Le vainqueur du 100 mètres aux Jeux olympiques lève les bras en coupant le ruban de l’arrivée de son torse, mais sa course ne s’est pas seulement gagnée là, dans cet ultime coup de reins. Dans le monde des batteries qui équiperont les véhicules électriques de demain, c’est pareil. Rembobiner le sprint dans lequel sont lancés de nombreux acteurs n’est pas inutile, mais il faut parfois aller loin.
L’histoire commence en 1949. Lors de la Révolution chinoise, un jeune poète chinois, Zhang Zhong Mou, rejoint un oncle à Boston, intègre le MIT… et réapparaît diplômé en génie mécanique sous le pseudonyme de Morris Chang. Repéré par Texas Instruments, il gravit les marches quatre à quatre, jusqu’à être supplié de revenir en Asie par le Premier ministre de Taïwan. En 1987, il y fonde la Taiwan Semiconductor Manufacturing Company, devenue en 2011 le leader mondial des puces électroniques.
Rien à voir avec le besoin d’environ 12 fois la capacité actuelle de batteries lithium-ion d’ici 2035, soit 4,8 térawattheures? Si, parce qu’en face de Taïwan, la Chine a dupliqué le succès de TSMC avec CATL, qui, en prenant un virage légèrement différent, va lui donner 10 ans d’avance dans le secteur des batteries new age. .
La résistance s’organise
Pour y parvenir, la Chine ne s’est pas embarrassée de détails: alors que CATL avait un carnet de commandes quasiment vide, Pékin a contraint les constructeurs occidentaux qui voudraient vendre leurs voitures vertes en Chine à devoir les équiper de batteries produites en Chine. D’ici 2030, la Chine prévoit d’avoir environ 2.078GWh de capacité de fabrication de batteries, contre 554GWh pour l’Europe et 382 pour l’Amérique du Nord, selon Benchmark Mineral Intelligence.
Pour se mêler à la guerre, l’Europe doit inventer une nouvelle voie. Et c’est là que commence la partie de l’histoire qui concerne le Luxembourg. Alors que , installés là parce que l’électricité y est la moins chère d’Europe, un autre projet se développe en Norvège: Freyr Battery.
Créée fin 2018, la start-up norvégienne a patiemment développé, dit-elle, «une chaîne de valeur, des matières premières au produit fini, et a signé des accords pour la fourniture d’énergies renouvelables, de matières premières et de technologies ainsi que des accords-cadres pour la gestion de projets de construction, l’intégration de systèmes et l’optimisation de la production de cellules de batterie». Elle a surtout une licence d’une technologie développée par une spin-off du MIT, 24M, avec trois avantages-clés, :
- la possibilité de produire des cellules d’ion-lithium pour différents types de batteries sur la même ligne de production;
- la technologie semi-solide qui fournit un processus de fabrication plus simple, plus fiable et plus sûr qui accélère la production tout en réduisant les coûts de la technologie cellulaire existante et de prochaine génération;
- une plateforme indépendante de la chimie qui prend en charge les technologies cellulaires actuelles et de prochaine génération, telles que l’électrode en silicone, le système à double électrolyte et la mise en œuvre de la pré-lithiation.
L’objectif est de devenir le leader mondial depuis le Mo Industripark, un cluster de technologies vertes aux avant-postes de tout ce qu’on imagine dans la stratégie de Jeremy Rifkin.
Une production doublée d’ici 2028
Ce parc industriel regroupe une centaine d’entreprises interconnectées entre elles pour que les matières premières soient utilisées jusqu’au bout de ce qu’elles peuvent donner. Environ 400GWh sont recyclés annuellement, ce qui correspond à la consommation énergétique annuelle de près de 24.000 foyers, dit son dépliant publicitaire. «Le cogaz est utilisé pour le chauffage, les gaz de combustion à haute température sont utilisés pour le chauffage urbain, et l’eau de refroidissement chauffée est utilisée pour la production de saumoneaux. Les plans futurs sont ambitieux et sont liés, entre autres, à la production d’hydrogène, à la technologie du biocarbone et des batteries et aux initiatives aquatiques et hydroponiques (aquaculture).»
