Raymond Schadeck : «Nous sommes arrivés sans trop de problèmes à accepter une priorisation différente de nos valeurs, en redonnant la première place au bien-être général, et à redéfinir substantiellement le rôle de chacun d’entre nous.» (Photo: DR)

Raymond Schadeck : «Nous sommes arrivés sans trop de problèmes à accepter une priorisation différente de nos valeurs, en redonnant la première place au bien-être général, et à redéfinir substantiellement le rôle de chacun d’entre nous.» (Photo: DR)

Entrepreneur et administrateur indépendant engagé dans la société civile, Raymond Schadeck dresse le parallèle entre la crise sanitaire du Covid-19 et l’urgence climatique dont il faut se saisir.

Dans ma carte blanche «», j’ai notamment évoqué le lien entre la crise du Covid-19 et la problématique du réchauffement climatique. J’y ai partagé aussi mon espoir profond qu’avec notre soutien en tant que citoyens, les décideurs politiques et économiques déploieront la même volonté, la même énergie et les mêmes ressources pour sauver et guérir les poumons de notre planète, nos arbres et nos forêts, que celles qu’ils ont démontrées ces derniers mois pour faire face à la crise du Covid-19.

En effet, comme Arundhati Roy, écrivaine et militante environnementale indienne, l’a si justement mis en avant: «Historiquement, les pandémies ont forcé les humains à rompre avec le passé et à imaginer un nouveau monde. Et pour celle-ci, ce ne sera pas différent. C’est un portail, une passerelle entre un monde et le suivant.» Et je ne m’imagine pas une seule seconde que nous puissions être assez stupides pour rater cette occasion unique de réparer certaines choses.

Et comme l’a dit Winston Churchill: «Il ne faut jamais gaspiller une bonne crise!»

Covid-19: une piqûre de rappel que la nature nous envoie

Le Covid-19 attaque les poumons, ou plus précisément les alvéoles pulmonaires, là où les échanges ont lieu entre l’air inhalé et le sang. Et les scientifiques nous expliquent que les forêts et les arbres jouent pour notre planète un rôle très similaire à celui que nos poumons occupent pour nous, et qu’ainsi nos poumons et nos forêts sont de facto très complémentaires.

Comme Milda Sebris, une résidente du Ellen Memorial Health Care Center jusque-là inconnue, l’a si justement expliqué en 2011 à l’occasion de son centième anniversaire: «Respirer, c’est vivre incarné. Sans ce processus exquis qui se déroule jour après jour, année après année, moment après moment, nous ne serions pas fonctionnels – nous ne serions pas vivants! Les arbres aident la planète à respirer en transformant le dioxyde de carbone en de l’oxygène propre et pur. Les plantes sont à considérer comme les poumons de la terre parce qu’elles produisent l’oxygène indispensable à toute vie; donc, en substance, comme nos poumons nous maintiennent en vie et les arbres maintiennent nos poumons en vie, nous pouvons considérer que les arbres font partie intégrante de l’existence même de nos poumons. Tout ceci fait partie intégrante de l’interconnexion profonde de toute vie.»

Les scientifiques nous ont démontré on ne peut plus clairement ces dernières décennies que nos émissions croissantes de CO2, nos déforestations systématiques, et le réchauffement climatique qui en découle, ont de façon sans équivoque contribué au développement de plus en plus fréquent de virus terriblement dangereux. 75% des maladies infectieuses émergentes sont issues de la nature sauvage et notre destruction de la nature pour l’agriculture, l’extraction minière ou l’habitat, ainsi que le réchauffement climatique ne font qu’augmenter nos contacts directs avec cette nature sauvage à laquelle nous étions moins confrontés auparavant.

Nous avons le choix de vivre en harmonie avec la nature. Nous en avons eu une démonstration très claire ces dernières semaines: la planète n’a pas besoin de nous pour survivre. Il paraît même qu’elle va mieux depuis que nous autres, êtres humains, sommes confinés.

