Raphaël Halet se dit prêt à continuer le «marathon» judiciaire jusqu'à la Cour européenne des droits de l'homme à Strasbourg. (Photo: Sven Becker)

Raphaël Halet se dit prêt à continuer le «marathon» judiciaire jusqu'à la Cour européenne des droits de l'homme à Strasbourg. (Photo: Sven Becker)

La question centrale du procès LuxLeaks reposait sur le statut de lanceur d’alerte d’Antoine Deltour et de Raphaël Halet. Un statut que leur déniaient PwC et le procureur d’État, s’attachant tous deux aux intentions des prévenus au moment de la commission des faits qui leur sont reprochés, à savoir le vol de documents confidentiels sur la base de données interne du cabinet d’audit. Antoine Deltour ayant affirmé avoir découvert les décisions fiscales anticipées «par hasard» et les avoir copiées «sans intention précise», il ne saurait tomber dans le champ des lanceurs d’alerte, avait rappelé le procureur d’État. 

«Pour couper court à toute discussion superflue, le tribunal correctionnel retiendra comme acquis le fait qu’Antoine Deltour et Raphaël Halet sont aujourd’hui à considérer comme des lanceurs d’alerte», indique le jugement publié mercredi dans son intégralité sur le site de la justice luxembourgeoise. 

Il est incontestable que les divulgations d’Antoine Deltour et également celles de Raphaël Halet relèvent aujourd’hui de l’intérêt général.

Tribunal correctionnel

«Effectivement, on ne peut pas sérieusement, en 2016 – après l’éclatement du scandale LuxLeaks et de ses conséquences mondiales, admettre le contraire. Il est encore incontestable que les divulgations d’Antoine Deltour et également celles de Raphaël Halet relèvent aujourd’hui de l’intérêt général ayant eu comme conséquence une plus grande transparence et équité fiscales.»

Les interventions des eurodéputés Fabio de Masi et Sven Giegold, insistant sur la portée et les répercussions des révélations permises par la fuite de documents, ont donc été entendues par le tribunal.

Pour autant, ce statut de lanceur d’alerte n’octroie pas de manière automatique une immunité aux prévenus. «Il restera cependant à déterminer si ce statut de lanceur d’alerte protégera les deux prévenus au niveau national sinon européen ou bien, dans la négative, si le Conseil de l’Europe et plus précisément l’application de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales assurent leur protection», ajoute le tribunal. 

Édouard Perrin acquitté

Dans son jugement, le tribunal règle en premier lieu le cas d’Édouard Perrin, le journaliste de l’émission Cash Investigation qui a recueilli les documents copiés par Antoine Deltour puis Raphaël Halet. Les juges vont à l’encontre de l’interprétation retenue par la juge d’instruction. La chambre du conseil avait déjà retiré le chef d’inculpation de violation du secret professionnel et du secret des affaires. Le tribunal retoque de son côté l’idée de complicité de violation.

«Le seul fait pour Édouard Perrin d’avoir suggéré à Raphaël Halet – pour le protéger – de créer une nouvelle adresse électronique pour la transmission des données ne constitue pas aux yeux du tribunal correctionnel un acte d’aide ou d’assistance à commettre les infractions de violation du secret professionnel et du secret des affaires reprochées à Raphaël Halet qui, rappelons-le, se sont réalisées au moment de la transmission du mot de passe de la taupe au journaliste. (…) Raphaël Halet n’a pas été dirigé par Édouard Perrin dans la recherche des documents soustraits à la société PwC.»

Le journaliste est donc acquitté de toutes les accusations pesant contre lui.

Antoine Deltour ne faisait pas face à un danger imminent.

Tribunal correctionnel

Le tribunal met en doute la «motivation noble» d’Antoine Deltour, partant du principe qu’il a «soustrait frauduleusement au préjudice de son employeur plus de 20.000 pages de documents qui ne concernaient pas l’intérêt général et les ATA (décisions fiscales anticipées, ndlr) révélés plus tard au public» et soulignant que «si son geste n’était pas prémédité, comment expliquer alors le fait d’avoir emporté également des documents hautement confidentiels de 400 clients de la société PwC qui ne le concernaient pas».