Freyr Battery s’est installée là, au cœur d’un des plus gros centres de production de métaux et de minéraux, où l’électricité est parmi les moins chères d’Europe et où l’Agence nationale d’innovation a déjà injecté plus de 6 millions de dollars de soutien. De 2023 à 2025, Freyr prévoit de construire plusieurs usines de batteries lithium-ion en Norvège pour atteindre son objectif de 43GWh. Puis, de 2025 à 2028, d’opérer jusqu’à six giga-usines en son nom et deux autres en joint-venture pour atteindre 83GWh de capacité de batteries lithium-ion. Il lui faudra plus de 4 milliards de dollars pour atteindre cet objectif, mais on voit l’intérêt d’accéder directement et rapidement à 850 millions de dollars issus de la Spac et du Pipe associé. La start-up a le géant du transport maritime Maersk, Scatec, Siemens Energy – qui agira aussi en tant que partenaire technologique – et Itochu, et est en pourparlers avec les constructeurs automobiles.
Immatriculée en tant que Norway Sub 1 AS depuis novembre en Norvège, la start-up a pris son nom… au Luxembourg le 20 janvier. C’est là que le cabinet Elvinger Hoss Prussen l’enregistre pour son client, la société d’investissement enregistrée aux îles Caïmans Alussa Energy Sponsors, mais filiale de l’américaine Alussa Energy Acquisition Corp., qui la confie au Marseillais Maurice Dijols, un vétéran de l’industrie pétrolière qui a passé 30 ans chez Schlumberger, surtout en Russie. PwC est désigné comme auditeur.
75 technologies passées au crible par les Américains
C’est presque la dernière étape d’une Spac qui s’est organisée dès 2019. Alussa Energy Acquisition voit le jour et annonce qu’elle essaiera de lever jusqu’à 225 millions de dollars en bourse avant de chercher une cible technologique dans le domaine de l’énergie. «Le regroupement d’entreprises représente une valeur de fonds propres pro forma implicite de 1,4 milliard de dollars», . La transaction apportera un produit net estimé à 850 millions de dollars à la société, en supposant qu’aucun rachat n’aura été fait par les actionnaires d’Alussa Energy, y compris un Pipe entièrement engagé de 600 millions de dollars à 10 dollars par action de la société ancré par des investisseurs stratégiques et institutionnels, dont Koch Strategic Platforms, Glencore, Fidelity Management & Research Company LLC, Franklin Templeton, Sylebra Capital et Van Eck Associates Corporation. La transaction indique une valeur nette de 410 millions de dollars pour Freyr, dont les actionnaires «historiques» conserveront 30% du capital.
«Nous avons évalué plus de 75 opportunités d’investissement dans les secteurs mondiaux de l’énergie et de la transition énergétique depuis notre introduction en bourse fin 2019, et Freyr s’est clairement démarqué comme un acteur de première ligne en adoptant une des technologies de batterie de pointe pour s’adresser à un marché important et en croissance avec un engagement unique envers la durabilité du cycle complet. Nous avons pleinement confiance quant au fait que l’équipe d’exécution expérimentée de Freyr, combinée aux ressources en capital de cette transaction, y compris les investisseurs stratégiques Koch Strategic Platforms et Glencore, place la société en bonne position pour jouer un rôle transformationnel dans la décarbonisation des marchés mondiaux de l’énergie et des transports», indique le CEO et fondateur d’Alussa Energy Acquisition, Daniel Barcelo.
Avec 850 millions de dollars de cash, Freyr Battery n’est qu’au début de l’aventure. Là où sa capitalisation atteint entre 1 et 1,3 milliard de dollars, celle de la Suédoise Northvolt est déjà à 11,75 milliards, celle de LG Chem à 66 milliards, et celle des Chinois de CATL à 130 milliards. Et ses trois concurrents ont des ambitions de production à peine supérieures aux siennes.
Le sprint est lancé. Reste à savoir qui lèvera les bras.