Alexandre Gauthy, macroéconomiste chez Degroof Petercam Luxembourg. (Photo: Patricia Pitsch/Maison Moderne)

Alexandre Gauthy, macroéconomiste chez Degroof Petercam Luxembourg. (Photo: Patricia Pitsch/Maison Moderne)

La nécessité d’épargner pour pouvoir faire face aux imprévus est depuis longtemps ancrée dans les mœurs en Allemagne. Aussi bien le secteur privé que l’État allemand s’efforcent d’économiser. À cette attitude des Allemands envers l’épargne s’ajoute le vieillissement de la population, qui amplifie ce désir et besoin de mettre de côté.

Un peuple vieillissant tend à épargner davantage en vue de constituer un capital suffisant lors de la retraite. Et le contexte actuel des taux d’intérêt faibles peut inciter de manière perverse à augmenter son épargne. En effet, lorsque la rémunération de l’épargne baisse, le montant épargné périodiquement doit croître afin d’atteindre en fin de compte un montant similaire. Ce comportement prudent des Allemands s’observe dans les chiffres.

De manière agrégée, les ménages allemands ont épargné en 2018 près de 11% de leur revenu disponible. Cette donnée s’élevait à 5,10% pour la zone euro dans son ensemble. Cette même année, l’État allemand a dégagé un surplus budgétaire équivalent à 1,80% de la richesse annuelle créée. De premier abord, une épargne élevée peut paraître saine. Cependant, les effets indésirables peuvent être considérables.

En économie, un excès d’épargne d’un pays est équivalent à une balance des comptes courants positive. Ceux-ci mesurent les flux économiques et certains flux financiers avec le reste du monde. Les comptes courants de l’Allemagne affichent un surplus d’à peu près 8% du produit intérieur brut. La majeure partie de ce surplus s’explique par le fait que les exportations de l’Allemagne sont plus élevées que ses importations.

De manière purement domestique, le surplus d’épargne est symptomatique d’un manque d’investissement public et/ou privé. Cette insuffisance peut nuire à la croissance économique future et à la compétitivité du pays.
Alexandre Gauthy

Alexandre GauthymacroéconomisteDegroof Petercam Luxembourg

Vu sous un autre angle, le compte courant excédentaire des Allemands signifie qu’ils produisent plus que ce qu’ils consomment. Cet excès de production à l’échelle nationale est alors exporté au reste du monde. Par conséquent, l’Allemagne est devenue, au fil du temps, un créditeur net important vis-à-vis du reste du monde, son épargne devant être investie à l’étranger. Mais alors, en quoi cela peut-il être considéré comme étant un problème pour elle-même et pour les autres pays?

Premièrement, par définition, ce que l’Allemagne épargne, c’est ce qu’elle ne consomme pas. Or, une partie de la consommation est satisfaite par les importations, et donc constitue de la demande pour les biens produits par d’autres pays. En d’autres termes, le degré important d’épargne de l’Allemagne peut s’avérer être un manque à gagner pour les autres pays. De telle sorte, une augmentation structurelle des dépenses de l’Allemagne, que ce soit au niveau de l’État ou du secteur privé, se traduira par une hausse des importations, ce qui rééquilibrera naturellement la balance commerciale et bénéficiera aux autres pays à travers le commerce extérieur.

De manière purement domestique, le surplus d’épargne est symptomatique d’un manque d’investissement public et/ou privé. Cette insuffisance peut nuire à la croissance économique future et à la compétitivité du pays. Il est vrai que l’Allemagne a, depuis longtemps, sous-investi dans la modernisation de ses infrastructures publiques, son réseau de communication, l’Armée, etc.

Le taux de chômage en Allemagne est beaucoup plus bas que dans les pays du sud de la zone euro, ce qui se traduit par des augmentations salariales plus importantes en Allemagne que dans ces pays.
Alexandre Gauthy

Alexandre GauthymacroéconomisteDegroof Petercam Luxembourg

Pour comprendre la source de la balance commerciale anormalement excédentaire en Allemagne, il convient de se replonger au début des années 2000. En 2003, les réformes Hartz du marché du travail allemand avaient comme objectif de réduire le chômage de longue durée en diminuant les allocations de chômage. Elles ont encouragé le développement d’emplois à rémunération faible en réduisant le chômage des peu-qualifiés. Par conséquent, le coût salarial unitaire en Allemagne a pratiquement stagné durant les années qui ont suivi ces réformes alors qu’il progressait dans les pays du sud de l’Europe, ce qui a drastiquement amélioré la compétitivité de l’Allemagne par rapport à ces pays.

Durant les années qui ont succédé à ces réformes, les exportations allemandes ont augmenté rapidement, et le pays affichait un surplus commercial de plus en plus élevé. Cette hausse du surplus commercial allemand a fortement contribué à l’appréciation de l’euro au début des années 2000, ce qui a aggravé plus tard la crise qui frappait les pays du sud de la zone euro.

C’est alors que se pose la question de savoir ce qui peut être entrepris pour réduire le taux d’épargne allemand. Une augmentation des salaires en Allemagne réduirait la compétitivité relative du pays. Ainsi, la balance commerciale allemande retrouverait un certain équilibre. Ce mécanisme d’ajustement interne est déjà à l’œuvre depuis quelques années. En effet, le taux de chômage en Allemagne est beaucoup plus bas que dans les pays du sud de la zone euro, ce qui se traduit par des augmentations salariales plus importantes en Allemagne que dans ces pays.

La politique monétaire souple de la Banque centrale européenne peut avoir indirectement contribué à réduire l’écart de compétitivité de l’Allemagne vis-à-vis des pays du sud de la zone euro.
Alexandre Gauthy

Alexandre GauthymacroéconomisteDegroof Petercam Luxembourg

La politique monétaire souple de la Banque centrale européenne peut avoir indirectement contribué à réduire l’écart de compétitivité de l’Allemagne vis-à-vis des pays du sud de la zone euro. L’Allemagne étant plus avancée dans le cycle économique que l’Espagne et l’Italie, la politique monétaire souple peut, à juste titre, être plus adaptée à la situation de ces deux pays qu’à celle de l’Allemagne. Dès lors, les pressions haussières sur les salaires sont plus élevées en Allemagne, ce qui réduit progressivement l’écart de compétitivité avec les autres pays de la zone euro où le taux de chômage est plus élevé.

Par ailleurs, l’État peut diminuer son surplus budgétaire en augmentant ses dépenses en nouvelles infrastructures, allocations de chômage, retraites, ou bien en réduisant ses recettes à travers des baisses d’impôts pour les personnes physiques, par exemple. Dans ce dernier cas de figure, si le gain d’impôts dans le chef des ménages est en partie dépensé, l’excès d’épargne de la Nation baissera. De nouvelles dépenses en infrastructures permettraient d’améliorer le potentiel d’activité économique, ce qui peut être opportun à un moment où le coût de financement de la dette est extrêmement faible et les infrastructures vieillissantes.

Si les Allemands se plaignent aujourd’hui des taux d’intérêt pratiquement nuls, leur épargne trop importante peut bien en être l’une des causes.