Guillaume de Posch dans l'antre de la diffusion des chaînes RTL, depuis le Kirchberg. En attendant une salle des contrôles flambant neuve dans le nouveau siège en construction. (Photo: Mike Zenari)

Guillaume de Posch dans l'antre de la diffusion des chaînes RTL, depuis le Kirchberg. En attendant une salle des contrôles flambant neuve dans le nouveau siège en construction. (Photo: Mike Zenari)

En poste depuis avril 2012, Guillaume de Posch dispose d’une solide expérience dans les médias, auprès de TPS en France (1997 à 2003), où il fut directeur général adjoint et directeur des programmes, et ProSiebenSat1 en Allemagne, où il fut COO puis CEO (2004 à 2008). Sa nomination en tant que COO chez RTL en 2012 fut en fait un retour, puisqu’il avait connu l’un des parents du groupe, la CLT, en 1993. Il dirigea notamment les opérations TV dans les pays francophones. Une appétence pour les programmes qu’il poursuit. Son mandat de CEO entamé en avril 2012 concerne particulièrement les opérations d’émissions du groupe, en dehors de l’Allemagne (marché coordonné par sa co-CEO Anke Schäferkordt), ainsi que la branche de production de contenu. 

Quelques jours après la publication des résultats annuels de RTL Group et de son assemblée générale, il nous livre ses vues sur trois lettres intimement liées au Luxembourg: RTL. 

Monsieur de Posch, RTL Group a présenté récemment des résultats 2015 record. J’imagine donc que nous rencontrons un CEO comblé…

«Nous sommes forcément heureux de présenter des résultats record, mais nous ne faisons pas de complaisance à l’égard de notre agenda opérationnel interne. Notre challenge reste le même: appliquer notre réussite acquise pour la TV linéaire à la TV non linéaire, la VOD. C’est un chantier que ma co-CEO, Anke Schäferkordt, et moi-même conduisons sur le long terme, en consolidant notre troisième pilier qui est le digital, aux côtés du pilier historique qui est celui de la diffusion en radio et en télévision, suivi par le deuxième dédié aux contenus avec FremantleMedia. Nous sommes donc dans une 'longue marche', pour paraphraser celle des révolutionnaires chinois, même si la diffusion de nos programmes et chaînes est en réalité déjà entièrement opérée de façon digitale.

Quelle est la marge de manœuvre dont vous disposez de la part de votre actionnaire majoritaire Bertelsmann?

«En dégageant un cash flow supérieur à un milliard, nous pouvons nous donner les moyens d’investir sur le long terme. C’est précisément avec cette optique que Bertelsmann nous soutient. Nous avons la chance d’être cotés en bourse, ce qui nous donne un bulletin trimestriel sur le marché, tout en disposant d’un actionnaire qui a une vision stratégique.

L’ADN du groupe est amené à évoluer.

Guillaume de Posch, RTL

L’une de vos ambitions est de faire passer RTL d’un groupe paneuropéen à global. Pouvez-vous nous expliquer cet enjeu? 

«Cette question touche à l’ADN du groupe tel qu’il a été construit, à savoir par des développements successifs sur des marchés nationaux. Mais l’ADN est amené à évoluer, puisque nos concurrents ne sont plus uniquement nationaux, mais mondiaux, et ce en raison des possibilités offertes par internet.

Comment entendez-vous vous adapter face à cette nouvelle donne?

«Nous disposons d’un véritable avantage compétitif qui est notre ancrage local fort et la connaissance des contenus qui plaisent à notre public. D’autres acteurs misent uniquement sur la distribution, mais nous sommes persuadés que la compréhension des audiences et la création de contenus sont des atouts dans un contexte qui nécessite une forte spécialisation des métiers.

