En se positionnant comme un pionnier de l’exploitation spatiale, le Luxembourg entend développer une nouvelle activité de son industrie. Objectif: refaire le pari réussi de SES et confirmer son statut de pays novateur. (Image: DSI)

En se positionnant comme un pionnier de l’exploitation spatiale, le Luxembourg entend développer une nouvelle activité de son industrie. Objectif: refaire le pari réussi de SES et confirmer son statut de pays novateur. (Image: DSI)

«Les ambitions économiques du Luxembourg n’ont plus de limites. Pas même celles de l’espace.» C’est en ces termes qu’a été interprété par la presse internationale le projet dévoilé début février par Étienne Schneider, ministre de l’Économie. Le Grand-Duché entend donc écrire un chapitre encore inédit de l’histoire de son industrie spatiale, en passant du stade de l’exploration du système solaire à celui de son exploitation. Devancé de quelques mois par Barack Obama et son «Space Act» qui accorde à tout Américain ou société américaine l’usage commercial des matériaux issus de la Lune ou de corps célestes, le Luxembourg veut profiter à la fois de son expérience et de sa flexibilité pour briller dans l’économie céleste. Cela passera tout d’abord par la mise en place d’«un cadre législatif adapté».

Cet ensemble à venir de lois uniques en Europe devra non seulement garantir la propriété des matériaux collectés au secteur privé, mais se devra aussi d’être suffisamment attractif pour faire venir au Luxembourg les acteurs tentés par cette nouvelle activité. Un défi confié à la chaire de droit de l’Uni, qui s’avère d’autant plus ambitieux que le gouvernement s’est engagé à ne pas avoir recours à des mesures d’incitation fiscale pour accélérer le mouvement. Les experts de participent donc à l’élaboration d’un plan d’action destiné à faire émerger une activité de forage et d’exploitation des ressources des astéroïdes qui, de l’aveu même du ministre, est estimée à plusieurs milliers de milliards de dollars.

Du concret dans les 15 prochaines années

Les autorités espèrent ainsi que cette manne financière puisse fructifier sur le territoire luxembourgeois. Non seulement via l’implantation d’entreprises de pointe du secteur, mais aussi par la prise de participation directe de l’État dans les sociétés les plus prometteuses ou par des investissements dans les projets les plus novateurs. Une stratégie qui n’est pas sans rappeler celle mise en place autour du futur satellite de communications gouvernementale et militaire LuxGovSat, développé en joint venture avec le pionnier du spatial luxembourgeois: SES. «L’objectif premier est d’attirer les activités de recherche et développement et de faire le lien avec les sociétés déjà implantées au Luxembourg», assure Paul Zenners, porte-parole du ministère de l’Économie. Et les premiers échos semblent positifs, puisque depuis l’annonce officielle, «plusieurs dizaines» de candidatures, issues tant de sociétés que de fonds d’investissements, sont parvenues à l’administration du boulevard Royal.

Mais les défis à relever avant de toucher au nouveau Graal spatial restent encore nombreux. Pour y parvenir, le gouvernement a choisi de s’entourer d’experts du secteur pour les relever, dont le premier à être rendu public n’est autre que Jean-Jacques Dordain, ancien directeur de l’Agence spatiale européenne. Huit mois après avoir quitté ses fonctions, il est devenu l’un des conseillers spéciaux luxembourgeois, prenant part au board de spaceresources.lu, nom de code du projet luxembourgeois. Joint par Paperjam, M. Dordain estime que «chacune de ces étapes est à portée de main techniquement», même si l’exploitation de nickel, de platine ou d’eau n’est pas attendue dans l’immédiat. «Les premières réalisations concrètes pourraient intervenir au cours des 15 prochaines années», estime pour sa part Yves Elsen, président du Groupement luxembourgeois de l’aéronautique et de l’espace. Jean-Jacques Dordain, lui, se veut plus optimiste en assurant que «des synergies pourraient être trouvées avec d’autres industries à court terme», en pensant notamment à l’industrie des forages sous-marins. «Les techniques utilisées sont les mêmes, seul le voyage change», assure-t-il.

L’eau, ce véritable enjeu

Se poser sur un astéroïde, exploiter sa surface et éventuellement ramener les matériaux obtenus sur Terre nécessite non seulement le développement de nouvelles technologies, mais aussi la mise en place de techniques de détection poussées des cibles à explorer. Sur les 700.000 astéroïdes identifiés à ce jour, seuls 10.000 seraient à une distance raisonnable de la Terre, et donc potentiellement exploitables «rapidement». En revanche, aucune donnée scientifique ne permet pour le moment d’assurer que chacun d’entre eux possède des matériaux intéressants, encore moins en quantité suffisante pour justifier une telle opération minière.

«Il y a effectivement un énorme travail de cartographie à réaliser, sans compter la nécessité d’obtenir encore plus de données sur l’analyse de la composition des astéroïdes pour déterminer quelles seront les ressources exploitables», reconnaît Yves Elsen. Même si la présence avérée de minéraux a un intérêt économique évident, l’exploitation de l’eau présente sur ces corps célestes serait toutefois le véritable enjeu de cette nouvelle aventure spatiale. Composée de molécules d’oxygène et d’hydrogène, elle pourrait servir non seulement d’élément vital pour permettre la vie dans le cadre de l’exploration spatiale, mais aussi d’élément moteur pour cette dernière, l’hydrogène servant de comburant aux engins spatiaux qui pourraient ainsi dépasser les limites actuelles en se servant des astéroïdes comme de stations-service.

Une stratégie menée étape par étape

Selon Chris Lewicki, président de Planetary Resources, société américaine spécialisée dans les techniques spatiales d’exploitation minière, la valeur de ce marché potentiel est estimée à un billion de dollars. Soit un million de millions de dollars. Pas étonnant dans ce contexte que plusieurs acteurs majeurs aient d’ores et déjà manifesté leur intérêt pour le projet luxembourgeois. Outre Planetary Resources, l’américaine Deep Space Industries, implantée depuis l’été dernier au Grand-Duché avec son quartier général européen, se trouve également sur les rangs. Deux acteurs à la pointe de l’innovation qui ont réussi certaines étapes indispensables aux ambitions grand-ducales, comme l’utilisation de minéraux d’astéroïdes ou la réalisation d’une manœuvre orbitale entre deux satellites sans intervention humaine. Deux premières mondiales qui devraient avoir leurs conséquences appliquées, sous une forme ou sous une autre, au projet luxembourgeois.

Présenté comme «une stratégie qui ne pourra être menée qu’étape par étape» et qui devra «nécessiter bon nombre de ressources», le projet ne devrait cependant pas générer un nombre spectaculaire d’emplois. Quelques centaines dans le meilleur des cas. De quoi peut-être faire franchir, dans les années à venir, le cap des 1.000 personnes travaillant dans un secteur qui en compte actuellement 750, réparties dans deux instituts de recherche et une vingtaine de sociétés.