Du G20 à l’Élysée, Emmanuel Macron et Xavier Bettel affichent leurs accointances. Mais les intérêts nationaux priment cette relation privilégiée. (Photo: Anthony Dehez / archives)

Du G20 à l’Élysée, Emmanuel Macron et Xavier Bettel affichent leurs accointances. Mais les intérêts nationaux priment cette relation privilégiée. (Photo: Anthony Dehez / archives)

Nonobstant la proximité affichée par le président français, Emmanuel Macron, et le Premier ministre luxembourgeois, Xavier Bettel, chacun travaille aux intérêts de son pays. Le second n’a donc pas manqué d’exprimer son désaccord face à la proposition française de taxer les Gafa – Google, Apple, Facebook et Amazon – sur le chiffre d’affaires réalisé dans chaque pays européen, et non sur les bénéfices, comme c’est le cas actuellement.

Une façon d’apporter un «juste financement du bien commun par une taxation des acteurs qui concurrencent nos acteurs européens», selon le président français, qui avait qualifié les Gafa de «passagers clandestins du monde contemporain» lors de son discours sur l’Europe mi-septembre.

Le président Macron a œuvré pour que cette initiative soit inscrite à l’ordre du jour du sommet de Tallinn consacré au numérique. Mais si discussion il y a eu, l’unanimité requise en matière de fiscalité paraît encore loin d’être acquise.

Ce n’est pas un sujet européen, mais un sujet mondial.

Xavier Bettel, Premier ministre luxembourgeois

Si la France se fait forte du soutien de 19 pays, dont l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne, plusieurs autres ont exprimé leurs divergences de vues, à commencer par l’Irlande. «Si nous voulons que l’Europe devienne numérique et que des champions européens émergent, la solution ne passe pas par plus de taxes et de régulations», a argumenté son Premier ministre Leo Varadkar, cité par Les Échos. «En fait, c’est tout le contraire.»

Malte et Chypre ont également fait part de leur opposition à toute taxation sur le chiffre d’affaires des Gafa, tout comme le Luxembourg, avec un dénominateur commun: ces quatre pays hébergent le siège d’un Gafa et seraient donc en première ligne d’un passage de la taxation des bénéfices à celle du chiffre d’affaires effectif pays par pays.

«Je suis d’accord avec 90% des propositions d’Emmanuel Macron pour l’Europe, mais celle sur la taxation du numérique est problématique», a indiqué Xavier Bettel, cité par Les Échos. «Ce n’est pas un sujet européen, mais un sujet mondial, sans quoi on va juste rendre l’Europe moins compétitive. Le Luxembourg est ouvert à la discussion sur la fiscalité numérique, mais dans le cadre de l’OCDE, et en taxant alors les profits, plutôt que le chiffre d’affaires.»

«Nous sommes conscients de la situation et du fait que les instruments ne réussissent pas à répondre aux réalités actuelles», corrobore le ministère des Finances, joint lundi soir par Paperjam.lu. «Le Luxembourg veut réfléchir sur le problème de la fiscalité dans l’économie digitale. Il y est ouvert, mais il lui semble important d’élever cette discussion au niveau de l’OCDE et de renforcer le ‘level playing field’, surtout que la plupart des entreprises concernées sont américaines.»

Dans le secteur numérique, les taxes doivent être payées là où elles sont dues.

Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne

Une ouverture vers l’argument d’un troisième groupe de pays, mené par les Pays-Bas, qui jugent la proposition française juridiquement mal façonnée et incompatible avec les modèles économiques des géants du numérique. Ces pays, qui craignent que l’Europe ne se tire une balle dans le pied en légiférant de la sorte, militent pour une réforme dans le cadre de l’OCDE, impliquant ainsi davantage de pays, dont les États-Unis. Une perspective toutefois mise en danger par les réticences américaines à ce sujet, et encore davantage par le désintérêt de l’administration Trump pour les négociations multilatérales.

Et même si la Commission européenne tire dans le même sens que Paris – son président, Jean-Claude Juncker, insistant sur le fait que «dans le secteur numérique, les taxes doivent être payées là où elles sont dues» et annonçant des propositions en 2018 «pour une taxation équitable et efficace» -, elle ne cache pas son scepticisme face à l’applicabilité d’une taxation sur le chiffre d’affaires, et prône plutôt une position commune européenne à la table de l’OCDE afin de pousser une action à cette échelle.