Félix Braz et Pierre Gramegna présentent des registres imposés par la directive DAC, mais pour lesquels le Luxembourg ne fera pas de zèle, limitant strictement l’accès des non-professionnels aux données. (Photo: Sven Becker / Archives)

Félix Braz et Pierre Gramegna présentent des registres imposés par la directive DAC, mais pour lesquels le Luxembourg ne fera pas de zèle, limitant strictement l’accès des non-professionnels aux données. (Photo: Sven Becker / Archives)

Fidèle à son habitude — sauf quand il s’agit d’exploiter une niche accroissant sa compétitivité —, le Luxembourg n’a transposé «ni plus ni moins» que la directive AML4, se mettant par la même occasion en conformité avec des recommandations de longue date du Groupe d’action financière (Gafi) sur la transparence des bénéficiaires. Deux registres verront le jour dans les prochains mois en fonction de la rapidité de la procédure législative — sachant que la directive est entrée en vigueur le 26 juin dernier.

Le premier registre, géré par le groupement d’intérêt économique qui s’occupe du Registre de commerce et des sociétés (RCSL), concerne les bénéficiaires économiques effectifs. Introduit sous le nom de «Rebeco», «il ne sera pas public, et son accès sera indirect», souligne Félix Braz, ministre de la Justice.

Le Rebeco vise à centraliser et conserver les données concernant les bénéficiaires économiques de toutes les personnes morales déjà enregistrées auprès du RCSL, incluant les GIE, les sociétés civiles, les asbl ou les établissements publics — sachant que le RCSL compte 90.000 à 100.000 entrées d’après le ministère de la Justice.

Une amende jusqu’à 1,25 million d’euros

Chaque entité — hormis les sociétés cotées régies par un régime spécifique — devra renseigner certaines informations sur son ou ses bénéficiaire(s) effectif(s): nom et prénom(s), date et lieu de naissance, pays de résidence, adresse privée ou professionnelle, numéro d’identification luxembourgeois ou étranger, nature et étendue des effectifs détenus.

Le gestionnaire, en l’occurrence le GIE RCSL, doit veiller à la mise à jour de ces données et se voit octroyer des prérogatives afin de lui permettre de contrôler la véracité des informations inscrites, sous peine d’amendes pénales allant de 1.250 à 1,25 million d’euros.

Le Rebeco sera accessible à trois groupes d’acteurs: les autorités nationales compétentes en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, qui détiendront l’accès le plus large; les professionnels nationaux, à savoir les organismes d’autorégulation ayant une mission de surveillance (Conseil de l’ordre des avocats, Chambre des notaires, Institut des réviseurs d’entreprise, Ordre des experts-comptables, Chambre des huissiers); et enfin, des «personnes ou organisations résidentes démontrant un intérêt légitime» à connaître le détail d’un bénéficiaire économique.

Un accès filtré pour les non-professionnels

Les deux premiers groupes disposeront d’un accès par voie électronique, au moyen d’un mot de passe, tandis que le dernier devra passer par l’intermédiaire de la commission de coordination du registre afin d’accéder à ces données, en déposant une «demande motivée» que la Commission pourra accepter ou refuser. Sachant qu’un refus peut faire l’objet d’un recours devant la justice administrative.

Seules les autorités nationales auront accès à l’ensemble des informations sur les bénéficiaires effectifs. Les professionnels ne pourront consulter que les données concernant leurs clients. Les citoyens ou organismes tiers ne recevront, en cas d’acceptation de leur demande, que les noms des bénéficiaires effectifs. Avec une exception, prévue par la directive: si un bénéficiaire craint d’être exposé à un risque de fraude, d’enlèvement, de chantage, de violence ou d’intimidation, ou s’il est mineur, il peut demander à limiter l’accès à ses informations aux seules autorités nationales.

Nouvelle obligation pour les fiduciaires

Le ministre des Finances, Pierre Gramegna, a de son côté présenté succinctement le deuxième registre à naître en 2018: le registre des fiducies, lui aussi issu d’une directive. C’est l’Administration de l’enregistrement et des domaines qui sera chargée d’héberger et de gérer cette deuxième base de données à laquelle auront accès les seules autorités nationales, à savoir les acteurs de la justice intervenant dans la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (procureur général d’État, Cellule de renseignement financier, etc.), les officiers de police judiciaire, la CSSF, le Commissariat aux assurances, l’AED, l’Administration des douanes et accises, le SRE, l’Administration des contributions directes, les ministères des Finances et des Affaires étrangères et européennes, et enfin l’Office des licences.

Le registre des fiducies répertoriera, pour les personnes physiques, leur nom et prénom(s), leur(s) nationalité(s), leurs date et lieu de naissance, leur pays de résidence, leur adresse et leur numéro d’identification. Les personnes morales devront renseigner leur dénomination, leur adresse et leur numéro d’immatriculation.

De la même façon que pour le Rebeco, le projet de loi sur le registre des fiducies prévoit un arsenal de sanctions administratives, cette fois en cas d’informations incomplètes. Une amende de 250 à 250.000 euros pourra être prononcée, au-delà des avertissements et blâmes.

Les deux projets de loi ont été déposés mercredi après-midi à la Chambre des députés.