Parlez-nous de vos investissements dans le secteur du digital… 

«Sur base du constat de la consommation croissante par les moins de 25 ans de vidéos de format court de façon non linéaire, nous avons décidé, il y a trois ans, de mieux servir cette audience. Étant donné que nous ne disposions pas de positions dans ce créneau, nous avons choisi de racheter les agrégateurs de contenu nord-américains BroadbandTV, ainsi que StyleHaul, les 'MCNs'. Ce qui nous a permis d’être parmi les leaders mondiaux de diffusion des formats courts. Nous avons choisi d’entrer dans ce marché via des acteurs nord-américains, car les États-Unis ont toujours cinq ans d’avance sur l’Europe et sont très forts dans l’exportation de leurs produits audiovisuels. 

Ces acquisitions ont été suivies d’une deuxième étape, liée à la commercialisation de ces nouveaux formats, qui va de pair avec l’automatisation croissante de la vente de spots en ligne. Nous voyons ainsi la montée en puissance d’un nouveau métier, qui est celui de la commercialisation des spots publicitaires en ligne, sorte de Nasdaq d’achat/vente du spot publicitaire. D’où l’acquisition à l’été 2014 de SpotX, basé dans le Colorado. 

Comment est perçu RTL sur le marché américain?

«Les acteurs du secteur connaissent forcément le nom. Nous sommes souvent décrits comme le CBS européen. Nous ne sommes pas perçus comme un concurrent. Et lorsque nous approchons des networks américains via SpotX, nous sommes considérés comme un vecteur supplémentaire de croissance face aux autres acteurs tels que Google. Nous nous employons désormais à réimporter cette expérience en Europe. Nous avons démarré avec RTL Nederland pour créer une spin-off: SpotX Benelux. Nous avons reproduit l’expérience en Allemagne. La société est chargée de développer l’expertise de programmation publicitaire 3.0 sur ce marché.

Nous envisageons prudemment de conquérir de nouveaux marchés.

Guillaume de Posch, RTL

Quelle sera la place de la technologie dans la commercialisation des espaces à terme?

«Il s’agit d’évolutions générationnelles lentes. Je suis persuadé que dans 20 ans, nous aurons tous des téléviseurs interactifs. Sur le long terme, il est donc tout à fait envisageable qu’une partie de l’inventaire des publicités TV linéaires soit vendue de façon programmatique. Nous avons d’ailleurs participé à une levée de fonds dans la société Clypd, basée à Boston. Cet acteur né en 2012 propose aux chaînes câblées américaines de fédérer leur excès d’inventaire publicitaire et de le commercialiser de cette façon. 

Envisagez-vous une expansion sur d’autres marchés?

«Nous envisageons prudemment de conquérir de nouveaux marchés, mais je pense que l’enjeu est véritablement le digital. À l’exception de l’Asie du Sud-Est, où nous avons réalisé une joint-venture avec CBS dans le marché câblé.

Reste notre 'arlésienne', plus proche de notre siège, qui est une éventuelle présence dans la partie flamande de la Belgique. Étant donné que d’importants acteurs y font un excellent travail, notre arrivée se ferait forcément dans le cadre d’un accord avec l’un d’eux.

Vous formulez le souhait d’une refonte de la directive européenne régissant les services audiovisuels. Quelles sont vos demandes?

«Cette directive, dont l’origine remonte à 1989, et appelée alors directive 'Télévision sans frontières', a fait son travail et a permis aux opérateurs, dont RTL, de diffuser leurs programmes à travers l’Europe. Mais il est désormais temps de la moderniser afin de tenir compte des nouveaux acteurs qui, comme je le disais, ne sont plus européens, mais mondiaux. Or ceux-ci n’ont aucune contrainte réelle, car ils émettent via internet, qui est non régulé. 

En effet, à l’heure actuelle, la directive ne prévoit presqu’aucune règle pour la diffusion de contenu sur internet, alors que les chaînes de télévision sont très réglementées. Il faut donc avoir selon nous une réflexion politique sur le sujet, car si le texte n’est pas assoupli, il laissera forcément la porte ouverte à des opérateurs américains pour prendre des parts de marché aux diffuseurs européens via le média internet.

