Philippe Poirier: «Ce n’est pas parce que vous avez eu tant de score à la présidentielle que vous pouvez retrouver ce score-là aux législatives». (Photo: DR)

Philippe Poirier: «Ce n’est pas parce que vous avez eu tant de score à la présidentielle que vous pouvez retrouver ce score-là aux législatives». (Photo: DR)

Monsieur Poirier, le résultat du second tour de la présidentielle du dimanche 7 mai a donné une victoire plus importante à Emmanuel Macron que ce qui avait été prévu ou annoncé. Comment l’expliquez-vous?

«Il y a deux choses qui, à mon sens, peuvent justifier cette plus large victoire. La première est qu’Emmanuel Macron a réussi à attirer vers lui un électorat de droite et de centre-droit plus important que prévu, notamment dans l’ouest de la France, en Bretagne et dans les Pays de la Loire notamment, ainsi qu’en Rhône-Alpes.

Et que, deuxièmement, Marine Le Pen n’est pas parvenue, pour sa part, à faire adhérer à sa cause une certaine frange de la droite conservatrice. En ajoutant encore à cela le vote des Français de l’étranger, qui ont très largement plébiscité, à plus de 80%, le nouveau président de la République.

Le débat de l’entre-deux-tours, lors duquel Madame Le Pen s’en est moins bien sortie que son opposant, a-t-il également eu un effet sur ce second tour?

«Non, je n’y crois pas. Et cela vaut pour chaque débat présidentiel, qu’il soit organisé en France ou ailleurs. On l’a vu récemment avec Monsieur Trump aux États-Unis, qui avait perdu les trois derniers débats télévisés, face à Madame Clinton.

Ce qui a joué dans cet entre-deux-tours, c’est que Marine Le Pen a tenté, mais sans succès, de s’attirer le vote Mélenchon du premier tour, en évoquant la fracture ou la colère sociale.

Macron doit maintenant éviter la dispersion des votes.

Philippe Poirier, politologue à l’Université du Luxembourg

Non seulement elle n’y est pas parvenue, mais cela a contribué à se découvrir du côté de toute la droite conservatrice – un des noyaux de l’électorat de François Fillon – à qui ces sujets n’ont pas parlé.

Comment faut-il comprendre son annonce de recomposition du Front national?

«Il faut s’attendre à ce qu’elle transforme son parti sans doute comme l’avait fait il y a 20 ans en Italie Gianfranco Fini, qui était passé du MSI à l’Alliance nationale pour justement attirer un électorat plus conservateur, conservateur ou plus simplement de droite, qui lui faisait défaut jusque-là.

Pour remporter ce second tour, Emmanuel Macron a engrangé des voix issues de ses propres rangs, mais pas que. Ces voix vont-elles se redistribuer lors des législatives du mois de juin?  

«Tout l’enjeu pour Monsieur Macron est maintenant le choix de son Premier ministre, qui devra mener la campagne jusqu’aux législatives.

S’il nomme un Premier ministre du centre, du centre-droit, voire de la droite – et il y a de nombreux postulants –, cela voudra dire qu’il va tenter de conserver une grande partie de l’électorat qui s’est porté contre Madame Le Pen vers lui, électorat de centre-droit libéral et européen dont il est très proche lui-même.

S’il choisit un Premier ministre de son mouvement, ou issu de la société civile, avec une forte personnalité, même si cela paraît difficile de mener un combat électoral à aussi court terme, il y aura là un risque de redistribution des voix conquises hier soir, soit vers les Républicains, soit – même plus faiblement – vers le Parti socialiste.

Des notables locaux

Enfin, troisième possibilité, s’il opte pour un chef de gouvernement issu centre-gauche en essayant simplement de capitaliser sur sa dynamique électorale du deuxième tour parce que le centre-gauche et une partie de la gauche a voté pour lui, il y aura là une possibilité que des électeurs se rabattent vers des candidats du centre–droit de l’UDI ou des Républicains.

Donc, je le répète, tout l’enjeu consiste en la nomination de ce Premier ministre pour éviter la dispersion des votes.

Et puis, il y a un phénomène qu’il ne convient pas de perdre de vue, c’est que les élections législatives, ce sont aussi parfois – et à juste titre – des candidats qui sont élus dans un territoire, qui expriment un contexte particulier. Ce n’est pas parce que vous avez eu tant de score à la présidentielle que vous pouvez retrouver ce score-là aux législatives, car il y a quand même des notables locaux qui ont la capacité non pas d’endiguer toute la vague, mais, dans certaines circonscriptions, d’être élus. Cela vaut pour des élus socialistes comme pour des élus républicains, ou peut-être le nièce de Madame Le Pen.

Partagez-vous l’avis selon lequel le paysage politique français a changé depuis cette présidentielle?

«Je dirais qu’il a changé depuis ces 10 dernières années. Parce que les partis politiques, qu’on le veuille ou qu’on ne le veuille pas, ne sont plus les réceptacles des opinions ou de la formation des citoyens. On l’a bien vu: un candidat qui n’avait même pas un mouvement il y a de cela un an et demi a été capable d’être élu président de la République, l’une des élections les plus difficiles dans les systèmes politiques en Europe.

Les partis politiques ne sont plus assez attractifs. Ils ne sont que centrés sur certaines questions. C’est ça qui a déjà changé la donne dans le système politique.

Cette nouvelle ère politique, c'est une lente maturation.

Philippe Poirier, politologue à l’Université du Luxembourg

Et une deuxième chose est que les clivages économiques et sociaux ont aussi changé. À force que le centre-droit ou le centre-gauche organisent un certain type de politique économique ou de politique budgétaire, les électorats se mélangent, et c’est cela qui a changé en France également et qui a été démontré dimanche soir.

Dans le même temps, il y a aussi des clivages qui se sont radicalisés. Car si Madame Le Pen ne fait que 34% de suffrages, elle fait quand même 11 millions de voix. C’est monumental! Et Jean-Luc Mélenchon est, lui encore, à l’orée du bois pour les législatives. Même s’il ne gagnera pas beaucoup de députés, il peut faire aussi un score important.

Oui, on est rentré dans une nouvelle ère politique, avec des nouvelles façons de faire de la politique, d’organiser des élections, d’organiser des coalitions, mais ce n’est pas arrivé simplement hier soir, c’est une lente maturation qui se déroule depuis une dizaine d’années dans le système politique français, comme dans d’autres en Europe.»