Les députés n’ont pas encore sur leur bureau le projet de loi de transposition de la 4e directive européenne anti-blanchiment. (Photo: Maison moderne / archives)

Les députés n’ont pas encore sur leur bureau le projet de loi de transposition de la 4e directive européenne anti-blanchiment. (Photo: Maison moderne / archives)

Dans une centaine de jours, le 26 juin très précisément, la quatrième directive européenne sur la lutte contre le blanchiment d’argent, adoptée en mai 2015, devra être transposée en droit national.

Difficile à ce jour d’être certain que le pays respectera ce calendrier (sans pour autant qu’un retard soit gravement préjudiciable au bon fonctionnement de la Place), dans la mesure où aucun avant-projet de loi n’a encore été présenté au gouvernement. «Il le sera quand le texte sera prêt», répondent, en substance, les ministères des Finances et de la Justice, interrogés sur l’état d’avancement du dossier.

En attendant, les commentaires et les discussions vont bon train chez les professionnels. Et les interrogations aussi, surtout après les propositions de modification de ladite directive publiées en juillet dernier en vue de renforcer davantage les règles de transparence pour empêcher l’évasion fiscale et le blanchiment de capitaux. Il est notamment question d’accorder au public un accès illimité aux registres des bénéficiaires effectifs et d’étendre le champ des informations accessibles aux autorités.

Une stratégie commerciale discrète n’est pas forcément synonyme d’illégalité ou de fraude fiscale.

Thierry Grosjean, président de l’Alco

«La directive prévoit que toute personne pouvant démontrer un intérêt légitime pourra avoir accès à ce registre», explique Thierry Grosjean, le président de l’Association luxembourgeoise des compliance officers (Alco). «Certaines personnes souhaiteraient que ce registre puisse être accessible au plus grand nombre, ce qui pourrait poser beaucoup de problèmes d’un point de vue purement business. En effet, au sein de l’Union européenne, le système de libre circulation des biens, des services et des capitaux prévaut et dans un tel contexte de libre concurrence, il peut être crucial de ne pas divulguer certaines informations économiques, à condition évidemment de ne pas avoir d’intention frauduleuse. La mise en place d’une stratégie commerciale discrète n’est pas forcément synonyme d’illégalité ou de fraude fiscale.»

Les fonds s’inquiètent

Les conditions de création et de gestion de ce registre constituent actuellement les principales sources d’inquiétude sur la Place, surtout en raison de la totale absence de matière concrète sur le sujet. «En l’absence d’informations sur les modalités pratiques de la mise en place d’un tel registre et surtout des conditions d’accès, il y a beaucoup de questions et pas encore de réponses», explique à Paperjam.lu Roxane Haas, associée et AML leader chez PwC Luxembourg. «Nous constatons cependant que certains pays de l’Union européenne comme la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, l’Allemagne ou la France sont en avance par rapport à d’autres.»

La problématique est susceptible de toucher, par exemple, de manière très cruciale, le secteur des fonds d’investissement. «Pour certains de ces fonds qui sont des sociétés, faudra-t-il déclarer toutes les personnes qui ont investi dans le fonds et qui répondent à la définition de bénéficiaire économique?», s’interroge Nicolas Sageau, expert AML chez PwC Luxembourg. «Dans le registre des actionnaires, on retrouve ainsi souvent des intermédiaires qui investissent pour le compte des investisseurs et il est donc très difficile de savoir qui a réellement investi à l’autre bout de la chaîne.»

Les questions se posent aussi dans le cas des sociétés constituées à des fins de succession patrimoniale. «A-t-on vraiment envie de voir son nom ou celui de ses héritiers accessible à n’importe qui? Ce n’est pas sûr», constate M. Sageau.

Certains pays de l’Union européenne sont en avance par rapport à d’autres.

Roxane Haas, associée et AML leader chez PwC Luxembourg

Pour l’heure, donc, c’est l’attente du côté des professionnels, en particulier ceux concernés par la législation AML (anti-money laundering). Le 17 février dernier, la Commission de surveillance du secteur financier a émis une directive rappelant que la loi du 23 décembre 2016 portant mise en œuvre de la réforme fiscale 2017 définissait spécifiquement l’extension de l’infraction de blanchiment à la fraude fiscale aggravée et à l’escroquerie fiscale et créant une nouvelle catégorie d’infractions sous-jacentes graves: les infractions fiscales pénales liées aux impôts directs et indirects.

Mais tous seront dans les starting-blocks lorsque les premiers textes seront officiellement présentés. «Nous sommes rodés et nous appliquerons bien évidemment à la lettre la transposition de la 4e directive en droit national», indique M. Grosjean. «Mais attention à ce que la surenchère réglementaire ne soit pas un frein à la croissance. Pour ce faire, il faut que les autorités compétentes puissent en prendre la juste mesure et en faire une promotion efficace. Il est évidemment louable de vouloir rendre le marché commun de l’UE ultra-transparent, mais il faut en même temps expliquer les bienfaits de la démarche. Il ne faudrait pas en effet que les investisseurs étrangers nous considèrent à tort comme un marché imperméable du fait d’un déferlement réglementaire et de processus administratifs trop complexes risquant de les décourager d’investir.»