Romain Wolff a lancé un ultimatum aux partis pour se positionner lors de la manifestation organisée par la CGFP en novembre dernier. (Photo: Nader Ghavami)

Romain Wolff a lancé un ultimatum aux partis pour se positionner lors de la manifestation organisée par la CGFP en novembre dernier. (Photo: Nader Ghavami)

Elle est décrite comme le lobby le plus puissant du Grand-Duché: la fonction publique ou en luxembourgeois, les «Staatsbeamten». Un corps dont le poids ne se laisse mesurer qu’approximativement: selon le Statec, l’emploi statutaire dans la fonction publique tournerait autour de 40.000 effectifs (État, communes et chemins de fer), auxquels il faut ajouter le corps enseignant, dont l’effectif s’élèverait, rien que pour les lycées et d’après le ministère de l’Enseignement, à 38.000 (parmi eux néanmoins des milliers de chargés de cours).

Cela dit, la manifestation de 2012, qui a rassemblé plus de 6.000 enseignants dans les rues de la capitale, donne une impression du poids de la fonction publique et de sa force de mobilisation. En novembre, à moins d’un an des législatives, elle s’est lancée – sans surprise – dans la bataille pour «se défendre». Elle s’est notamment opposée à l’idée lancée le 16 novembre sur RTL par le ministre de la Fonction publique, Dan Kersch (LSAP), d’ouvrir certaines tâches supplémentaires de la fonction publique aux étrangers pour répondre à des problèmes de recrutement de l’État. En effet, même si la situation ne serait «pas dramatique», le ministre constate qu’«on n’a pas le choix», étant donné que l’État ne peut puiser que dans un «réservoir» de 300.000 personnes pour fournir un service public efficace à 900.000 habitants, frontaliers et visiteurs.

Lors d’une manifestation «de protestation» le 27 novembre dernier au Park Hôtel Alvisse à Dommeldange, le président de la Confédération générale de la fonction publique (CGFP), Romain Wolff, déclarait qu’une telle mesure «ne résout pas les problèmes, mais en crée d’autres». Acclamé par plus de 500 adhérents et membres des sous-organisations de la confédération, il a demandé si la politique, «majorité et opposition», n’avait donc pas déjà oublié les leçons du référendum de 2015, lorsque 80% des électeurs rejetaient le droit de vote pour les résidents non luxembourgeois. Et d’ajouter: «Comment les partis peuvent être si loin des citoyens à un an des élections?»

Invité le soir même de la manifestation chez RTL Télé, Dan Kersch tentait déjà d’apaiser: après tout, entre 6 et 7% des fonctionnaires publics seraient d’ores et déjà des étrangers et il faudrait désormais évaluer secteur par secteur où l’embauche d’étrangers serait censée.

Pour répondre au ton hostile de la CGFP, il répétait qu’évidemment les candidats non luxembourgeois devraient maîtriser la langue luxembourgeoise et surtout d’ajouter que «si j’ai le choix entre un médecin luxembourgeois et un médecin français, alors mon choix est relativement simple, mais si j’ai le choix entre un médecin français et aucun médecin, alors il est tout aussi clair que je prends le médecin français».

Un pour tous, et tous pour un

En fait, la CGFP avait organisé sa manifestation pour présenter ses revendications syndicales et lancer – dans un ton presque autoritaire – un ultimatum «à tous les partis» pour se positionner.

En premier lieu, la confédération réclame l’abolition du régime dit «80/80/90», correspondant à des salaires à hauteur de 80% du traitement de base lors des deux premières années de stage et de 90% lors de la troisième et dernière année de stage.

Par ailleurs, elle souhaite en finir avec le système d’évaluation et revendique la fin de la surcharge des fonctionnaires et des inégalités de traitement entre les différentes carrières, à l’image d’une différence de 100 points de base en début de carrière. Pour finir, elle juge «inacceptables» les tentatives de la politique de jouer les sous-organisations de la CGFP les unes contre les autres: «Qui s’attaque à l’un d’entre nous, s’attaque à nous tous.»

Bref, la CGFP remet en question la quasi-totalité de la réforme de la fonction publique, initiée pendant la dernière législature par le ministre CSV, François Biltgen, en 2010, signée en 2011 et votée en 2015.

80/80/90

Tandis que les principaux partis, le DP, le LSAP, Déi Gréng et le CSV, n’envisagent pas de supprimer le système d’évaluation, qui avait déjà été modifié en faveur des fonctionnaires suite au changement de gouvernement en 2013, les partis prennent des positions différentes en ce qui concerne le «80/80/90». Dan Kersch (LSAP), un «défenseur de la fonction publique», d’après ses propres termes, admettait le 16 novembre sur RTL qu’il n’était pas un grand supporter de ce régime défavorable aux jeunes.

Le LSAP, soutenu dans cette position uniquement par Déi Lénk, est néanmoins isolé. Du côté du parti auteur de la disposition, le CSV, pas question évidemment de revenir en arrière après tant d’années de négociations et de compromis. La députée du CSV, Octavie Modert, qui avait elle-même épaulé François Biltgen lors de la préparation de la réforme, déclarait que «les deux parties ont versé de l’eau dans leur vin». La députée reconnaît en revanche que la réforme du stage en soi, condition à l’époque pour réduire les salaires des stagiaires, devrait enfin être élaborée.

Tout comme le CSV, les libéraux ne se laissent pas mettre sous pression. Selon le député Gusty Graas (DP), le régime de salaires réduits en période de stage reste légitime, car les stagiaires suivent des formations pendant leur stage et ne sont pas opérationnels à 100%. Compte tenu de la sécurité de l’emploi dont bénéficie le fonctionnaire, l’État resterait d’ailleurs un employeur attractif. Déi Gréng n’a pas souhaité réagir à chaud.

On voit mal le prochain gouvernement – quelles que soient ses couleurs – faire marche arrière. Cela dit, la CGFP, en élevant la mise, pourra certainement compter sur d’autres gestes de générosité.