Jade Marie Bajai est investment strategy communication manager à la Banque internationale à Luxembourg. (Photo: BIL)

Jade Marie Bajai est investment strategy communication manager à la Banque internationale à Luxembourg. (Photo: BIL)

Avec le retour de l’inflation, la crise ukrainienne, le scénario de la reprise de la croissance et de la hausse des bénéfices des entreprises est compromis. Valeur refuge par excellence, l’or peut-il profiter de cette conjoncture?

2022 devait être l’année du retour d’une croissance économique forte, avec la fin des problèmes d’approvisionnement, un rattrapage de la consommation suite à deux années d’épargne élevée. Les bénéfices des entreprises allaient gonfler… mais aujourd’hui, à la mi-mai, ce scénario paraît moins probable. Les marchés actions et obligataires font face à une forte pression vendeuse.

Dans ce contexte, l’or demeure-t-il la valeur refuge qu’il avait coutume d’être?

L’inflation se maintient à des niveaux records rarement atteints depuis plusieurs décennies, les problèmes géopolitiques en Europe menacent l’offre de matières premières essentielles, et les risques entourant la croissance deviennent plus nombreux. Toute l’attention se porte aujourd’hui sur la politique monétaire restrictive des banques centrales, dans l’espoir que celles-ci réussissent à gérer un atterrissage en douceur de leurs économies respectives. Dans ce contexte, d’intenses pressions vendeuses s’exercent sur les actions, comme sur les obligations. À la surprise de certains investisseurs, le prix de l’or, traditionnellement considéré comme une valeur refuge dans les périodes de crise et comme une couverture contre l’inflation, est retombé à des niveaux qu’il avait occupés avant le conflit en Ukraine.

D’une manière générale, la demande en or a tendance à augmenter dans les périodes de crise ou d’incertitude élevée, durant lesquelles les investisseurs se détournent des actifs risqués pour rechercher des marchés plus sûrs où placer leur argent. À l’inverse, dans les phases de calme relatif, quand l’économie est au beau fixe, les actifs risqués, comme les actions, éclipsent parfois l’or en termes de potentiel de rendement. De plus, la demande en or s’envole généralement lorsque les anticipations d’inflation suivent une trajectoire haussière, car les investisseurs recherchent une protection contre l’impact corrosif de l’inflation sur la valeur des monnaies fiduciaires ou des coupons des obligations. Dans le contexte actuel, on peut donc se demander pourquoi l’or n’est pas davantage en hausse.

L’or, valeur refuge dans les périodes d’incertitude, mais avec des limites

Il importe de garder à l’esprit que les taux réels sont négativement corrélés avec l’or. À mesure que les banques centrales se lancent dans une normalisation de leur politique monétaire, les rendements d’autres actifs «sûrs», comme les obligations d’État, une fois corrigés de l’inflation, commencent à regagner de l’attrait. Ce phénomène vient ternir l’éclat de l’or au sein d’un portefeuille, car le lingot, lui, n’offre pas d’intérêts ni de dividendes. Le prix de l’or est par ailleurs corrélé à l’indice du dollar américain, car c’est la principale devise utilisée pour les transactions. Lorsque le dollar s’apprécie (comme récemment sous l’effet du durcissement de ton de la Fed), l’or renchérit dans les autres devises, ce qui contribue à ralentir la demande.

Toutefois, un autre facteur pourrait actuellement peser sur le prix du métal jaune… à savoir un mouvement de liquidation forcée parmi les investisseurs à effet de levier. En mars 2020, au début de la pandémie, l’or s’est brutalement effondré, ce qui, là encore, était surprenant au regard du désarroi des marchés financiers mondiaux et de l’état de panique généralisé. Rétrospectivement, certains analystes estiment que le mouvement de fuite vers les valeurs refuges a connu une interruption provisoire, due au statut d’actif liquide de l’or: les investisseurs, obligés de couvrir des appels de marge dans d’autres classes d’actifs, ont été contraints de liquider leurs positions sur l’or afin de les honorer. Le prix de l’or n’a rebondi que lorsque la Fed a commencé à injecter des liquidités sur le marché. Face aux turbulences actuelles sur les marchés, il est tout à fait possible que la même chose soit en train de se produire aujourd’hui. La grande différence réside dans le fait que la Fed est résolument engagée dans un cycle de resserrement monétaire, afin d’essayer d’empêcher une spirale inflationniste. Pour les investisseurs, même si l’or offre des fonctions importantes en tant que réserve de valeur et outil de diversification, l’évolution actuelle de son prix met en lumière un aspect non négligeable: les fluctuations à court terme des prix sont souvent désespérément difficiles à prévoir et sont influencées par une combinaison de facteurs, dont certains plus évidents que d’autres.

L’éclat de l’or commence à devenir vraiment visible lorsqu’il est considéré dans un horizon de placement de long terme et qu’il fait partie d’un portefeuille multiactif bien diversifié.

Rédigé le 13 mai 2022