Pierre Hurt explique ce qu’est le «New European Bauhaus» et les enjeux pour le Luxembourg. (Photo: OAI)

Pierre Hurt explique ce qu’est le «New European Bauhaus» et les enjeux pour le Luxembourg. (Photo: OAI)

La Commission européenne a lancé le nouveau Bauhaus européen, une démarche qui concerne le déploiement d’actions stratégiques visant plusieurs secteurs, dont celui de la construction. Pierre Hurt, directeur de l’Ordre des architectes et des ingénieurs-conseils, explique comment le secteur de l’architecture et de l’ingénierie va s’investir dans ce mouvement.

Le 16 décembre dernier, vous avez adressé au sujet du Nouveau Bauhaus Européen. Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit, ce qu’est ce «Nouveau Bauhaus Européen» ?

. — «Il s’agit d’une déclaration forte émanent de la Commission européenne visant à accélérer la transformation du secteur de la construction afin de créer un cadre de vie de qualité, inclusif et répondant aux enjeux de l’économie circulaire, dans une vision holistique et sur le long terme. Cette déclaration s’inscrit à la suite d’autres démarches comme sur la ville européenne durable ou encore pour une culture du bâti de qualité et vient renforcer ce mouvement en insistant sur l’importance de la qualité de notre environnement bâti. Le Bauhaus est apparu au moment où de nouvelles technologies comme l’acier et la standardisation faisaient leur apparition. Aujourd’hui également, de nouvelles technologies apparaissent dans nos modes de construction. Alors que l’économie circulaire doit devenir notre quotidien, il est intéressant de lancer ce Nouveau Bauhaus à l’échelle européenne.

Quelles sont les conséquences pour le Luxembourg et les opportunités qui se présentent à nous dans ce contexte ?

«Le Conseil européen identifie les marchés publics comme levier d’action, incitant à une simplification règlementaire et une approche qui favorise la qualité. C’est pourquoi l’OAI souhaite attirer l’attention de plusieurs ministères sur cette démarche : le ministère de la Culture pour remettre à jour le programme de politique architecturale, mais aussi un «code» de la qualité architecturale; le ministère des Classes moyennes pour mettre l’accent sur le caractère d’intérêt public des professions regroupées au sein de l’OAI; le ministère de la Mobilité et des travaux publics pour poursuivre l’effort d’une approche axée sur la qualité durable comme critère principal dans les marchés publics; le ministère de l’Énergie et de l’Aménagement du territoire, le ministère de l’Environnement et le ministère de l’Économie pour les questions relatives à l’économie circulaire; le ministère du Logement pour produire du logement abordable de qualité; et enfin le ministère de l’Intérieur pour accompagner les communes dans la mise en place de cet environnement bâti de qualité.

Nous ne devons pas nous perdre dans des discussions philosophiques, mais bien passer à l’action, sans oublier le contexte de la Grande région dans lequel nous évoluons.

Est-ce l’occasion de refondre le document que l’OAI avait réalisé pour une politique architecturale de qualité et ambitieuse et que le Gouvernement avait adopté en 2004?

«D’une certaine manière, il peut y contribuer, car cette démarche peut aider à mettre en œuvre une densité de qualité. Un des points forts également de ce New Bauhaus est de susciter l’intervention dans l’existant. En rénovant les vieux bâtiments, en créant des extensions, des surélévations, en introduisant plus de flexibilité, nous pouvons apporter de l’eau au moulin à la sortie de crise du logement.

Il faut mettre l’accent sur la phase de programmation.
Pierre Hurt

Pierre HurtdirecteurOrdre des architectes et des ingénieurs-conseils

Quels sont d’après vous, les éléments nécessaires à développer ou à créer pour rendre effectif ce Nouveau Bauhaus Européen ?

«Nous avons la chance au Luxembourg d’avoir déjà de nombreux exemples de qualité qui peuvent nous inspirer, et que ce soit dans le secteur public ou sur le marché privé. Mais nous devons renforcer la sensibilisation et l’éducation, car sans culture du bâti, nous ne parviendrons pas à cette qualité recherchée. Par ailleurs, je pense qu’il faut mettre l’accent sur la phase de programmation. Pour arriver à augmenter la qualité, un des chemins pour y arriver est de mieux définir les besoins et le cadre d’intervention. Une fois le programme bien défini, il sera plus aisé de trouver le bon moyen pour le mettre en œuvre. Pour cela, il faut par exemple que les services des communes continuent de s’étoffer et que la collaboration entre les différents services s’intensifie afin de résoudre les questions au bon moment. L’OAI, en collaboration avec le Syvicol, travaille actuellement sur des outils en la matière. Enfin, il importe d’avoir une vision holistique, inclusive, interdisciplinaire, de haute qualité et à long terme de notre vivre-ensemble pour que cette initiative soit un succès. Avec la méthodologie «Maîtrise d’œuvre OAI - MOAI.LU», les membres de l’OAI sont particulièrement bien outillés pour cela.

Il faut (…) desserrer le corset réglementaire, qui n’est fait que pour essayer de limiter en vain tous les risques de dérives de toutes sortes.
Pierre Hurt

Pierre HurtdirecteurOrdre des architectes et des ingénieurs-conseils

Dans le Bauhaus, il y a une notion esthétique et artistique qui est importante. Est-ce un point qui doit aussi aujourd’hui revenir sur le devant de la scène architecturale ?

«Je pense que la question de l’acceptation est importante, car elle produit un sentiment de bien-être. Les questions esthétiques sont sensibles, car elles peuvent bousculer, provoquer puis finir par être tout à fait acceptées. C’est une question difficile à juger aussi, je pense que nous devons préconiser des instances consultatives sur ce point. Quand on parle d’esthétique en architecture, on parle de contexte physique et social, de proportions, d’agencement, de lumière, de lien entre la forme et la fonction… Mais il ne faut pas non plus exclure les questions de santé et bien-être qui font aussi partie de la qualité architecturale. C’est donc une approche holistique et multicritère qu’il faut appliquer et ne pas accepter les projets uniquement menés par un profit financier. Pour cela, il faut laisser la liberté aux architectes, ingénieurs et urbanistes de créer, leur laisser la liberté de conception. Il faut leur faire confiance, s’appuyer sur des professionnels compétents et desserrer le corset règlementaire qui n’est fait que pour essayer de limiter en vain tous les risques de dérives de toute sorte. Nous avons actuellement des lois et des règlements pour tout, mais la qualité n’augmente pas forcément. Cela montre bien que ce n’est pas la solution. S’assurer contre tout, tue le progrès. Pas de risque, pas de qualité. En leur attribuant d’abord les ressources adéquates, il faut faire confiance aux femmes et aux hommes de l’art indépendants qui ont la déontologie et les compétences nécessaires pour produire cette qualité du bâti attendue.»