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 (Photo: Jessica Theis)

Monsieur Wengler, quelle est la genèse de votre arrivée à la tête des CFL?

«Je suis actif depuis 12 ans au sein du groupe, l’un des premiers cadres en provenance du privé à accéder à un poste de haut niveau. Ma carrière m’a conduit notamment dans le secteur de l’audit, mais aussi à la Société nationale de crédit et d’investissement. En 2002, j’ai donc rejoint les CFL pour une première mission, en l’occurrence en tant que directeur financier.

Quelle était votre objectif à l’époque?

«Nous étions dans le moment qui préfigurait la libéralisation en 2007 du secteur du fret sur rail en Europe. Il m’importait donc de préparer cette mutation du marché et donc de comprendre dans les détails la mécanique comptable du groupe, mais surtout les coûts inhérents aux activités, notamment du fret. Il s’agissait d’un préalable avant l’introduction de plans d’affaires, notion qui était encore peu répandue dans le groupe et que j’ai tenu à expérimenter et à implémenter compte tenu de mes expériences passées.

Quel a été votre constat au sortir de la mesure des coûts et des revenus de l’activité fret ?

«Nous avions à l’époque un client important: ArcelorMittal. Avec la prévision de la diminution de la production d’acier au Luxembourg et la perspective de la concurrence en Europe, j’ai soutenu l’idée de créer une joint-venture avec le groupe sidérurgique pour former en octobre 2006 la structure que nous connaissons actuellement: CFL Cargo.

Avec le recul, que pensez-vous de cette décision?

«Le partenariat avec ArcelorMittal a toujours été très constructif et bénéfique au bon développement de la société. Donc, avec le recul, 8 ans après la création de CFL Cargo, il s’avère que la joint-venture était la bonne décision. Avant le mariage en tant que tel, nous avions constaté que la qualité de notre prestation était bien appréciée et que nous faisions, du coup, d’ores et déjà preuve d’un véritable ‘esprit client’. Les fondamentaux étaient donc présents pour pousser la collaboration plus loin. ArcelorMittal a d’ailleurs participé à la construction du capital à hauteur d’un tiers, notamment par apport d’activités telles que les transports interusines sur les principaux sites de fabrication au Luxembourg. Une fois la joint-venture entérinée, il a bien entendu été nécessaire de mener une phase de démarrage, de restructuration et de réorganisation pour réaliser la nouvelle feuille de route de l’entreprise.

Quel est l’état des lieux actuel?

«Depuis trois ans, CFL Cargo est devenue une véritable société commerciale qui a réalisé en 2013 sa meilleure année dans le fret. Ceci dit, le secteur souffre globalement en Europe. Ce contexte de marché nous pousse, outre nos activités via CFL Multimodal, à nous développer à l’international via des partenariats. Nous sommes ainsi implantés en Allemagne, au Danemark, en Suède et en France, sans oublier une agence de douanes implantée dans le port d’Anvers.

Qu’en est-il justement des activités de CFL Multimodal?

«Nous avons opéré par rachats successifs dont le dernier en date est Lentz Logistique en 2011, devenue Lentz Multimodal. Peu de personnes le savent, mais nous exploitons aussi sous licence la marque UPS et ses services pour le Luxembourg. En misant sur le transport routier combiné avec le fret ferroviaire, nous voulons miser sur un double savoir-faire pour aborder un marché qui dépasse nos frontières.

Sur quel axe voulez-vous développer cette présence?

«Il serait relativement difficile de se positionner sur du low cost ou un créneau de masse. En poussant l’intégration de l’ensemble de la chaîne logistique, nous nous consacrons avant tout au transport de marchandises à haute valeur ajoutée, des produits de niche. Je prends pour exemple un client pour lequel nous effectuons une opération de base sur ses produits que nous transportons, ce qui nous permet de les livrer dans des délais précis, prêts à être utilisés par le destinataire final. Ce type de marché nécessite des investissements, tant en termes de stockage que de formation des collaborateurs chargés d’effectuer la première opération sur le produit.

La logistique fait partie des priorités du gouvernement en matière de diversification. Quelle est votre vision en la matière?

«Il y a certainement, dans ce cas aussi, des marchés de niche à conquérir. Nous avons de notre côté poursuivi nos investissements en ce sens, par exemple en déployant une collaboration avec l’entreprise turque Mars Logistics en vue d’investir dans le transport logistique entre Bettembourg et Trieste en Turquie. Nous opérons actuellement trois allers-retours par semaine et voulons augmenter la cadence pour atteindre six allers-retours d’ici la fin de l’année. Cette collaboration nous place clairement en tant que hub pour notre partenaire qui peut, depuis trois localisations en Turquie, rejoindre le marché en Europe de l’Ouest via le rail alors qu’il effectuait ces liaisons par la route auparavant. Cela montre que le multimodal permet de nouer de nouvelles collaborations, même avec des transporteurs qui sont par ailleurs concurrents.

Vous venez d’approuver de nouveaux investissements et un plan d’entreprise visant notamment à doter le site de Bettembourg des possibilités de chargement vertical de camions. Quel est le calendrier de ce chantier?

«Nous ambitionnons d’être opérationnels pour 2016 avec, dans le même temps, l’objectif de continuer à développer un écosystème autour de la plateforme de Bettembourg afin d’étendre nos possibilités de transports multimodaux. Nous voulons aussi répliquer ce modèle dans d’autres directions en Europe, il s’agit d’une des priorités d’investissements industriels de notre groupe. Nous pensons ainsi augmenter nos capacités à Anvers, de même qu’étendre nos connexions vers l’Europe de l’Est ou le Nord.