Les juges retiennent toutes les infractions reprochées à Antoine Deltour – infractions par ailleurs reconnues par le prévenu. Mais rejettent les moyens développés par la défense. Concernant l’état de nécessité, qui renvoie à une situation dans laquelle une personne «n’a d’autre choix que celui de commettre une infraction pour mettre fin à un danger imminent», il ne s’applique pas en l’espèce puisqu’Antoine Deltour «ne faisait pas face à un péril imminent» et «avait d’autres choix: divulgation d’informations sans soustraction de documents; remise au journaliste d’un nombre restreint de documents».

L’intérêt public du signalement est insuffisant pour ne pas sanctionner pénalement des faits qualifiés.

Tribunal correctionnel

Le tribunal considère encore qu’«il n’existe aucune protection» du lanceur d’alerte, que ce soit dans le droit luxembourgeois ou au niveau européen, s’appuyant sur le fait que la «nouvelle proposition de directive instaurant une protection européenne des lanceurs d’alerte entend assurer une protection minimale pour tous les lanceurs d’alerte mais elle n’a pas encore été adoptée par le Parlement européen». 

Il réfute enfin l’invocation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme consacrant la liberté d’expression. «L’intérêt public du signalement est insuffisant pour ne pas sanctionner pénalement des faits qualifiés de vol domestique, fraude informatique, violation du secret d’affaires et du secret professionnel ainsi que blanchiment-détention. La liberté d’expression d’Antoine Deltour lui permettait parfaitement de critiquer des pratiques d’optimisation fiscale moralement douteuses au Luxembourg et ailleurs. Le prévenu a cependant dépassé les limites de la critique en soustrayant à son employeur des milliers de pages de documents confidentiels pour les transmettre ensuite à un journaliste.» 

Alors que le procureur d’État adjoint avait suggéré une peine équivalente pour les deux lanceurs d’alerte, le tribunal considère que «les infractions retenues à charge d’Antoine Deltour diffèrent tant par la qualité des documents soustraits que par leur ampleur de celles mises à charge de Raphaël Halet».

Un euro symbolique pour PwC

Afin de déterminer les sanctions à infliger aux prévenus, «le tribunal prend en considération le fait que tant Antoine Deltour que Raphaël Halet ont abusé de la confiance que leur employeur avait en eux. La gravité des infractions retenues à charge des deux prévenus est indéniable. Le tribunal retient cependant également en faveur d’Antoine Deltour et de Raphaël Halet qu’ils n’ont pas été rémunérés pour avoir transmis au journaliste les documents confidentiels soustraits et que suite aux révélations LuxLeaks et l’impact politique mondial important, ils ont contribué à une plus grande transparence et équité fiscales Les deux prévenus ont donc agi dans l’intérêt général et contre des pratiques d’optimisation fiscale moralement douteuses.»

Antoine Deltour se voit condamné à 12 mois de prison avec sursis et 1.500 euros d’amende, tandis que Raphaël Halet écope de 9 mois d’emprisonnement avec sursis et 1.000 euros d’amende.

Quant à la partie civile, PwC, elle recevra un euro symbolique de la part de ses deux anciens salariés au titre du préjudice moral. Le cabinet d’audit a réagi mercredi après-midi à travers un communiqué, indiquant qu’il «prend bonne note de la décision de la Cour et examinera son contenu dans les prochains jours». Et d’ajouter que «PwC Luxembourg s’engage à protéger la confidentialité des documents et des données de ses clients». Enfin, réagissant aux débats devant le tribunal à propos des rulings et de leur légalité, il «réaffirme que tous les conseils fournis à ses clients sont en conformité avec les lois fiscales locales et internationales et les accords en vigueur».