Pour Corinne Lamesch, la finance durable et responsable est désormais une réalité incontournable. (Photo: Romain Gamba / Maison Moderne)

Pour Corinne Lamesch, la finance durable et responsable est désormais une réalité incontournable. (Photo: Romain Gamba / Maison Moderne)

Présidente de l’Alfi reconduite pour un deuxième mandat, Corinne Lamesch évoque avec nous l’évolution de l’industrie des fonds au Luxembourg et les enjeux qui attendent ses acteurs.

Après avoir traversé une crise inédite, dans une perspective de reprise économique, comment percevez-vous le rôle des fonds d’investissement?

– «Un an et demi après la crise, l’activité des fonds d’investissement s’est maintenue. Nous avons connu une forte instabilité au début de la pandémie, avec un recul de 11 % du volume d’actifs sous gestion au Luxembourg. Puis, les marchés se sont rapidement redressés. Au terme du premier semestre 2021, nous enregistrions 5.488 milliards d’actifs sous gestion au Luxembourg (pour 4.718 milliards au 31 décembre 2019, trois mois avant la crise). Ce résultat s’explique par la bonne performance des marchés, mais pas uniquement. Entre janvier et juin de cette année, nous avons enregistré 171 milliards de souscriptions nettes dans des véhicules luxembourgeois. Si les OPCVM constituent toujours le socle le plus important d’actifs de la classe, on constate un attrait très important pour les produits alternatifs. Et la part la plus importante de la collecte concerne des produits durables.

Comment expliquer que l’industrie résiste si bien, alors que l’avenir de l’économie reste incertain?

«Tout au long de ces mois, nous avons pu continuer à travailler sans interruption. Le télétravail a bien fonctionné. En ce qui concerne le Luxembourg, on peut se féliciter d’avoir une Place très diversifiée, tant au niveau des actifs gérés que de l’origine des promoteurs. Il ne faut pas négliger le rôle des aides mises en place par les banques centrales pour soutenir l’économie, qui ont eu pour effet de garantir la confiance des investisseurs et de ne pas perturber les marchés. Nous n’avons pas assisté à des retraits massifs comme ce fut le cas lors de crises précédentes, dont la cause était le système financier lui-même. Enfin, la crise a conduit à une augmentation importante de l’épargne. Des investisseurs particuliers disposant d’un capital disponible cherchent à placer leurs actifs, à les faire fructifier.

Il nous faut investir dans l’innovation et dans la digitalisation de nos métiers.
Corinne Lamesch

Corinne LameschprésidenteAlfi

Quels sont les principaux enjeux pour l’industrie des fonds dans le cadre de cette relance?

«Le secteur financier est le principal contributeur à l’économie du pays. Rappelons que , et la troisième en Europe. Luxembourg est le premier centre de fonds d’investissement en Europe. La finance emploie localement 50.000 personnes, dont 5.000 rien que pour l’activité liée aux fonds, et elle rapporte annuellement jusqu’à 4 milliards d’euros d’impôts à l’État. Cette contribution, en considérant la croissance que connaît le secteur, doit permettre au pays d’organiser une relance économique plus efficiente.

Plus largement, le métier de la gestion collective doit faciliter l’injection de capitaux détenus par des privés dans l’économie, pour soutenir la relance. À ce titre, l’Union européenne a reconnu l’importance de notre secteur pour financer l’économie, créer des emplois. Pour notre métier, cela représente de nombreuses opportunités.

Lesquelles?

«La crise nous a confortés dans les ambitions que nous avions fixées avant le premier confinement. Celles-ci tiennent compte des évolutions de notre société et des grandes thématiques que nous voyons se développer, autour du développement durable, du vieillissement de la population. À ce titre, l’industrie des fonds se positionne comme un catalyseur du changement au service du monde de demain. Ces enjeux sont portés par les fonds alternatifs et durables. Les OPCVM demeurent un élément central de notre développement, grâce à notre capacité à distribuer ces produits dans plus de 70 pays. On constate aussi une demande croissante émanant des pays émergents, auprès desquels d’importants efforts de promotion ont été engagés, pour ces produits très répandus et bénéficiant d’une confiance forte.

L’épargne-retraite et les enjeux de prévoyance constituent un autre enjeu sociétal européen…

«Nous entendons accompagner le développement de produits d’épargne et de retraite (PEPP), tels que définis par l’Union européenne, dans une dynamique de prévoyance. Au regard de l’évolution démographique, la population devra de plus en plus cotiser elle-même pour subvenir à ses besoins financiers futurs, le premier pilier de l’assurance-retraite n’étant plus capable d’y contribuer suffisamment. Luxembourg, avec son expertise, a la possibilité de devenir un centre important d’administration et de distribution de ce produit paneuropéen. C’est à nos yeux un bon outil, capable de collecter l’épargne individuelle et de la mettre au service de l’économie.

