Roman Kräussl, professeur à l’Université du Luxembourg, veut faire progresser la recherche sur les investissements ESG. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Roman Kräussl, professeur à l’Université du Luxembourg, veut faire progresser la recherche sur les investissements ESG. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Roman Kräussl lance un projet de recherche pour établir des indices ESG indépendants des déclarations des entreprises afin de contribuer à une plus grande transparence du marché de la finance durable en différenciant une préoccupation artificielle et une préoccupation réelle pour l’environnement.

Roman Kräussl est professeur de finance à l’Université du Luxembourg et «visiting fellow» à la Hoover Institution de l’Université de Stanford. Il a étudié l’économie à l’Université de Bielefeld et a obtenu son doctorat en économie financière au Center for Financial Studies (CFS) de la Goethe University de Francfort. Il collabore également à l’initiative d’HSBC. Ses recherches portent sur les investissements alternatifs, notamment les fonds de capital-investissement et les infrastructures.

Les problématiques ESG ne sont pas nouvelles pour lui. Il y a un quart de siècle, il a axé une partie de ses études de doctorat sur le développement durable. C’était l’époque de ce qu’on pourrait appeler la première vague de la prise de conscience du problème qui, initiée par le rapport du Club de Rome en 1972, a été confirmée lors de la conférence de la CNUED à Rio de Janeiro en 1992. Depuis, le concept de durabilité a peiné à s’imposer comme un nouveau paradigme socioéconomique.

Pour les réunions de Kyoto en 1997, il a analysé les modèles existants d’échange de droits d’émission de carbone et identifié les conditions minimales du développement durable et a codéveloppé un modèle macro-économétrique, qui incluait la mesure de la consommation d’énergie et de matériaux, et qui était bien adapté pour indiquer le lien entre le développement économique et l’impact environnemental. «Un modèle macroéconomique sans trop de finance dedans.»

«J’ai constaté qu’il y avait un compromis entre la croissance économique et l’emploi, d’une part, et les préoccupations environnementales, d’autre part. Néanmoins, des compromis durables étaient possibles. Il a donc été extrêmement frustrant de constater que, dans les années qui ont suivi, le thème de l’économie durable n’a fait l’objet que de discussions, mais n’a donné lieu qu’à peu d’actions.»

Roman Kräussl prend alors ses distances avec le sujet et se consacre, notamment, à la question du genre dans les marchés financiers. C’est par ce biais ESG qu’il s’est «reconnecté» au sujet du développement durable avec un focus: le blanchiment écologique, ou écoblanchiment des investissements.

Une stratégie de niche

Pour être pertinent en recherche, surtout dans le domaine de la finance durable, il faut se positionner sur une niche, estime l’économiste, «être unique et se pencher sur la grande question dont personne ne s’est encore réellement occupé». Cette question? Le fait que les mesures ESG reposent largement sur les déclarations que font les entreprises. Et c’est sur ces bases que le marché évalue l’exposition des entreprises aux risques et opportunités liés aux facteurs ESG. Un biais intellectuellement insatisfaisant qui est de plus aggravé par l’absence de normes largement acceptées définissant le profil ESG d’une entreprise. Bref, la porte ouverte au marketing, aux dérives, à l’écoblanchiment et au «rating shopping».

«Une note ESG élevée ne suffit pas pour déclarer qu’une entreprise, un fonds d’investissement ou un projet d’infrastructure est vert ou bon», estime Roman Kräussl.

L’objectif est principalement d’identifier l’impact fondamental sur la durabilité d’une entreprise à travers les produits et services qu’elle offre selon les dimensions des 17 Objectifs de développement durable de l’Onu; d’évaluer l’ampleur de la divergence entre les pratiques de durabilité déclarées par les entreprises et les estimations de leur durabilité fondamentale; d’évaluer l’empreinte de durabilité des fonds négociables en bourse. Autrement dit, de fournir un cadre pour l’intégration des mesures de durabilité dans l’évaluation et l’appréciation des risques des actifs cotés et privés.

Pour parvenir à ce résultat, le projet s’appuiera certes sur les rapports financiers et extrafinanciers des entreprises, sur les données de notation standards – avec toutes les réserves évoquées – et des ensembles de données non publiques qui ne reposent pas sur des données autodéclarées, comme celles fournies par la société , qui examine les choses au niveau du produit et qui est capable de déterminer si un produit est plus vert qu’un produit concurrent équivalent. Les autres données proviendraient du secteur académique. Les technologies d’apprentissage automatique seront également utilisées pour affiner l’analyse du véritable potentiel écologique d’une entreprise, d’un fonds ou d’un projet d’infrastructure.

Les travaux seront menés en collaboration avec Denitsa Stefanova de l’Université du Luxembourg.

«Mon objectif est que mes recherches contribuent à une plus grande transparence sur le marché de la finance durable, ce qui permettra de combler le fossé entre les préoccupations artificielles et réelles pour l’environnement», explique Roman Kräussl, qui espère aller plus loin en développant en parallèle un outil d’investissement ESG dynamique. «Grâce à cet outil, un investisseur individuel ou institutionnel pourrait choisir son allocation idéale d’actifs verts, en fonction de la part d’E, S ou G à soutenir, tout en gardant à l’esprit les caractéristiques de risque et de rendement de l’investissement.»

Cette recherche sera un atout pour le pays et la Place, estime-t-il. «Nous travaillons sur un outil qui permettra de désigner la vraie finance durable.»

Cet article est issu de la newsletter Paperjam Finance, le rendez-vous mensuel pour suivre l’actualité financière au Luxembourg.