Comment peut-on qualifier votre style de management?

«Je ne veux pas donner l’impression que mon style à la tête du groupe sera différent du style que j’affichais dans mes fonctions précédentes. Je place donc mon action dans la continuité de mes propres actions ainsi que celles de mon prédécesseur, tout en ayant la ferme volonté de conduire les transformations nécessaires pour assurer la pérennité de notre groupe.

Pour quelle méthode avez-vous opté afin de réussir ces chantiers importants?

«Quelle que soit l’activité en question, le client doit rester au centre de nos préoccupations afin de comprendre ses besoins, mais surtout de les anticiper. Cela est d’autant plus vrai que le marché ferroviaire européen présente une mutation progressive avec les différentes phases de libéralisation qui ont déjà été réalisées dans le fret et qui se profilent dans le champ du trafic voyageur. Le projet des autorités européennes est en effet de scinder les gestionnaires des infrastructures ferroviaires et les opérateurs de transports ferroviaires.

Quelles en seraient les conséquences pour le Luxembourg?

«Cette tendance à la libéralisation provient du quatrième paquet ferroviaire de la Commission européenne dont certains principes sont louables. Je pense par exemple à une mise aux normes centralisée du matériel roulant en Europe en vue d’objectifs de sécurité. Je ne peux que partager cette ambition, même si je me pose des questions quant à sa réalisation effective d’un point de vue budgétaire.

S’agissant de la séparation entre gestionnaire d’infrastructures et opérateurs ferroviaires, je vois difficilement comment cela pourrait se concrétiser sur un réseau relativement restreint comme le nôtre. Il en est d’ailleurs de même pour une libéralisation du trafic voyageur. Or je constate que des pays plus étendus comme la France songent, à l’inverse, à rapprocher les deux entités paraétatiques en question.

D’un point de vue opérationnel, je plaide plutôt pour une synergie entre gestion des infrastructures et opérateur ferroviaire tant pour assurer la sécurité des voyageurs qu’afin de maximiser la ponctualité des trains qui dépend en grande partie de la fluidité de la gestion du réseau. Cette relation entre gestionnaires n’est pas toujours perceptible, mais les séparer signifierait ajouter des interfaces entre eux, interfaces probablement coûteuses. Notre ambition doit être de maintenir la qualité du service au client, ce qui ne serait probablement pas le cas si nous séparions les activités au Luxembourg.

Le Luxembourg est caractérisé par un important trafic transfrontalier. Quel rôle entendez-vous jouer en la matière?

«Nous entendons contribuer activement au développement et à l’amélioration de l’offre de service public, notamment en ce qui concerne les connexions internationales aux pays voisins. Le trafic transfrontalier est en augmentation constante et représente actuellement plus d’un quart des voyageurs. Par ailleurs, le nombre total des usagers (national et transfrontalier) a dépassé les 20 millions en 2013. Étant donné ces résultats et la relative saturation de notre réseau qui se présente parfois dans le Sud, nous réfléchissons aux moyens d’augmenter la capacité, par exemple en dédoublant des lignes dans le cadre de la stratégie de développement du réseau ferroviaire telle que préconisée par le Gouvernement.

L’un des points cruciaux pour accroître notre capacité sera l’agrandissement de la gare centrale avec l’ajout d’un cinquième, voire sixième quai. L’arrêt Pont-Rouge qui est projeté est également important, car il permettra de désengorger la gare centrale et de mieux répartir le trafic en provenance du Nord à destination du Kirchberg ou du centre.

La coopération avec vos homologues est-elle suffisamment bonne pour assurer une fluidité du trafic transfrontalier?

«La collaboration est bonne avec nos collègues français et la situation est régulièrement discutée et améliorée. La situation paraît plus difficile côté Belgique, car les investissements pour la ligne Bruxelles-Luxembourg sont absolument nécessaires pour améliorer la performance sur cet axe, mais la qualité risque de pâtir pendant les travaux dont la réalisation s’étendra sur plusieurs années.

Concernant nos partenaires allemands nous finalisons actuellement des tests pour la mise en place d’ici décembre de huit nouveaux trains pour relier Luxembourg à Coblence via Saarbrücken. Notre matériel sera utilisé jusqu’au terminus de cette ligne et la DB gèrera les opérations à partir de Trèves. Ce partenariat qui paraît simple nécessite un certain nombre d’adaptations techniques. Il n’en reste pas moins qu’il est l’un des exemples de coopération concrète et efficace que nous devons promouvoir dans l’intérêt de tous.»

Parcours

Investisseur pragmatique

Marc Wengler, 46 ans, n’a pas débarqué en terre inconnue lorsque sa nomination en tant que nouveau directeur général des Chemins de fer luxembourgeois a été avalisée le 11 décembre dernier par le conseil d’administration du groupe présidé par Jeannot Waringo. Entre-temps, celui qui a succédé à Alex Kremer a pris ses marques, tout en profitant de l’expérience acquise au sein de cette grande maison (plus de 4.000 collaborateurs). Actif auprès des CFL depuis 12 ans, Marc Wengler est détenteur d’une maîtrise en sciences économiques à l’Université Louis Pasteur à Strasbourg. Son cursus l’a aussi mené vers les métiers d’expert-comptable et de réviseur d’entreprises, des voies qu’il a prolongées auprès du cabinet Arthur Andersen (devenu EY) puis de la Société nationale de crédit et d’investissement (SNCI). Une expérience dans le privé dont il a certainement retenu des enseignements transposables dans la sphère publique. Depuis 2006, Marc Wengler était devenu le numéro deux du groupe CFL, une sorte de préparation au poste qu’il occupe désormais.