Dans un contexte d’inflation élevée et de taux d’intérêt quasi nuls, les actions, même si elles ne sont plus aussi bon marché, restent une voie d’investissement à privilégier, selon Guy Wagner, Administrateur-directeur de BLI – Banque de Luxembourg Investments.

Guy Wagner, nous nous étions quittés cet été avec des marchés financiers en plutôt bonne forme. La tendance actuelle est moins florissante. Cela était-il prévisible?

«C’est toujours facile à dire avec le recul, mais cela est normal. Les marchés ont beaucoup progressé cette année, et c’est le cas depuis le début de la pandémie, fin mars de l’année dernière. Après un certain temps, il est normal que les marchés ralentissent un peu, surtout qu’il y a eu un certain nombre d’éléments venus les perturber au niveau économique, ou encore d’autres raisons, comme les problèmes rencontrés par la société chinoise Evergrande. C’était une bonne occasion pour qu’il y ait cette correction.

Comme cela était craint, les niveaux d’inflation repartent à la hausse, alors que la croissance économique reste faible. C’est le pire scénario possible?

«Ce scénario, que l’on appelle ‘stagflation’ – avec une stagnation économique et une inflation élevée –, est en effet l’un des pires qui pourrait arriver. Nous n’y sommes pas encore cependant, mais il est vrai que les dernières observations vont dans ce sens. Il faut s’en inquiéter, car le rebond de l’inflation est plutôt basé sur des problèmes de chaînes d’approvisionnement et de pénuries au niveau de la main-d’œuvre et des matières premières, c’est-à-dire des pénuries liées à l’offre et non pas à la demande.

Maintenant, la croissance est toujours là, même si les indicateurs sont inférieurs aux attentes. C’est le caractère durable du regain de croissance qu’il va falloir observer de près les prochains temps.

Quelle attitude les banques centrales peuvent-elles, ou doivent-elles, avoir dans la situation actuelle, alors que la flambée des prix de l’énergie vient s’ajouter au contexte difficile?

«Pour l’instant, elles continuent à dire que le rebond de l’inflation est temporaire et elles n’envisagent pas de resserrer leur politique financière ni de remonter les taux d’intérêt avant fin 2022.

Le problème est que, peut-être, la réalité économique pourrait les mettre devant une situation où elles devraient faire un choix qu’elles n’ont pas eu à faire ces dernières années: soit combattre l’inflation, avec toutes les conséquences négatives sur la cohésion sociale, soit continuer à essayer de défendre la croissance, voire les marchés financiers.

Vous mettez en avant, dans votre dernière publication «Perspectives», qui vient de paraître, la fragilité du système financier. Comment en est-on arrivé là?

«C’est un peu la conséquence de ce que l’on a fait depuis 15 ans, voire depuis plus longtemps encore: cette idée qui était que lorsqu’il y a un problème économique ou financier, on baisse les taux. On a ainsi créé un système qui ne s’est jamais nettoyé. Or, quelque chose que l’on n’assainit jamais devient forcément plus fragile. Et c’est la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui.

Cet hyperactivisme des banques centrales s’est fortement accru après la crise financière de 2008. Aujourd’hui, il y a des risques que l’on ne peut même pas identifier, mais qui pourraient apparaître au grand jour s’il devait y avoir une remontée des taux d’intérêt.

Il n’en reste pas moins vrai que, pris sur l’ensemble de l’année, les performances boursières restent très élevées, avec certains records historiques atteints. Cela veut-il dire que, pour ceux qui n’ont pas encore investi sur les marchés actions, il est  désormais trop tard pour espérer pouvoir le faire de manière intéressante et rentable?

«Clairement, les actions ne sont plus bon marché actuellement, avec des multiples de valorisation qui sont très élevés. C’est le point négatif. Mais d’un autre côté, on remarque que pour un investisseur qui tient à préserver son pouvoir d’achat à moyen et long terme, surtout dans un contexte de hausse de l’inflation, c’est encore la meilleure voie.

Car quand on regarde les placements monétaires ou obligataires de qualité, on a actuellement, par exemple, un taux à 10 ans américain autour de 1,6% et une inflation autour de 5%. Les taux réels, ajustés de l’inflation, sont donc largement négatifs. Et dans la zone euro, c’est encore pire. On en revient donc à l’idée que les actions sont aujourd’hui les meilleurs placements par défaut.

Bien sûr, compte tenu des risques des marchés boursiers, il faut être extrêmement sélectif et accepter la volatilité inhérente à chaque placement boursier. Sur les 10 dernières années, un investisseur qui aurait conservé ses avoirs en liquide, sur des placements monétaires, aurait perdu de l’argent, alors que s’il était resté sur les marchés boursiers, même avec des phases difficiles, son pouvoir d’achat aurait été à peu près préservé.

Vous évoquiez au début les déboires du géant de la construction Evergrande. Faut-il craindre un scénario catastrophe à la Lehman Brothers?

«Je ne pense pas. Au contraire, même si on ne sait pas encore quelle sera l’attitude des autorités chinoises par rapport à Evergrande, peut-être voudront-elles éviter de reproduire ce qui avait été fait lors de la faillite de Lehman Brothers. Dans une telle situation de société fortement endettée qui fait faillite, les créanciers et les actionnaires perdent leur argent. C’est la logique du capitalisme: vous cherchez un rendement plus élevé, vous prenez un risque. Si cela fonctionne bien, tant mieux. Sinon, vous perdez votre argent. Ceux qu’il faut protéger, en revanche, ce sont les clients ou les fournisseurs. Or, justement, après Lehman Brothers, ce sont les créanciers et les actionnaires qui ont été protégés en priorité.

Nous terminons toujours cette revue avec un petit mot sur l’or, qui a perdu 7% depuis le début de l’année. Cela veut-il dire que le métal jaune a perdu son statut de valeur refuge idéale?

«Je n’irai pas jusque-là, même si la situation peut étonner. On dit toujours que l’or est un refuge contre l’inflation et la baisse des taux réels aurait aussi dû avoir un effet positif sur l’or. Il faut davantage considérer ce recul comme une consolidation logique après la hausse de près de 20% en 2019 et de 25% l’année dernière. En outre, actuellement, les investisseurs semblent s’intéresser plutôt au pétrole. Alors oui, la performance actuelle de l’or est décevante, mais cela ne signifie pas qu’il a perdu son statut de valeur refuge.»

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