La chaîne de télévision russe RT, qui s’appelait Russia Today jusqu’en 2013, ne bénéficiera pas d’une licence luxembourgeoise afin de diffuser ses contenus en langue allemande au niveau européen via RT DE. Telle est la décision du Service des médias et des communications (SMC), compétent pour ce genre de dossier, qui dépend du ministère d’État. La demande avait été introduite en juin dernier par ANO TV-Novosti, maison mère de RT.
La raison de cette demande auprès du Luxembourg, avec qui les liens matériels sont nuls? L’incapacité de RT DE d’obtenir une licence en Allemagne, où se trouvent ses bureaux et où les contenus sont produits. Le concept allemand de «Staatsferne» empêche en effet un média qui ne serait pas indépendant d’un État d’obtenir une licence.
Or, les liens entre RT et le gouvernement russe semblent évidents. Russia Today a vu le jour en 2005. Devenue RT en 2013, elle a été acquise par ANO TV-Novosti et bénéficie de larges soutiens financiers de la part du pouvoir russe. Notamment via Rossia Segodnia, conglomérat public russe, qui est l’organe de communication officiel à l’international, tel que voulu par un décret pris en 2013 par le président Vladimir Poutine.
Une stratégie parfaitement définie, au mécanisme bien huilé, afin de faire briller la Russie à travers le monde. Comme le rappelait Françoise Daucé, directrice du Centre d’études des mondes russe, caucasien et centre-européen, dans un article publié par l’Institut national de l’audiovisuel français, «depuis le début des années 2000, la présence médiatique russe au niveau international — qui s’était affaiblie dans les années 1990 en raison des difficultés financières de l’État post-soviétique — a été développée et rénovée grâce au recours aux nouvelles technologies de l’information».
Les critères techniques ne sont pas remplis
RT DE, déboutée en Allemagne, s’est donc tournée vers le Luxembourg. Ses espoirs reposaient cette fois sur la directive européenne SMA, transposée en droit luxembourgeois en 1991. Qui veut qu’un fournisseur n’ayant pas de centre de décision dans un État membre de l’UE, le critère déterminant pour définir l’autorité de régulation, et donc d’octroi de la licencie, soit le domicile de l’émetteur. «Une chaîne originaire d’un pays tiers à l’Union européenne diffusée par l’intermédiaire des satellites Astra (opérés par le groupe luxembourgeois SES), comme c’est prévu pour RT DE, dispose de facto d’une licence luxembourgeoise», analysaient nos confrères du Land, en juillet dernier.
On notera que RT s’appuie déjà sur les satellites Astra 19.2°E et SES-4 pour la diffusion de ses programmes francophones.
Mais en ce qui concerne RT DE, le SMC a estimé que le Luxembourg ne pouvait être compétent, les critères techniques n’étant pas remplis. Le diffuseur ayant des bureaux en Allemagne et y employant du personnel, c’est le gouvernement allemand qui est donc compétent. Or, la porte est verrouillée à double tour de ce côté.
Du coup, RT DE se retrouve dans une impasse, ce qui semble arranger les deux pays. RT est en effet régulièrement accusée d’être un outil de propagande russe, de relayer des thèses complotistes, d’être très proche de l’extrême droite…
En France, les audiences de RT sont en tout cas en très forte progression depuis son lancement. Les contenus, totalement gratuits, ont su trouver leur public en capitalisant notamment sur des formats et des thèmes choisis pour devenir rapidement et efficacement viraux sur les réseaux sociaux. Ou en misant sur la colère populaire, que ce soit des gilets jaunes ou des anti-vaccins.
Un succès médiatique que le Luxembourg et l’Allemagne, même s’ils ne le confirmeront pas officiellement, aimeraient ne pas voir se répandre dans l’espace germanophone, même si RT DE diffuse déjà via internet.
Une nouvelle question parlementaire
Le débat n’est en tout cas pas encore clos au niveau national. Déjà auteurs d’une question parlementaire sur ce sujet en juin, les députés CSV , et en ont introduit une seconde ce lundi. Ils souhaitent cette fois savoir si d’autres demandes de licence ont été introduites ces dernières années par des diffuseurs installés dans des pays au régime dit autoritaire. Mais aussi si le n’est pas d’avis qu’un critère de «Staatsferne» ne serait pas le bienvenu dans la législation luxembourgeoise.