Philip Cordery: «Je n’ai qu’une élection derrière moi, je ne suis pas encore usé». (Photo: paperJam.lu)

Philip Cordery: «Je n’ai qu’une élection derrière moi, je ne suis pas encore usé». (Photo: paperJam.lu)

Monsieur Cordery, vous êtes le député sortant de la quatrième circonscription des Français de l’étranger, à savoir ceux résidant au Luxembourg, en Belgique et aux Pays-Bas. Quel est le rôle d’un député des Français de l’étranger? Que peut-il faire pour eux?

«Il peut faire beaucoup de choses. C’est vrai que beaucoup de gens se posaient la question, il y a cinq ans, de ce à quoi allaient servir les députés des Français de l’étranger qui allaient être élus pour la première fois, après la réforme de la Constitution française de 2008. Et collectivement, je pense que nous avons apporté une certaine réponse.

Personnellement, je m’étais fixé trois objectifs. Le premier, c’était de regarder dans chaque loi quel était son impact pour les Français de l’étranger, comme celles sur le certificat de vie ou sur le compte personnel d’activité que nous sommes parvenus à amender.

Le deuxième objectif était de faire remonter les bonnes pratiques de la circonscription et le troisième, comme tout député, d’accompagner quotidiennement les Français pour résoudre des problèmes, mais aussi valoriser leurs réussites puisque je vais souvent voir des commerçants, des artisans ou des entrepreneurs français qui ont parfois besoin de mise en relation pour réussir ce qu’ils entreprennent.

Tout le travail législatif émane des rencontres avec les Français de l’étranger.

Philip Cordery - Député des Français du Benelux

Vous venez de nous rappeler que vous avez été élu en 2012 comme député des Français de l’étranger de cette quatrième circonscription. Quel bilan tirez-vous de ces cinq ans?

«On a pu trouver une place à l’Assemblée nationale pour ces Français de l’étranger. Et aujourd’hui, nos concitoyens savent qu’avoir un élu de proximité qui connaît leurs problèmes et qui peut les résoudre est un vrai avantage.

Je me suis beaucoup engagé, notamment sur les questions transfrontalières puisque j’ai présidé pendant ces cinq ans un groupe d’étude au Parlement sur ces questions et nous avons organisé des échanges sur des thèmes tels que les soins de santé, pour lesquels le Luxembourg et la France ont par exemple signé un accord cadre. Il a aussi été question des transports, pour faciliter la mobilité, de la coopération universitaire, ou encore de la reconnaissance des diplômes entre la France et les pays du Benelux qui est un dossier que j’espère faire encore aboutir, comme celui de la cotisation de dépendance puisque si les frontaliers, comme les résidents français, cotisent, ils n’ont pas droit à la prestation équivalente s’ils prennent leur retraite en France.

Dans ce cadre, les départements frontaliers vont expérimenter une mesure pour que ceux qui ont cotisé aient droit à la prestation.

Comment représente-t-on les Français dans trois pays? Comment organise-t-on son temps, son agenda?

«On commence tout d’abord par passer la moitié de la semaine à Paris, puisque c’est là qu’on légifère.

Et puis, le reste du temps, on le passe dans sa circonscription. Je vis à Bruxelles, ce qui est assez central dans le Benelux, mais chaque fin de semaine je vais soit au Luxembourg, soit ailleurs en Belgique ou aux Pays-Bas à la rencontre d’associations françaises, d’entreprises françaises, d’étudiants lorsqu’il y en a, et parfois on écrit plus simplement à ces Français de l’étranger avec lesquels on organise des réunions pour discuter avec eux et faire notamment des comptes rendus de mandats, comme je m’y étais engagé.

Ces échanges sont très importants, car tout le travail législatif émane de ces rencontres à travers lesquelles on peut se rendre compte de certaines difficultés ou de certains problèmes, qu’on tente ensuite de régler par des amendements ou des propositions de loi à l’Assemblée nationale.

L’impôt à la source et le vote obligatoire sont des exemples de bonnes pratiques luxembourgeoises.

Philip Cordery - Député des Français du Benelux

Avez-vous observé de bonnes pratiques dans votre circonscription et ensuite tenté de les remonter à Paris?

«J’ai déjà défendu à l’Assemblée nationale la question de la fin de vie puisque nous avons légiféré sur ce sujet en France.

Je suis aussi venu au Luxembourg avec une délégation parlementaire pour voir comment la cotisation de dépendance fonctionnait ici, parce que j’estimais que cela pouvait être aussi un exemple pour la France.

Et dans mon programme, on peut retrouver quelques exemples de bonnes pratiques luxembourgeoises comme l’impôt à la source – en espérant que ce projet soit maintenu chez nous – et la question du vote obligatoire que je me pose aussi, car je pense qu’il est important de favoriser la participation électorale en France, en parallèle avec la reconnaissance du vote blanc.

Quant aux quotas de femmes en politique, j’y suis favorable. Le Parti socialiste français l’applique depuis longtemps, et je pense que cela va dans le sens de l’histoire.

Comment envisagez-vous la recomposition de cette Assemblée nationale au soir du 18 juin?

«Il va y avoir du changement, d’abord parce qu’il y a un nouveau parti qui existe, qui a fait élire un président et qui est La République en Marche. Moi, je pense qu’il peut y avoir une coalition qui sera issue de ces législatives. Je pense que la France est prête pour cela. Prête à un gouvernement de coalition comme la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas le pratiquent depuis longtemps déjà. Pouvoir trouver des compromis serait intéressant pour pouvoir faire avancer la démocratie en France. Je verrais bien une coalition entre La République en Marche, l’Union des démocrates et indépendants (UDI) et une partie des socialistes qui soutiennent ou qui pourraient soutenir la majorité présidentielle dans laquelle je me retrouve.

