La Cour administrative consacre le principe de sécurité juridique pour les contribuables ayant reçu l'aval de l'Administration des contributions directes pour leur traitement fiscal. (Photo : Christophe Olinger / archives)

La Cour administrative consacre le principe de sécurité juridique pour les contribuables ayant reçu l'aval de l'Administration des contributions directes pour leur traitement fiscal. (Photo : Christophe Olinger / archives)

Débouté par le tribunal administratif, l’État l’a aussi été cette semaine en appel par la Cour administrative. Une mésaventure qui concourra certainement à resserrer encore la marge d’appréciation des préposés en matière de décisions fiscales anticipées.

L’affaire est née le 15 juin 2012 lorsqu’un résident belge écrit au bureau d’imposition des Sociétés 6 de l’ACD afin de lui soumettre un projet d’entreprise qu’il souhaite monter au Luxembourg. Il livre une présentation détaillée de la société à laquelle il compte apporter son savoir-faire «en consultance d’entreprise, plus particulièrement sur le plan des techniques de management, d’organisation d’entreprises, de risk management et d’actuariat». À ce titre, il envisage de considérer ce savoir-faire comme un apport de capital caché correspondant à 80% du bénéfice commercial et conclut donc que 80% des dividendes sont assimilables à un remboursement de capital ne subissant aucune retenue à la source par le fisc luxembourgeois.

Volte-face du Bureau 6

Réponse du préposé du Bureau 6 le 28 janvier 2013: «Je confirme par la présente que les conséquences fiscales mentionnées dans votre courrier sont conformes à la législation fiscale et à la position administrative en vigueur.» M. X., qui a déjà créé son entreprise entre-temps, en est soulagé. Sauf que dix mois plus tard, le même Bureau 6 l’informe qu’il n’accepte pas en la forme la déclaration fiscale déposée pour 2012. «En cas d’apport caché, le bureau d’imposition Sociétés 6 préfère se baser sur une étude effectuée par un tiers indépendant, alors que l’approche forfaitaire a été fournie par la fiduciaire même de la société X», argumente l’ACD. Le Bureau 6 émet en effet des bulletins d’IRC et d’ICC qui ne tiennent pas compte des 80% d’apport en capital caché.

La société envoie un courrier de protestation, auquel l’ACD répond en confirmant sa position, ajoutant que «le bureau d'imposition Sociétés 6 estime que la restructuration par M. X. est menée avec la seule intention d'éviter l'impôt par le montage d'une structure artificielle, c'est-à-dire motivée principalement à des fins de considérations fiscales.» Et le directeur de l’ACD répond par le silence au courrier de réclamation de la société.

Celle-ci finit donc par attaquer en réformation les bulletins d’imposition et la décision de l’ACD devant le tribunal administratif. Dans leur jugement du 16 décembre 2015, les juges lui donnent gain de cause et ordonnent la réformation des bulletins et de la décision. «L’apport caché d’un know-how, correspondant à 80% des bénéfices nets, est déductible du revenu imposable soumis à l’IRC et à l’ICC», reconnaît le tribunal, qui condamne l’État aux frais car les renseignements donnés par le préposé au préalable ont eu une «influence déterminante sur le contribuable».

Les conditions d’une décision préalable de l’administration sur un cas d’imposition individuel n’étaient pas réglementées.

Cour administrative

L’État relève appel de ce jugement. Il estime que la demande de renseignements du 15 juin 2012 est «sommaire voire lacunaire» et qu’elle a «induit en erreur le préposé qui n'aurait certainement jamais donné son accord si elle lui avait soumis tous les éléments du dossier».

Dans sa décision du 12 juillet 2016, la Cour d’appel indique qu’«il convient de relever que suivant la législation applicable au courant de l’année d’imposition litigieuse, les conditions d’une décision préalable de l’administration sur un cas d’imposition individuel n’étaient pas réglementées. Toutefois, cette pratique est basée sur le principe de confiance légitime qui répond au souci du respect de la sécurité juridique ayant pour objectif d’assurer la prévisibilité de l’administration.»

Le tribunal a «valablement retenu» que la société avait fourni un «exposé clair du cas d’imposition et une formulation précise de la question d’interprétation», ajoute la Cour administrative. «Il aurait incombé à l’administration de requérir le cas échéant des précisions complémentaires, notamment sur la réalité et la valeur du know-how indiqué dans la demande, et ce au cas où la structure envisagée n’avait pas paru comme acceptable au vu des seules indications et propositions de traitement fiscal dans la demande du 15 juin 2012.»

L'ombre de Marius Kohl

Rejetant également l’argument de l’État selon lequel la société visait un objectif d’évitement fiscal, la Cour administrative confirme l’intégralité du jugement de première instance et déboute l’État de son recours. En l’absence de juridiction supérieure en matière administrative, sa décision s’avère donc définitive.

Le nom du préposé qui a confirmé l'interprétation fiscale de M. X. n'apparaît pas dans le jugement. Au vu de la chronologie des faits, il se pourrait qu'il s'agisse de Marius Kohl, rendu célèbre par la publication de rescrits montrés dans l'émission Cash Investigation en mai 2012 puis dans le cadre des révélations LuxLeaks. Le préposé du Bureau 6 était en effet en fonction jusqu'au 1er octobre 2013. Il aurait donc pu confirmer le montage fiscal de M. X., un montage ensuite désavoué par son successeur.