Yannick Schumacher vit aujourd’hui pleinement sa masculinité avec une bonne touche de féminité. Mais il n’en a pas toujours été ainsi.  

«Quand j’étais enfant, les gens dans la rue ou chez les com­merçants m’appelaient souvent ‘mademoiselle’», se souvient Yannick Schumacher. Peut-être était-ce à cause de sa coupe «champignon», de ses yeux bleu clair et de ses longs cils, se demande-t-il. Dès son plus jeune âge, il ressent comme un décalage, une différence qu’il n’identifie pas vraiment au début, bien entendu. «Mes parents ont divorcé quand j’avais huit ans, et mon père est alors sorti de ma vie. C’est ma mère qui m’a élevé et qui a pris soin de moi tout au long de mon enfance. Elle a toujours été à mes côtés, m’a soutenu dans ma personnalité, mes choix et m’a montré que ce que je faisais était bien.» Mais, vers 10-12 ans, Yannick traverse une crise d’identité un peu plus profonde.

«Cette situation me crispait, et j’avais honte de qui j’étais, car je ressentais bien que quelque chose n’allait pas, que je n’étais pas comme les autres garçons de mon âge. Mais ma mère m’a toujours rassuré et réconforté. Elle devait pourtant subir des questions narquoises, comme ‘Et Yannick, il a une petite copine?’» Une manière de dire les choses sans oser les dire directement.

Au lycée, la situation ne s’améliore pas. Yannick se fait régulièrement insulter et subit des réflexions déplacées, y compris de la part des adultes. Il se sent seul et ne rencontre pas d’autres adolescents dans sa situation. «En aucun cas je ne voulais donner raison à ceux qui m’in­sultaient et me montraient du doigt. Je ne voulais pas être gay, et faisais tout pour donner une autre apparence, mais au fond de moi, je sentais bien que j’étais homosexuel et que je ne m’identifiais pas du tout à l’attitude des autres garçons.» 

Je suis un homme, mais j’aime aussi mettre du gloss.

Yannick Schumacher

Avec l’âge, il apprend à accepter qui il est et ne refoule plus son homosexualité et sa ­différence. Ce qui a pour ­con­séquence que certaines personnes l’évitent. «Je n’ai jamais eu d’ami qui me soutienne à 100%, qui soit toujours à mes côtés ou qui prenne ma défense. Je me sentais isolé.» Mais en affirmant qui il est, il se sent désormais libre. Et cette affir­mation a définitivement enlevé les points d’interrogation qu’il lisait autrefois dans les yeux des personnes qu’il rencontrait. Il n’hésite alors plus à porter tous les vêtements qu’il souhaite, y compris des vêtements «de femme», il ose se maquiller, se mettre du vernis sur les ongles. «À la maison, cela ne posait pas de problème. Ma mère m’a toujours dit qu’elle m’aimait tel que je suis.»

Assumer sa féminité

En s’affirmant ainsi, il poursuit ses études et est aujourd’hui graphiste dans le domaine de la presse. Si sa personnalité et sa féminité assumée n’ont jamais posé problème dans son milieu professionnel, il doit bien reconnaître que, dans la vie de tous les jours, il continue d’entendre des chuchotements autour de lui. «Quand j’entre dans un café, je sens bien ces regards qui me dévisagent sans vouloir se faire remarquer, ou les discussions dans lesquelles, tout d’un coup, un geste de la main me désigne ou pointe dans ma direction. Les gens pensent être discrets, mais je vois et entends bien évidemment tout cela.» Parfois, quand il se sent en forme, Yannick s’en amuse et joue un peu la provocation. «Je suis un homme, mais j’aime aussi mettre du vernis, du gloss et de l’eye-liner. Je n’ai pas de double personnalité pour autant. C’est juste que j’en ai envie et que je m’autorise à le faire.»

Mais la différence fait peur et provoque parfois des réactions violentes. «J’ai souvent peur de me faire attaquer. Quand je vois ce qui se passe en Pologne, par exemple, je me dis que cela pourrait arriver jusqu’ici. Il m’est impos­sible d’ignorer ce qui se passe à notre porte. Même si l’homosexualité est acceptée au Luxembourg, certaines choses ne sont pas comprises. Cela se traduit par la fameuse phrase ‘Je ne suis pas contre, mais…’», et l’affirmation d’une masculinité féminine en fait partie. 

Surmonter les difficultés

Pour l’accompagner dans cette acceptation de soi, Yannick rencontre régulièrement une psychologue. «Cela m’apporte beaucoup. J’ai eu une période où je voyais tout en noir, mais aujourd’hui, je sens qu’un changement est en train de s’opérer. Il ne faut pas croire que c’est facile tous les jours. Quand les autres vous renvoient une image négative de vous-même, vous finissez par y croire et vous perdez confiance en vous.» Pour regagner cette confiance, il se force à faire des choses qui lui semblent bien et essaie de se convaincre de son succès. Une posture qui a fonctionné et l’a aidé à retrouver foi en qui il est.

Âgé de 34 ans, Yannick Schumacher fait partie de la génération pour qui internet et les réseaux sociaux sont une évidence. C’est donc ­natu­rellement qu’il alimente un compte Instagram. «Quand j’étais petit, je voulais être acteur. Me mettre en scène sur les réseaux sociaux est donc une partie de plaisir pour moi. Une manière de jouer un rôle, ce qui me plaît beaucoup.» Il poste des images de lui mimant des postures-types d’influenceuses, n’hésite pas à forcer un peu le trait et à se moquer de lui-même, jouant un rôle d’entertainer. «C’est important de partager mon expérience. C’est aussi pour cela que j’accepte d’intervenir dans les lycées ou lors de rencontres publiques pour expliquer mon parcours. Il y a une phrase que j’aime dire aux autres: ‘Ce n’est pas parce que tu peux supporter la douleur que tu la mérites.’» 

 Cet article a été rédigé pour l’ 2022 parue le 16 décembre 2021.

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