Sophie Casanova est directrice adjointe de la Recherche économique chez Edmond de Rothschild.   (Photo: Edmond de Rothschild)

Sophie Casanova est directrice adjointe de la Recherche économique chez Edmond de Rothschild.  (Photo: Edmond de Rothschild)

Le 20 janvier, la Banque centrale européenne a maintenu les taux bas. Sophie Casanova, directrice adjointe de la Recherche économique chez Edmond de Rothschild, estime que cette politique accommodante va durer, notamment parce qu’elle est nécessaire d’un point de vue structurel.

Sans surprise, la Banque centrale européenne a opté, lors de sa réunion de janvier 2020, pour le statu quo monétaire, en conservant notamment son taux de dépôt à -0,50%, et le rythme mensuel de ses achats d’actifs à 20 milliards d’euros.

Si elle a pris acte de la réduction des incertitudes internationales suite à la signature de l’accord commercial sino-américain «Phase 1» et qu’elle s’est, par ailleurs, montrée un peu plus confiante, indiquant que les données récentes montraient une stabilisation de la croissance en zone euro et des signes de légère accélération de l’inflation sous-jacente, la BCE n’a pas pour autant modifié ses «forward guidances».

Cela accrédite notre analyse de long terme selon laquelle les taux d’intérêt bas devraient être durablement conservés.

Le maintien d’une politique monétaire extrêmement accommodante est, certes, légitime d’un point de vue conjoncturel, puisque le ralentissement de la croissance mondiale et la persistance d’incertitudes fortes, tant commerciales que géopolitiques, pourraient réduire la capacité de celle-ci à relancer la demande, en particulier l’investissement des entreprises.

Persistance de la fragmentation des marchés financiers

Mais la prorogation de ces mesures exceptionnelles semble surtout aussi nécessaire d’un point de vue structurel, compte tenu de la persistance de la fragmentation des marchés financiers en zone euro. Cette dernière, apparue depuis la crise des finances publiques européennes début 2010, et qui est caractérisée par la faiblesse des flux financiers privés transfrontaliers en zone euro, pourrait altérer, en effet, la transmission efficace et hétérogène de la politique monétaire, comme l’a analysé Mathilde Lemoine, group chief economist du groupe Edmond de Rothschild.

La mise à jour de ses indicateurs d’intégration financière par la BCE, le 20 janvier dernier, a d’ailleurs confirmé que cette fragmentation financière perdure. Elle confirme, en effet, que les banques ont, dans le cadre de leurs activités, un biais domestique et demeurent réticentes à accroître leurs expositions aux autres pays de la zone euro. Ainsi, sur le marché interbancaire, les opérations transfrontalières ne représentaient en 2019 que 39% de l’activité totale de ce marché, ce qui est extrêmement faible au regard de leur part en 2006, qui était de 51%.

On observe un renforcement significatif de la part des opérations effectuées sur les marchés nationaux.

Sophie Casanovadirectrice adjointe de la Recherche économiqueEdmond de Rothschild

De plus, pour les prêts de long terme entre les banques, on observe un renforcement significatif de la part des opérations effectuées sur les marchés nationaux, celle-ci s’élevant à 58,4% au troisième trimestre 2019, quand elle n’était qu’à 48,1% en 2006. Enfin, il en va de même pour les titres obligataires, puisque la part des obligations souveraines et d’entreprises émises dans un autre pays de la zone euro détenue par les banques est passée de 40% début 2006 à 25,5% seulement au troisième trimestre 2019.

Mesures exceptionnelles

Cette fragmentation financière oblige la BCE à devoir compenser l’insuffisance des flux financiers privés via des mesures exceptionnelles d’apport de liquidité à bas coût et d’achats de titres, si elle veut éviter un credit crunch et/ou une brusque remontée des rendements obligataires dans les pays en déficit de liquidité.

Toutefois, malgré ces mesures, la divergence des rythmes de croissance du crédit bancaire aux entreprises entre les pays de la zone euro s’est accrue en 2019 (+6,4% en Allemagne, +6,9% en France, -1,0% en Italie, et -1,2% en Espagne), ce qui montre que la transmission de la politique monétaire n’est pas pour autant devenue uniforme.

La Banque centrale européenne est donc bel et bien dans un corner. Non seulement elle a perdu la maîtrise de sa politique monétaire, mais la fragmentation financière la gêne, car, malgré tout, elle hypothèque sa capacité à atteindre son objectif d’inflation.