La planète n’a pas besoin de nous pour survivre. Il paraît même qu’elle va mieux depuis que nous autres, êtres humains, sommes confinés.
Raymond Schadeck

Raymond Schadeck

«La nature nous envoie un message: nous sommes intimement liés à elle, que cela nous plaise ou non. Si nous ne prenons pas soin de la nature, nous ne prenons pas soin de nous-mêmes. Et alors que nous nous approchons d’une population de 10 milliards de personnes sur cette planète, nous devons nous diriger vers cet avenir armés de la nature comme notre plus puissant allié», a si bien exprimé Inger Andersen, directrice exécutive de l’United Nations Environment Programme (Unep).

J’espère que nous ne louperons pas cette piqûre de rappel que la nature nous envoie!

Parallèles et différences entre Covid-19 et réchauffement climatique

Malgré l’impression que nous pouvons avoir via les médias, ou du moins certains médias, les parallèles entre le Covid-19 et le changement climatique ne se limitent pas au fait que l’actuel président des États-Unis d’Amérique ne fait pas confiance aux opinions et recommandations des scientifiques, voire les nie et les qualifie publiquement de «canular chinois» et de sujets sur lesquels les démocrates se jettent dans le but de gagner les élections de novembre.

Non, il y a des parallèles beaucoup plus sérieux et plus profonds, mais aussi des différences, et nous devons tous les comprendre pour développer l’adhésion nécessaire afin de devenir les agents d’une stratégie bien réfléchie pour travailler d’urgence sur la question du changement climatique et ainsi limiter le risque de futures pandémies graves, voire plus.

Même dans nos pays occidentaux, ce sont aujourd’hui surtout les groupes les plus vulnérables de la population qui souffrent le plus de la crise du Covid-19.
Raymond Schadeck

Raymond Schadeck

Le premier grand parallèle entre les deux crises semble être le fait que dans les deux cas, ce sont surtout les plus vulnérables de notre population qui en souffrent le plus. En effet, le changement climatique est dû au réchauffement de la planète, du moins à ce stade, qui touche principalement ce que nous appelons généralement les pays en développement qui, en outre, ne disposent pas des infrastructures nécessaires pour faire face à ces défis.

Mais même dans nos pays occidentaux, ce sont aujourd’hui surtout les groupes les plus vulnérables de la population qui souffrent le plus de la crise du Covid-19, à savoir principalement les personnes âgées et celles qui ont des problèmes de santé préexistants. Force est de constater que si dans nos pays, nous discutons aujourd’hui des catégories de personnes qui devraient avoir une priorité d’accès à nos infrastructures de santé, dans les pays les plus pauvres, de telles infrastructures sont loin d’être un acquis. Des statistiques internationales font en effet ressortir que la moitié de la population mondiale n’a actuellement pas accès aux infrastructures sanitaires dont elle a besoin.

En matière de changement climatique, nous ne pouvons pas nier que ce sont les pays qui sont prioritairement responsables du réchauffement climatique de par leurs émissions de CO2 croissantes qui disposent des infrastructures nécessaires, et sont de loin les moins touchés, au moins encore à ce stade. Paradoxalement, ce ne sont pas aujourd’hui nécessairement ceux qui sont les plus responsables de la propagation du virus qui en souffrent le plus.

Une autre similitude très importante est celle de l’urgence de réagir et d’agir. Mais les deux crises semblent se situer dans deux échelles de temps différentes. Si l’urgence du problème semble être identique, notre célérité d’y remédier est bien différente. Ce qui n’est pas vraiment une surprise puisque notre perception de l’urgence n’est manifestement pas la même. La pandémie de Covid-19 nous fait en effet souffrir aujourd’hui chez nous, alors que la crise climatique a commencé à affecter d’abord les pays plus au sud de notre planète, et n’est donc actuellement pas encore perçue par nous, pays occidentaux, comme une menace immédiate. Le changement climatique ne se trouve pas sur le pas de notre porte comme l’est le Covid-19.

