Antoine Deltour a décidé après mûre réflexion de contester la décision de la Cour d’appel et de s’en remettre à la Cour de cassation. (Photo: Marion Dessard / archives)

Antoine Deltour a décidé après mûre réflexion de contester la décision de la Cour d’appel et de s’en remettre à la Cour de cassation. (Photo: Marion Dessard / archives)

Sept ans après les faits et au terme de deux procès dans la même année, Antoine Deltour n’en a pas fini avec la justice luxembourgeoise. Il a annoncé lors de l’assemblée générale de son comité de soutien mercredi soir à Épinal, où il réside, qu’il se pourvoyait en cassation.

Si ses avocats annoncent depuis le début qu’ils défendraient leur client jusque Strasbourg, celui-ci a pris le temps de la réflexion après le prononcé de la Cour d’appel. «Cela n’a pas été une décision facile», reconnaît l’ancien salarié de PwC, qui était encore indécis il y a quelques jours, joint par Paperjam.lu. «Deux procès, 13 audiences, c’est beaucoup de pression et d’anxiété. La suite s’annonce assez longue, mais peut-être moins intense puisqu’il s’agit de procédures plus écrites.»

Je considère qu’il y a des éléments qui ne sont pas équitables dans le jugement de la Cour d’appel.

Antoine Deltour, prévenu dans le procès LuxLeaks

Le moteur principal du Vosgien: «Je considère qu’il y a des éléments qui ne sont pas équitables dans le jugement de la Cour d’appel et je ne pourrais pas affirmer ma contestation du jugement sans utiliser les recours qui s’offrent à moi. Cela reviendrait à vivre éternellement avec le regret et l’incohérence de critiquer un jugement mais de ne pas chercher à le contester formellement.»

Dans sa décision, la Cour d’appel a tenu compte de l’analyse fouillée de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que le premier avocat général avait élaborée. Et suivi le principe selon lequel Antoine Deltour bénéficie de la protection intégrale de cette jurisprudence, mais uniquement lors de la transmission des documents contenant plusieurs centaines de rulings au journaliste Édouard Perrin.

«C’est une victoire d’avoir été reconnu comme lanceur d’alerte au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme au moment où je transmets les documents», précise Antoine Deltour. «Après, la Cour d’appel considère que je ne suis pas lanceur d’alerte au moment où je soustrais les documents. Ce qui pose une question de droit: la jurisprudence de la CEDH prévoit-elle l’instantanéité de l’intention de lancer l’alerte? Il est assez surprenant que je sois protégé comme lanceur d’alerte sans qu’il me soit permis un temps de maturation nécessaire à une alerte pertinente. J’ai été tout à fait transparent sur ma démarche, j’ai répété maintes fois que je n’étais pas un expert en fiscalité et que j’ai cherché à valider la portée des tax rulings.»

Des «inexactitudes» à corriger

Antoine Deltour note encore des «inexactitudes et imprécisions» dérangeantes. «En tant que justiciable, je n’accepte pas d’être jugé sur des faits qui ne correspondent pas à la vérité.» Et de citer les preuves matérielles non retenues concernant son cheminement de lanceur d’alerte avant la copie des documents (messages sur des forums, témoignage dans une émission de France Inter…) ou encore la thèse selon laquelle il aurait un intérêt professionnel à copier des rulings, «une accusation infondée contre laquelle je n’ai pas eu l’occasion de me défendre à la barre», souligne-t-il.

Celui qui travaille aujourd’hui à temps partiel à l’Insee à Nancy continue donc le combat, comptant sur un comité de soutien solide et sur une sérénité financière puisque les honoraires de ses avocats sont pour l’instant couverts par les dons récoltés.

En 2010, Antoine Deltour avait copié, la veille de son départ de PwC où il travaillait comme auditeur, des centaines de documents et des dizaines de milliers de pages détaillant les rulings élaborés par son employeur pour des clients aussi prestigieux qu’Amazon, Ikea ou encore Apple. Des documents utilisés par le journaliste Édouard Perrin dans son enquête sur les pratiques fiscales des multinationales diffusée en mai 2012 dans l’émission Cash Investigation, et publiés par l’ICIJ à l’origine des révélations LuxLeaks. Raphaël Halet, agent administratif pour le département Fiscalité de PwC à l’époque des faits, avait contacté Édouard Perrin à la suite de l’émission télévisée et lui avait transmis une quinzaine de documents dont des déclarations fiscales et des procès-verbaux d’assemblées générales de multinationales ayant leur siège européen à Luxembourg. Les deux avaient été confondus par une enquête interne du cabinet d’audit, partie civile au procès, qui a obtenu en première instance comme en appel 1 euro symbolique au titre du préjudice moral.

En appel, Antoine Deltour avait vu sa peine réduite de 12 à 6 mois d’emprisonnement avec sursis et l’amende de 1.500 euros confirmée, tandis que Raphaël Halet a bénéficié de l’abandon de la peine d’emprisonnement pour n’avoir à payer que 1.000 euros d’amende.