditation: j’enlève tout ce que je peux de moi-même, tout ce qui 'est' moi. Je me vide, je deviens 'rien', et si je suis 'rien', alors je suis 'tout'. Comme je deviens 'vide', l’intuition me guide. L’intuition et le scénario, tout comme des éléments extérieurs, des énergies qui viennent lorsqu’on est à l’écoute. C’est une méthode qui est comparable au bouddhisme zen, mais je ne l’ai découverte qu’après coup. Pour cela, il faut oublier sa journée, ses problèmes, son téléphone… et cela demande beaucoup de travail et de la concentration.

C’est une approche que vous avez apprise, ou que vous avez découverte vous-même?

«Je l’ai découverte. C’est comme si j’étais sur une piste et que je suivais une odeur. Je devenais de plus en plus rigoureuse, et c’est ce qui m’a permis de faire face à Daniel Day-Lewis. C’est devenu ma façon de travailler, et c’est comme cela que je veux faire. Je ne peux pas faire autrement, car je ne veux pas faire semblant. Si jamais, un jour, j’ai l’impression de faire une chose sans être juste, respectueuse, alors, j’arrête de travailler. Pour moi, c’est sacré. C’est la chose la plus importante lorsque je fais des films, bien plus que la question d’être vue. Ce qui revient à cette idée de raconter cette expérience de la montagne. Si jamais, un jour, je vends du faux, je ne pourrai plus travailler.

Tout est basé sur la sincérité.

Vicky KriepsActrice

Qu’avez-vous appris auprès des acteurs plus confirmés avec qui vous avez eu l’occasion de travailler?

«De ne pas arrêter de croire en ce qui est au fond de soi, d’oser se mettre à nu. Liv Ullmann m’a dit: 'Director knows that actor knows.' Tout est basé sur la sincérité. Il faut avoir le culot, surtout quand on est jeune et pas encore remarqué, de croire en soi. Ma plus grande peur est celle de sortir d’une salle de cinéma et que tout le monde me montre du doigt parce que je n’ai pas joué sincèrement. Cela reste encore une appréhension, même si, désormais, j’arrive à dompter cette peur.

Quels sont vos projets à venir?

«J’ai tourné un film sur la guerre d’Algérie, et le dernier film de Mia Hansen-Løve, 'Bergman Island', l’histoire d’une femme qui vit en couple avec un cinéaste, comme elle. Tous les deux vont en résidence sur l’île de Bergman, et elle lutte pour exister à côté de son mari, qui est déjà très puissant et reconnu, alors qu’elle est encore jeune et cherche sa place. Je joue aussi dans 'De nos frères blessés', qui est l’adaptation par Hélier Cisterne d’un roman. J’aimerais aussi faire le nouveau film d’Emily Atef, avec qui j’avais tourné précédemment dans 'Trois jours à Quiberon'. Il y a aussi le nouveau projet de Mathieu Amalric.

Est-ce qu’il n’y a que des projets de cinéma?

«C’est très difficile pour moi de faire du théâtre, car c’est difficilement compatible avec la vie de famille. Mais j’aimerais beaucoup en faire.

Quelles sont vos sources d’inspiration?

«La musique. Elle me sauve dans toutes les situations. Je crée des playlists pour les personnages, pour les différents moments du film. J’écoute cela le soir et je suis recalée, je sais où je suis. Ce sont des musiques de toutes les époques et de toutes les cultures.

Passer du côté de la réalisation, cela vous plairait?

«Oui, beaucoup, et je suis presque sûre que je vais le faire, car je n’arrête pas d’écrire. Un jour, il va falloir que je fasse quelque chose avec tout cela. Je pense que ce sera pour un projet au théâtre. Mais je ne suis pas pressée. Et l’art d’être acteur est un art complexe, il y a beaucoup à trouver. Ma recherche n’est pas encore achevée.»