Nous devons réaliser que si nous continuons sur notre lancée actuelle, la limite de réchauffement fixée à Paris pour 2050 sera en réalité atteinte en 2028.
Raymond Schadeck

Raymond Schadeck

J’ose cependant espérer qu’en réalisant que le réchauffement climatique et le risque et la fréquence des pandémies sont étroitement liés, la pandémie actuelle aura le bénéfice de nous faire percevoir la gravité et l’urgence même du défi climatique. Et ceci bien avant d’être confrontés réellement à ses effets dévastateurs et irréversibles. Il existe en effet une autre différence majeure: si les conditions sanitaires vont tôt ou tard revenir à la normale, les scientifiques sont unanimes pour dire que la plupart des effets du réchauffement climatique seront irréversibles.

Nous devons réaliser que si nous continuons sur notre lancée actuelle, la limite de réchauffement fixée à Paris pour 2050 sera en réalité atteinte en 2028. Malgré les engagements pris par tous les pays signataires de l’accord de Paris, force est de constater que, d’après les experts en la matière, il n’y a aujourd’hui qu’un seul pays qui a développé et commencé à déployer un plan d’action concret et réaliste pour respecter ses engagements: le Maroc.

Les leçons à en tirer

Optimiste de nature, je suis une fois de plus confiant dans le fait que la plupart d’entre nous, y compris les décideurs politiques et économiques, les citoyens de toutes les générations, ressortiront de cette pandémie avec une volonté renforcée de ne pas revenir à la «normale», puisque nous aurons compris que c’est précisément la «normale» qui est à l’origine du problème. Cette crise sanitaire nous aura alors aidés à éviter de répéter les mêmes erreurs.

Comme le Covid-19, le changement climatique est un défi global qui nécessite aussi une approche globale, et qui nécessite une fois encore qu’on écoute les avertissements et avis des experts. La pandémie actuelle nous a prouvé qu’indépendamment du fait que l’évolution de la pandémie variait substantiellement d’un pays à l’autre, nous avons, dans la situation d’urgence dans laquelle nous nous trouvons, aligné autant que possible nos approches et que l’entraide entre pays semblait possible, voire évidente (entre la Chine et l’Italie par exemple, ou le Luxembourg, disposé à prendre en charge des cas d’urgence de la Lorraine).

Oui, il y aura toujours des décideurs égoïstes (comme aux États-Unis ou au Brésil) qui choisiront de contredire les scientifiques et qui décideront de faire bande à part, de ne pas jouer le jeu de la coopération. Mais cela ne doit pas servir d’excuse à tous les autres pour ne pas associer leurs forces et ressources pour faire face à ce défi global et vital. J’ose espérer que les citoyens et électeurs de ces pays qui décident de faire bande à part ne sont pas assez stupide pour ne pas se rendre compte qu’à moyen ou long terme, ce sont bien eux qui paieront les frais de l’égoïsme qui dicte les décisions et actions de leurs leaders d’aujourd’hui.

Plus important encore, il nous faudra percevoir et réagir aux alertes évidentes qui nous parviennent. En effet, il faut accepter que malgré les multiples alertes des scientifiques sur le risque accru de pandémies durant les dernières décennies, nous n’avons pas fait grand-chose pour y faire face au cours des dernières années. Raison de plus pour ne pas commettre la même erreur.

Nous devons, dès maintenant, faire du réchauffement climatique une priorité et combattre ses causes profondes en réduisant les émissions de CO2 à zéro. Le temps presse si nous voulons éviter des situations d’urgence comme nous venons d’en vivre une avec le Covid-19. À nous de faire de cette alerte des scientifiques sur le réchauffement climatique une priorité absolue. Tous les pays signataires de l’accord de Paris se doivent de convertir leurs bonnes intentions en plans d’action sérieux et réalistes et s’y prendre dès aujourd’hui. Le Maroc nous a montré le chemin à suivre!