Nous demandons par exemple de revoir les règles en matière de publicité, telles que les limites horaires (elles devraient être journalières), de parrainage ou de coupures publicitaires dans les films. Ce genre de règles avait un sens dans le monde 'fini' de la TV linéaire, mais avec 300 chaînes plus les contenus diffusés par internet qui est un média 'infini', nous devons revoir cette réglementation pour nous mesurer à armes égales avec nos nouveaux concurrents. Le consommateur, lui, ne fait pas la différence entre un programme vu sur une chaîne de télévision ou sur internet. La Commission européenne a entamé la démarche d’actualisation de la directive, ambitieuse nous l’espérons, et nous devrions disposer d’un premier projet à la fin mai/début juin. 

Le groupe RTL fonctionne de manière décentralisée, en laissant une grande autonomie à vos entités locales. Cette organisation correspond-elle aussi à votre mode de management?

«J’avais déjà travaillé dans le groupe dans les années 90 et je crois foncièrement à ce style de management. Je ne vois pas de raison pour laquelle nous devrions changer ce qui a bien fonctionné jusqu’ici. L’input que notre corporate center donne sur toute une série de sujets ou de développements permet par ailleurs à nos CEO de bénéficier des investissements mutualisés au niveau du groupe et de disposer, le cas échéant, des compétences partagées au sein de celui-ci.

Le déménagement de RTL France constitue un projet d’avenir.

Guillaume de Posch, RTL

RTL France s’apprête à disposer d’un nouveau siège. Un nouveau chapitre historique?

«La rue Bayard est le symbole historique de l’exportation du groupe. Un symbole que nous quittons, car les processus de diffusion ont évolué, les modes de management ont évolué… il était temps de traduire ces changements par un nouveau bâtiment qui sera surtout plus efficace. Nous disposions en fait de cinq bâtiments rue Bayard, sans que tous soient connectés. Trois d’entre eux sont détenus par le groupe. Ils seront revendus. L’aménagement dans le nouveau siège à Neuilly-sur-Seine, fin 2017 au plus tard, constitue un projet d’avenir pour les équipes de la première radio de France!

Que peut-on dire sur la construction du nouveau siège du groupe cette fois, à quelques mètres de l’actuel, au Kirchberg?

«Nous avons fini le plus gros du travail dans les temps et dans le budget. Nous comptons en prendre possession à la fin de l’année. Ce résultat est le fruit d’une équipe dédiée que Elmar Heggen, le CFO du groupe, a mise en place. Ce nouveau bâtiment nous permettra de fonctionner avec plus de fluidité et d’embrasser pleinement la façon dont les nouvelles générations communiquent.

Entendez-vous y regrouper ou développer de nouveaux services du groupe grâce à la place supplémentaire dont vous disposez?

«Nous disposons de cette faculté, mais la configuration actuelle de nos équipes est déjà suffisante pour une occupation optimale du bâtiment. J’ajoute que l’un des deux bâtiments (le plus petit, ndlr) sera uniquement dédié à notre filiale Broadcasting Centre Europe, qui agit en tant que fournisseur de services auprès de différents clients à l’international.

Ces nouvelles infrastructures marquent l’attachement de RTL au Luxembourg… 

«Le 'L' de RTL fait partie de notre marque et de notre longue histoire. De plus, nous sommes étroitement liés avec l’État luxembourgeois au travers de nos concessions d’émissions (qui expirent en 2020, ndlr). Nous bénéficions aussi d’un fort soutien dans certains dossiers, à l’instar du soutien apporté par le gouvernement luxembourgeois à propos de la taxe de 40% que le gouvernement hongrois souhaitait lever sur nos revenus publicitaires en Hongrie. Au final, la taxe a été réduite de près de 5%, ce qui est en ligne avec les pratiques du marché.» 

Le siège actuel du groupe.