Au-delà de cet enjeu, il nous faut aussi investir dans l’innovation et dans la digitalisation de nos métiers. Les nouvelles technologies, comme l’intelligence artificielle ou le registre distribué, conduisant à la tokénisation des actifs, sont de nature à profondément changer le métier. Dans le domaine des cryptos, s’il reste des incertitudes liées à la réglementation, le Luxembourg doit ambitionner de se positionner en pionnier.

À l’heure où une transition écologique et solidaire doit s’opérer, quel sera le rôle des fonds d’investissement?

«La finance durable et responsable est désormais une réalité incontournable et une des réponses aux grands défis à relever. La volonté de la Commission européenne, aujourd’hui, est de mobiliser les actifs et d’orienter les investissements vers des entreprises et des activités durables. De nombreux chantiers réglementaires vont dans ce sens. Cela a commencé avec le règlement sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers (SFDR), applicable depuis le 10 mars dernier, et qui doit conduire à davantage de transparence. Il concerne tous les produits, durables ou non. Si bien qu’aucun gestionnaire ne peut ignorer le sujet. La taxonomie, par ailleurs, va permettre de définir clairement ce qui relève d’une activité durable. Un changement gigantesque s’opère pour amener l’industrie sur cette voie. Le changement s’accélère et va considérablement occuper les acteurs dans les cinq prochaines années. Chacun va devoir s’adapter aux nouvelles exigences en la matière.


Lire aussi


Que représentent les fonds durables aujourd’hui?

«Une étude récente que nous avons menée révèle que, dans l’Union européenne, au 31 décembre 2020, 11 % des actifs étaient gérés au départ de fonds durables, selon la définition qu’en fait Morningstar. En 2020, plus de la moitié (52 %) des souscriptions nettes dans l’Union européenne ont été faites dans ces produits. Cela signifie que c’est un segment qui connaît une croissance plus importante que les autres. Luxembourg est leader européen sur les fonds durables, avec . C’est bien, mais nous ne sommes pas les seuls en Europe à être bien positionnés là-dessus. Les Pays-Bas, les pays scandinaves et la Suisse sont aussi très avancés, avec des gestionnaires ayant un appétit important pour les fonds durables. Le Luxembourg a enregistré 44 % des souscriptions nettes dans des fonds durables en Europe. Selon une autre étude, menée par PwC, 77 % des investisseurs institutionnels affirment qu’en 2022, ils ne considéreront que des fonds ESG. Si l’engagement des acteurs dans les fonds durables constitue une adaptation difficile, complexe, coûteuse, c’est aussi une opportunité extraordinaire.

Comment le Luxembourg, en matière de finance durable, peut-il faire mieux encore?

«Un des grands enjeux réside dans le développement des compétences et des systèmes. Il est nécessaire de faire évoluer l’expertise existante pour répondre aux nouveaux défis. Pour préserver notre compétitivité, il est aussi important de rester agile dans la mise en œuvre des réglementations, en allant vite et en tirant avantage de ce que propose l’Union européenne. Il faut enrichir l’écosystème, faciliter les échanges, notamment à travers les 11 groupes de travail de l’Alfi qui se penchent sur la finance durable. Nous devons aussi travailler à une bonne collaboration entre le public et le privé, avec le gouvernement, le superviseur, la Bourse, la Luxembourg Sustainable Finance Initiative, InFiNe, Luxflag…

Dans un environnement post-crise, et surtout post-Brexit, comment a évolué le jeu de la concurrence entre les Places européennes?

«Suite au Brexit, la concurrence s’est sensiblement renforcée. L’Irlande, les Pays-Bas, l’Allemagne, ou encore la France, révèlent de fortes ambitions. Évoluant sur un marché international, le Luxembourg navigue dans cet environnement concurrentiel. Cela ne nous fait pas peur, au contraire. La concurrence nous oblige à rester vigilants et innovants, à adapter sans cesse notre cadre réglementaire et fiscal afin de rester compétitifs. Dans cette perspective, l’Alfi continue à travailler pour adapter les outils existants en permanence et offrir le panel de solutions le plus complet possible. Nous avons de bons acquis, construits au cours des 40 dernières années, nous pouvons être confiants pour l’avenir.

D’autres défis nous attendent en outre, notamment celui relatif à la pression sur les coûts. Si notre industrie se porte bien, la diminution des marges des acteurs, en raison, notamment, de l’évolution réglementaire, devrait aussi entraîner des mouvements de consolidation dans le futur. Ce sont des enjeux qu’il faudra aussi bien appréhender.»

Cette interview a été publiée à l’origine dans  du magazine Paperjam daté d’octobre, édition parue le 23 septembre 2021.

Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.

Votre entreprise est membre du Paperjam Club? Vous pouvez demander un abonnement à votre nom. Dites-le-nous via