Cette crise sanitaire nous a aussi démontré que les pays (comme la Corée du Sud, Taïwan, la Nouvelle-Zélande, la Finlande, la Norvège, l’Islande) qui ont été les plus rapides à faire confiance aux experts quant à l’ampleur et les risques du défi, et qui ont été les plus rapides à développer, en partenariat avec ces mêmes experts, des plans d’action et des mesures concrètes, sont ceux qui ont passé cette crise le mieux et en sortent le plus rapidement. Le fait que la plupart de ces pays soient dirigés par des femmes devrait nous faire réfléchir sur la question de savoir s’il existe ou non une relation de cause à effet claire entre les deux.

Cette réflexion intéressante génère actuellement de nombreuses discussions sur la gouvernance de nos pays respectifs, comme par exemple: est-ce l’environnement culturel de ces pays qui les rend plus aptes à accepter et élire à des postes-clés des femmes plutôt que des hommes? Les citoyens ont-ils tendance à faire plus confiance à des décideurs politiques féminins ou non, et si oui, pourquoi en est-il ainsi? Les femmes ont-elles de meilleures compétences pour gérer les situations de crise? Ont-elles tendance à être moins égoïstes? Mon intention n’est certainement pas ici de me mêler à ce débat (peut-être une autre fois).

Mais je constate quand même que tous les pays qui ont le mieux géré cette crise sanitaire semblent avoir en commun, sur la base des conseils des experts et de l’expérience des pays qui ont été les premiers touchés par cette crise, d’avoir élaboré un plan d’action de crise qui donne à court terme, mais aussi à moyen et long terme, la priorité absolue au bien-être général (au détriment de tout intérêt économique ou financier). Ils sont aussi ceux qui n’ont pas été gérés par un «héros d’action» égoïste, mais au contraire ont privilégié l’approche coopérative à une approche égoïste et compétitive.

Ce qui me rend encore plus optimiste pour notre planète est que cette crise sanitaire aura démontré qu’une fois le danger perçu de manière concrète, nous parvenons tous, ou du moins une grande majorité d’entre nous, à nous investir nous-mêmes dans la cause.
Raymond Schadeck

Raymond Schadeck

Cette fois-ci, je suis convaincu que c’est exactement cette même approche qui nous fera gagner la course contre le réchauffement climatique. En effet, nous parlons déjà d’approche ESG ou encore de «triple bottom line approach», dite «approche des trois P» (People, Planet, Profit), c’est-à-dire des stratégies qui ne poursuivent pas seulement le profit le plus élevé à court terme, mais qui reconnaissent un équilibre sain entre servir, développer, récompenser et respecter les personnes à tous les niveaux, ne pas nuire à la planète et générer des profits raisonnables.

Et ce qui me rend encore plus optimiste pour notre planète est que cette crise sanitaire aura démontré qu’une fois le danger perçu de manière concrète, nous parvenons tous, ou du moins une grande majorité d’entre nous, à nous investir nous-mêmes dans la cause, à accepter d’énormes sacrifices comme rester confinés pendant des semaines, ne pas voir nos familles et nos proches, accepter que la plupart des magasins non vitaux soient fermés pour des semaines, porter des masques, etc. Nous sommes arrivés sans trop de problèmes à accepter une priorisation différente de nos valeurs, en redonnant la première place au bien-être général, et à redéfinir substantiellement le rôle de chacun d’entre nous.

L’élan est là: à nous de le saisir. Il nous suffit d’en percevoir enfin l’urgence et de développer un plan d’action qui définisse clairement les attentes et le rôle de chacun d’entre nous.
Raymond Schadeck

Raymond Schadeck

Donc si nous, citoyens, nous sommes investis pleinement dans ce programme de crise du Covid-19, je ne vois pas pourquoi nous ne serions pas prêts à faire de même dans un programme de gestion et d’action qui aura comme cible de combattre un fléau d’autant plus grave et menaçant. L’élan est là: à nous de le saisir. Il nous suffit d’en percevoir enfin l’urgence et de développer un plan d’action qui définisse clairement les attentes et le rôle de chacun d’entre nous.

La voie à suivre – on a tous un rôle à jouer!

