Alejandro, chauffeur routier, sur la route en cette période de quarantaine. (Photo: Paperjam)

Alejandro, chauffeur routier, sur la route en cette période de quarantaine. (Photo: Paperjam)

Habituellement l’axe le plus fréquenté d’Europe, l’A31 est surtout emprunté par des camions depuis les restrictions de circulation. Aller-retour le long de cet axe pour un reportage auprès d’Alejandro, de Henricks ou Radu. Sur la route malgré tout.

Alejandro se lave les dents, brosse à dents dans la main droite, bouteille d’eau dans la main gauche. D’un geste «inné», l’Espagnol de 35 ans tend une main… qu’il enfonce aussitôt dans la poche de son pantalon au profit d’un sourire poli.

«Oui, j’ai peur. Évidemment que j’ai peur. Mais j’ai des masques et du gel. Et beaucoup de gel», dit-il en mimant un lavage des mains. «Je viens de Barcelone et je vais à Düsseldorf, livrer des produits chimiques. Je fais attention aux contacts. L’avantage, c’est que l’autoroute est déserte.»

L’aire de Berchem offre un contraste saisissant: une vingtaine de camions, à gauche, font le plein; les pompes pour les particuliers, à droite, sont désertes.

Trois amis belges pique-niquent face aux caisses vides, dans une ambiance lunaire. Indifférents aux restrictions? «Non, pas du tout», glisse la jeune femme, «mais nous étions en vacances tous les trois en Espagne. Alors si nous devions avoir le coronavirus, nous l’aurions déjà. Et tous les trois.»

«Ne prenez pas de photo, s’il vous plaît!», ajoute-t-elle aussitôt en abandonnant son gros sandwich. «Quand on voit les ravages que peuvent faire ces images sur les réseaux sociaux, je n’ai pas envie de me faire lyncher!»

Henricks et Magdalena ont la même exigence. Le couple de Suédois a garé son camping-car correctement. Un autre couple d’amis derrière eux, les deux sexagénaires lisent. «Il faut bien se reposer! À 65 ans, je ne peux pas rouler toute la journée et toute la nuit! Nous rentrons chez nous, évidemment. Nous étions au Portugal. On n’est pas arrivé!»

Radu a la mine des mauvais jours. Café du distributeur en main, le Roumain regarde le McDo de la station fermé. «Je fais mon travail, je roule», dit-il dans un anglais approximatif en se mettant à distance.

Une employée vient en relayer une autre à la boutique. Les chauffeurs cherchent quoi faire à part entrer dans cette boutique où les bouquets de fleurs semblent hors du temps.

Une Tesla de la police est sur l’aire de Berchem, mais dans l’autre sens, où les policiers jettent un œil à qui est garé là. Ce sera la seule présence policière dans cet aller-retour.

À Dudelange aussi, en dehors des pharmacies et des bouchers, les passants sont plutôt rares. À la frontière avec la France, haut lieu du tourisme à la pompe, Total n’a maintenu qu’une seule de ses deux stations-service. Un vieux monsieur remplit des jerricanes, malgré l’interdiction que signale un petit panneau.

À l’intérieur, la caissière ne prend pas tellement de précautions. «Vous savez, on a vu 4.000 personnes ces trois derniers jours, c’est énorme. Si je devais être contaminée, je crois que ce serait déjà fait.» Les bacs à bonbons Haribo ont été scotchés, et un petit panneau indique que la vente au détail est suspendue.

Les stations-service frontalières vont probablement ne plus voir grand monde avant un moment, hormis ceux qui se rendent sur leur lieu de travail au Luxembourg.

Le parking de covoiturage de Veymerange, à côté de Thionville. Plein aux trois quarts. Comme les autres parkings relais de ce type qu’utilisent les frontaliers pour covoiturer. (Photo: Paperjam)

Le parking de covoiturage de Veymerange, à côté de Thionville. Plein aux trois quarts. Comme les autres parkings relais de ce type qu’utilisent les frontaliers pour covoiturer. (Photo: Paperjam)

Ils sont encore nombreux à en juger par la fréquentation des parkings relais où se rejoignent ceux qui font du covoiturage. Pleins à plus de la moitié des places disponibles à Kanfen, à Veymerange et à Terville. 

Signe que les invitations à rester chez soi ne sont pas entendues, ou impossibles à respecter.