«Je vis dans le futur!» C’est au présent, pourtant, que Rodrigo Sepúlveda Schulz, l’un des quatre fondateurs d’Expon Capital, évoque la plus réconfortante des statistiques de la société d’investissement luxembourgeoise: depuis le début de l’année, certaines des 26 sociétés de son portefeuille ont levé un milliard de dollars. «1,1 milliard», corrige-t-il d’emblée depuis son hacienda dans le Yucatán, région presque la plus à l’est du Mexique, d’où il travaille plus qu’il ne profite de son congé estival.
Depuis les 65 nouveaux millions de dollars (soit 115 au total) levés par l’israélienne Pliops, spécialisée dans l’efficacité des centres de données, le 24 février, WeFarm a levé 11 millions de dollars en mars, Glovo 528 millions, Dott 85 millions et Ocus 24 millions en avril, Refurbed 54 millions en août et , qui a apporté 265 millions de dollars, a été précédée d’un dernier tour pour doper la valorisation à 70 millions de dollars.
«C’est génial!», explique-t-il. Car depuis le premier trimestre 2016 que le fonds d’Expon Capital (60 millions d’euros) est régulé, les «quatre mousquetaires», comme les a baptisés la LPEA, sont restés sur une stratégie assez agressive. Les seules start-up qui trouvent crédit à leurs yeux doivent dégager un chiffre d’affaires de plus d’un million de dollars, avoir pour objectif d’atteindre 100 millions de dollars d’ici cinq ans et, surtout, avoir un impact jaugé à l’aune des 17 objectifs du millénaire des Nations unies et de leurs 165 à 167 sous-critères, beaucoup plus explicites et concrets. Leur terrain de jeu doit plutôt être en Europe, même si Expon ne s’interdit pas de pêcher d’éventuelles pépites dans d’autres eaux.
Près de 10.000 opportunités en cinq ans
«Elles doivent être dans le domaine des logiciels. Si vous regardez les capitalisations boursières, 2.700 milliards de dollars il y a 20 ans, il n’y avait que deux ou trois de ces sociétés. Aujourd’hui, non seulement ces capitalisations additionnées se montent à 12.000 milliards de dollars, mais neuf sur dix sont des sociétés de technologie», assure le fondateur d’Expon Capital avec Alain Rodermann, et Marc Gendebien. «La tech a tout bouffé!»
En cinq ans, le VC a examiné 9.696 de ce qu’il appelle des «opportunités d’investissement» pour n’en retenir que 26, quinze pour le fonds et 11 pour le Digital Tech Fund. Car, dès ses débuts, Expon avait obtenu la gestion des vingt millions d’euros du DTF, destiné à booster l’écosystème luxembourgeois. Les règles du quatuor n’exigent pas de prendre une participation minimale de 10 ou de 15% ou même d’avoir un membre de l’équipe au conseil d’administration.
«Il ne faut pas en faire une question d’ego. Quand nous nous engageons avec une start-up, nous faisons en sorte d’avoir toujours un accès privilégié à l’information. Nous ne sommes pas là pour gouverner l’entreprise. Nous avons des réunions régulières et informelles avec le management et au cours de la due diligence, nous avons regardé s’il y avait un plan de succession du CEO en cas de souci, si le produit est en phase avec les réglementations, s’il y a des opportunités de croissance sous-exploitées, etc.»
À chaque tour, Expon vérifie le multiplicateur selon une règle presque mathématique. Plus de risque impose un multiplicateur de l’investissement plus élevé. Et à partir du moment où le résultat de ce calcul ne permet pas d’atteindre le multiplicateur espéré, les VC arrêtent d’investir, quitte à être dilués. Autrement dit, on gagne beaucoup quand on prend beaucoup de risque, et on gagne quand on en prend moins, mais moins. Et pas question de tomber amoureux d’une start-up: à chaque nouveau tour, un autre partenaire effectue la due diligence et devient le leader de l’investissement en question.
À mi-parcours, la statistique du fonds invite… à préparer son successeur. Mais pas question pour M. Sepúlveda Schulz d’en dire plus: l’autopromotion n’est pas vue d’un bon œil par le régulateur. Tout comme il n’est pas question – de «vendre la peau de l’ours tant qu’il n’est pas tué» – d’évoquer la nouvelle pépite dans un secteur en plein boom, la santé, dans laquelle Expon devrait investir.
L’ancien consultant vivait dans le passé à appliquer des recettes qui marchaient dans d’autres entreprises, dans le présent quand il était entrepreneur et désormais dans le futur. Mais pas dans la science-fiction.