Pour aller de l’avant, nous devons tous, qui que nous soyons, décideurs politiques ou économiques, associations, médias et journalistes, employés ou travailleurs, retraités, enseignants ou étudiants… collectivement, mais aussi en tant qu’individus, adopter cet état d’esprit ESG ou «triple bottom line». C’est-à-dire une approche où toutes nos décisions et actions sont guidées par un équilibre raisonnable entre des considérations du bien-être humain, du bien-être de notre planète et du bien-être économique.

Si nous tous, ou du moins la plupart d’entre nous, collectivement et individuellement, assumons nos responsabilités respectives, il ne fait aucun doute que nous mettrons un terme au changement climatique. Nous avons démontré que nous pouvons y parvenir pour la crise du Covid-19. À nous de démontrer une fois de plus que: «If we replace the ‘I’ by ‘We’ even ‘Illness’ becomes ‘Wellness’.»

Les médias et les journalistes

Cette crise sanitaire a le mérite tragique de nous rappeler le rôle absolument primordial des médias et de l’importance essentielle d’un journalisme franc et basé sur des faits, sans négliger la responsabilité des journalistes et des médias à repousser les fausses informations et à identifier les décideurs qui tentent de cacher, voire nier, des faits.

Cette crise sanitaire a permis à la plupart des journalistes au moins de redécouvrir l’importance de leur rôle de service public. Nous comptons sur eux pour assumer ce même rôle dans notre lutte commune contre le fléau du réchauffement climatique. Les chevauchements entre les deux crises sont multiples et nous avons besoin que ces mêmes médias et journalistes utilisent les mêmes bonnes pratiques pour nous informer de façon factuelle sur l’urgence et la gravité des défis et risques climatiques qui nous attendent, sans oublier les risques croissants de pandémies futures qu’ils comportent.

Les décideurs économiques et financiers

Comme je l’ai déjà mentionné dans un de mes précédents articles, je suis fermement convaincu que la crise actuelle va considérablement accroître l’urgence et la pression sur les entreprises et leurs décideurs pour qu’ils se convertissent à un modèle d’entreprise durable et adoptent une véritable stratégie de «triple bottom line», dont l’objectif restera évidemment de générer suffisamment de profits pour assurer leur viabilité à long terme, mais en respectant sans exception toutes les personnes impliquées (employés, fournisseurs et personnes impliquées dans la chaîne d’approvisionnement, clients, actionnaires, etc.) et sans nuire davantage à notre planète.

Les sociétés doivent rapidement comprendre qu’il s’agit d’une question de survie pour les entreprises, peut-être pas nécessairement à court terme, mais certainement à moyen et long terme.
Raymond Schadeck

Raymond Schadeck

Les sociétés doivent rapidement comprendre qu’il s’agit d’une question de survie pour les entreprises, peut-être pas nécessairement à court terme, mais certainement à moyen et long terme. Cette crise sanitaire nous a en effet tous rendus plus sensibles aux effets de la nature sur notre bien-être et elle nous a fait passer, comme j’ai essayé de l’expliquer dans un de mes précédents articles, d’un ensemble de valeurs assez matérialistes à un ensemble de valeurs plus humaines et moins matérialistes.

Où comme je l’avais suggéré, le verbe «être» reprend le dessus sur le verbe «avoir». Ce changement de valeurs va, dans le futur, certainement influencer substantiellement comment et avec qui nous allons dépenser nos revenus. Et les entreprises qui n’auront pas compris que le «pourquoi» elles existent (leur raison d’être et leurs valeurs) deviendra bien plus important que la qualité ou le prix de leurs produits ou services n’auront plus d’avenir. Elles ne survivront certainement pas à long terme et probablement même pas à moyen terme.

Les décideurs politiques

Une fois de plus, nous nous sommes rendu compte de l’efficacité et de l’efficience de nombreux décideurs politiques qui ont su identifier, en partenariat étroit avec des scientifiques en qui ils ont confiance, le risque à venir suffisamment tôt, élaborer et déployer des ensembles concis de mesures d’atténuation de ces risques et de leurs impacts, mais aussi se préparer aux impacts qui ne pouvaient pas être évités. Ils l’ont fait en étant convaincus que le bien-être du public doit devenir la priorité absolue en cas de crise. J’ose donc espérer que ces mêmes politiciens, qui ont vu à quel point ils ont réussi à obtenir l’adhésion du grand public, auront désormais le confort nécessaire pour affronter à nouveau avec la même détermination et la même urgence le risque encore plus difficile du changement climatique.