J’ai soutenu Emmanuel Macron car c’est celui dont je me sentais le plus proche.

Philip Cordery - Député des Français du Benelux

Vous êtes le représentant d’un parti – le Parti socialiste – qui est pour le moins mal en point et qui a pratiquement explosé à la dernière présidentielle. Que va-t-il en rester après ces législatives?

«Il y a certains socialistes qui n’ont pas souhaité s’inscrire dans cette majorité présidentielle. Moi, j’ai appelé à voter pour Emmanuel Macron bien avant le premier tour. Aujourd’hui, il y a beaucoup de socialistes qui font campagne pour peser dans la majorité présidentielle, avec un regard particulier, un regard social, un regard européen, et un regard aussi de terrain.

J’ai toujours légiféré en responsabilité, en liberté et avec de la vigilance. Je n’ai pas tout voté même si j’étais dans une majorité, comme la déchéance de nationalité par exemple. Je crois qu’il est important de garder une certaine boussole pour soi. On n’est pas obligé, sans être frondeur, de tout voter et c’est cette conscience, cette boussole sociale, qu’on souhaite inspirer à cette majorité présidentielle dans laquelle on peut se retrouver.

Pour cette présidentielle donc, vous n’avez pas soutenu le candidat de votre parti, Benoît Hamon…

«Non. J’ai soutenu Emmanuel Macron car c’est celui dont je me sentais le plus proche au niveau ‘programmatique’. Et puis parce que je voulais aussi éviter un deuxième tour entre François Fillon et Marine Le Pen. Le meilleur moyen, c’était d’avoir un candidat progressiste, réformiste, qui avait fait partie du gouvernement que j’ai soutenu et en qui la gauche réformiste, la gauche démocrate, peut se retrouver aujourd’hui.

D’aucuns affirment que vous auriez cherché à obtenir l’investiture de la République en Marche pour ces élections législatives. Mais elle a été confiée à quelqu’un d’autre, en l’occurrence Pierre-Alexandre Anglade…

«Ce que j’avais espéré, et je l’avais dit publiquement, c’était que La République en Marche et la frange progressiste ou réformiste du Parti socialiste puissent s’entendre pour qu’il y ait des doubles investitures et qu’il ait un seul candidat à chaque fois pour ne pas démultiplier les candidatures.

C’est dans ce cadre-là que j’avais sollicité l’investiture d’En Marche pour avoir une double investiture. Cela n’a pas été le cas et ils ont préféré investir quelqu’un d’autre. Dont acte. Cela ne m’empêche pas de me retrouver dans la majorité présidentielle en tant que socialiste réformiste.

Un parti en décomposition, et une tentative d’aller monnayer vos services ailleurs… Cela ne va-t-il pas rendre difficile votre réélection?

Ce sont les électeurs qui jugeront. Moi, j’ai pris mes responsabilités avant le premier tour parce que j’estimais que c’était bon pour le pays. Aujourd’hui, les électeurs ont des candidats multiples parmi lesquels ils auront à choisir, et moi je représente cette tendance dans la majorité présidentielle mais qui peut peser avec un regard un peu différent et une expérience de terrain, et qui connaît les Français du Luxembourg, de la Belgique et des Pays-Bas.

Je n’ai qu’une élection derrière moi, je ne suis pas encore usé et je peux agir dans la continuité.

Dans la zone euro, il nous faut un exécutif clairement identifié.

Philip Cordery – Député des Français du Benelux

Quel regard portez-vous sur les places financières européennes en général et sur celle de Luxembourg en particulier?

«C’est un des grands enjeux post-Brexit puisque la place financière de Londres ne sera plus dans l’Union européenne, ce qui peut représenter une chance pour le Luxembourg.

Cela dit, s’il faudra continuer dans l’Union européenne le fait que chaque pays ait sa spécialisation en termes économiques et financiers, ce qui est important est que l’on passe désormais d’une logique de compétition à une logique de coopération au niveau européen, y compris en matière fiscale.

On ne peut plus avoir aujourd’hui une monnaie unique sans avoir une politique fiscale ou une politique salariale coordonnée. Cela crée des déséquilibres trop importants.

Je suis pour qu’on renforce la place financière ici, mais je souhaite qu’on ait en même temps un travail de coopération fiscale et salariale en Europe.

En matière de gouvernance de la zone euro, soutenez-vous l’idée de désigner un ministre européen des Finances?

«Oui, entièrement. D’ailleurs, j’ai fait un rapport à l’Assemblée nationale prônant la désignation d’un haut représentant aux questions de la zone euro. Ce qui équivaut à la désignation d’un ministre des Finances.

Ce qui est important, c’est qu’on ait un exécutif clairement identifié, et qui dit exécutif, dit aussi un Parlement de la zone euro. J’aimerais qu’on ait, au Parlement européen, une sous-chambre qui puisse contrôler l’exécutif de la zone euro et puis un budget qu’il faudrait mettre en place, qui permettrait d’investir et aussi d’éviter les déséquilibres macroéconomiques et les crises comme on a pu en voir en Grèce.

Je pense qu’il y a urgence aujourd’hui. On a une Union européenne qui est au milieu du gué. On a un cadre, on a une monnaie unique, mais on ne va pas jusqu’au bout de l’intégration économique, notamment en matière de fiscalité, de salaires ou de politique sociale.

Et à force d’être dans ce déséquilibre, on crée de l’incertitude qui favorise les populismes qui sont en train de monter aujourd’hui en Europe.»