Et que, comme pour le Covid-19:

- ils font confiance aux scientifiques et informent leurs citoyens de manière factuelle sur les risques du changement climatique à venir et les impacts qu’il entraînera, non seulement pour nos pays, mais pour l’humanité globale et surtout les générations futures. Et comme le partenariat avec les médias s’est soldé par des réussites évidentes pour le Covid-19, je ne doute pas qu’il devrait être encore plus efficace en ce qui concerne la crise climatique;

- ils vont non seulement élaborer, mais aussi déployer des programmes d’atténuation concis: beaucoup de pays ont en effet communiqué très efficacement sur les engagements pris en signant l’accord de Paris, la plupart ont même fait un excellent travail en développant une feuille de route collant parfaitement à l’engagement pris. Mais force est de constater que, trop souvent, ces plans de déploiement accusent des retards considérables. Et le risque est maintenant qu’avec ces programmes de support et de financement substantiels mis en place ces dernières semaines pour limiter les impacts de la crise sanitaire, les programmes de déploiement pour faire face au risque climatique ne seront plus prioritaires. Ces programmes d’action doivent absolument faire partie intégrante des programmes du Covid-19 et même en être le moteur. Il serait irresponsable pour les jeunes générations que ces mesures de soutien financier ne soient pas associées à des obligations de développement durable de la part des bénéficiaires; il serait inacceptable de financer des secteurs en déclin et qui de toute façon n’auront plus d’avenir dans un environnement économique plus durable; il serait irresponsable que ces programmes financent par exemple des entreprises du secteur des combustibles fossiles pour autre chose que leur programme de transition vers des énergies et technologies renouvelables. Mais, après avoir entendu les principaux décideurs ces dernières semaines, je suis convaincu que la plupart d’entre eux ont reçu le message. Laissez-moi par exemple me référer à une interview du président de la France dans le Financial Times: «On se rend compte», dit-il, «que si nos citoyens sont prêts à l’impensable en ce qui concerne leurs économies respectives afin de ralentir une pandémie, ils pourront faire de même pour arrêter un changement climatique catastrophique.»

Ce moment me semble idéal pour entamer la conversion de notre système fiscal d’un système basé prioritairement sur une imposition du travail vers un système basé sur nos ressources naturelles et la pollution. En augmentant le coût du travail et en ne taxant pas ou que très marginalement nos utilisations de ressources naturelles, le système fiscal actuel est générateur de chômage et favorise une surconsommation sans limites, sans égard à la pollution qui en est la conséquence logique.

Étant donné que la crise sanitaire, à court et moyen terme, tendra à faire du chômage un problème encore plus important, il ne pourrait y avoir de meilleur moment pour amorcer une telle transition et augmenter la fiscalité sur les ressources naturelles rares, ce qui nous permettrait de réduire le coût du travail et, ainsi, espérons-le, au moins partiellement atténuer le risque d’une hausse du chômage.

Imaginez la force du message adressé à notre communauté locale et à notre centre financier luxembourgeois, mais aussi la réputation de notre place financière mondiale, si nous étions le premier pays à annoncer publiquement que nos plans de pension publics seraient exclusivement investis dans des produits et/ou des sociétés durables.
Raymond Schadeck

Raymond Schadeck

Les gouvernements ont également réalisé à quel point il est crucial pour eux de montrer l’exemple. Imaginez la force du message adressé à notre communauté locale et à notre centre financier luxembourgeois, mais aussi la réputation de notre place financière mondiale, si nous étions le premier pays à annoncer publiquement que nos plans de pension publics seraient exclusivement investis dans des produits et/ou des sociétés durables.

Et rien, mais absolument rien ne nous empêche actuellement de le faire. Peut-être devrions-nous, citoyens, puisqu’en fin de compte c’est notre argent qui est géré par des instances publiques, démontrer notre plein soutien aux autorités publiques et, s’il le faut, même exercer une pression sur nos décideurs.

Et ceci m’amène à la dernière catégorie d’acteurs qui ont tous les moyens afin de jouer un rôle déterminant dans ce combat.

Nous, les citoyens! Nous, les consommateurs!

Le rôle-clé nous appartient en effet. Beaucoup sont en effet prêts à confirmer qu’en raison du changement de mentalité et de nos valeurs fondamentales, mentionné ci-dessus, nous, citoyens et consommateurs, sommes à ce stade probablement en avance sur les décideurs politiques et économiques en ce qui concerne notre détermination à lutter contre le réchauffement climatique. Et nous devons utiliser le pouvoir que nous offrent technologies et médias pour nous faire entendre.

Nous devons faire comprendre aux décideurs politiques et économiques que non seulement ils peuvent compter sur notre plein support pour assumer leurs responsabilités dans la lutte contre le réchauffement climatique, mais qu’en plus nous n’hésiterons pas non plus à utiliser les moyens de sanction qui nous sont offerts si jamais ils décident de ne pas assumer leurs responsabilités dans cette lutte.

À nous aussi de servir d’exemple et de changer nos habitudes: prendre l’avion moins souvent ou alors avec des compagnies aériennes qui font plus d’efforts en matière de durabilité, consommer moins et plus localement et avec un focus sur le développement durable, utiliser les moyens de transport les plus durables, devenir des agents actifs de l’économie circulaire, etc.

Le seul défi est que nous percevions maintenant l’urgence d’agir dès que possible – en effet, le réchauffement climatique ne nous impacte pas encore de la même manière que le virus du Covid-19 le fait.
Raymond Schadeck

Raymond Schadeck

Nous avons démontré que nous pouvons le faire si nous y sommes quelque peu contraints, donc pourquoi, en matière de changement climatique, ne pas choisir dès aujourd’hui une approche préventive plutôt qu’une approche réactive lorsqu’il sera trop tard? Le tout est vraiment entre nos mains! Si nous, citoyens et consommateurs, commençons à aller dans cette direction, les décideurs politiques et économiques, et même les médias et journalistes, ne pourront que nous suivre.

Je constate que nous sommes tous prêts à déployer, en matière de réchauffement climatique, des programmes d’action et de gestion très similaires à ceux imaginés et déployés pour la crise sanitaire. Cela ne fait plus aucun doute. Le seul défi est que nous percevions maintenant l’urgence d’agir dès que possible – en effet, le réchauffement climatique ne nous impacte pas encore de la même manière que le virus Covid-19 le fait.

Laissez-moi illustrer la situation par la fameuse fable de la grenouille et de l’eau bouillante:

- si une grenouille est soudainement jetée dans de l’eau bouillante, elle sautera et survivra – et c’est exactement ce que nous avons fait pour le Covid-19;

- mais si la grenouille est jetée dans de l’eau tiède, qui est ensuite portée à ébullition lentement, elle ne percevra pas le danger et finira par être cuite jusqu’à sa mort – et c’est exactement ce qui risque de nous arriver en matière de réchauffement climatique si nous restons aveugles face à l’imminence du problème futur!

Ou, comme Inger Andersen, déjà citée dans l’introduction, le résume si justement:

«Mieux nous gérons la nature, mieux nous gérons la santé humaine, parce que maintenir la nature diverse, riche et florissante fait partie intégrante de notre système de soutien de la vie. Nous devons voir comment une gestion prudente de la nature peut faire partie de cette ‘économie différente’ qui doit émerger, une économie où les finances et les actions alimentent des emplois verts, une croissance verte et un mode de vie différent, parce que la santé des personnes et la santé de la planète sont une seule et même chose, et que les deux peuvent prospérer dans la même mesure.»

P.S.: Un grand merci, , pour ton support.