Il n’est pas rare pour les fonds luxembourgeois d’investir au travers de sociétés interposées. La raison d’être et la substance de ces entités posent dans certains cas question. Aujourd’hui, de nouvelles réglementations voient le jour pour s’attaquer aux arrangements artificiels.

Le Luxembourg est souvent considéré comme la porte d’entrée en Europe pour de nombreux investisseurs, en particulier dans le milieu des fonds d’investissement. «Ce secteur est extrêmement dynamique sur le marché luxembourgeois. Le Grand-Duché a, par exemple, été le premier à transposer la directive UCITS, ce qui a permis aux professionnels du secteur de développer un grand savoir-faire en la matière. Les premiers gestionnaires d’actifs se sont installés au Luxembourg et leur expertise a, depuis, évolué. Les fonds luxembourgeois ont rapidement gagné une grande réputation auprès des investisseurs étrangers, qui ont commencé à se tourner spontanément vers le Grand-Duché lorsqu’ils étaient à la recherche d’une structure d’investissement», explique , Partner chez DLA Piper.

Les fonds luxembourgeois ont rapidement gagné une grande réputation auprès des investisseurs étrangers.
Luis Muñoz

Luis MuñozPartnerDLA Piper

Le caractère facilement approchable des autorités luxembourgeoises, comme la CSSF, ainsi que l’adaptabilité du législateur, particulièrement réceptif face aux évolutions du marché, comme il l’a par exemple montré avec la création de la SCSp, rendent la place financière particulièrement attractive.

Les exonérations fiscales remises en cause?

Il est fréquent, dans le milieu des fonds d’investissement, d’investir au travers de sociétés pleinement imposables. «En règle générale, ces sociétés bénéficient de certaines exonérations de par l’application de traités fiscaux et de directives européennes», précise , Counsel chez DLA Piper.

En règle générale, ces sociétés bénéficient de certaines exonérations de par l’application de traités fiscaux et de directives européennes.
Julie Hecklen

Julie HecklenCounselDLA Piper

Les discussions actuelles autour de l’attribution de ces exonérations se cristallisent autour de la notion de bénéficiaire effectif, qui a été précisée par la jurisprudence européenne dans le cadre des Danish Cases. Ces jurisprudences ont donc contribué à préciser deux notions clefs: le concept d’abus et le concept de bénéficiaire économique.

«Dans le cadre de ces jurisprudences, certaines exonérations ont été remises en cause par les autorités fiscales en cas de fraude et d’abus. Il s’agit ici de lutter contre les arrangements artificiels, c’est-à-dire les constructions juridiques ne reflétant pas la réalité économique ou l’utilisation de sociétés ‘conduit’ par lesquelles transitent des flux financiers dont elles ne peuvent être considérées comme bénéficiaires économiques», poursuit Julie Hecklen.

Une entité ne pourrait donc bénéficier de ces exonérations que lorsqu’elle qualifie de bénéficiaire économique des paiements reçus de ses investissements, ce qui sera le cas en particulier si elle les perçoit pour son propre compte et en a la libre disposition, et n’agit pas comme une entité «conduit».

S’attaquer aux structures artificielles

C’est dans le but de lutter contre les entités «conduit» et les abus fiscaux consistant à interposer des sociétés n’ayant peu ou pas de substance dans leur juridiction de résidence que la directive ATAD3 devrait voir le jour en 2022. «La Commission européenne a lancé une consultation publique afin que les intéressés puissent donner leur avis sur cette nouvelle directive, et notamment sur les conditions selon lesquelles ces exonérations fiscales devraient être octroyées à des entités ayant peu ou pas de substance. Les professionnels du secteur s’interrogent sur la pertinence d’un nouveau texte, alors que de nombreux outils existent déjà pour s’attaquer à ces structures artificielles», ajoute Luis Muñoz.

En effet, diverses directives comme ATAD1 ont donné aux administrations fiscales européennes la possibilité d’annuler certains avantages fiscaux lorsqu’un arrangement est jugé abusif. «Le chantier d’ATAD3 pourrait donc avoir une portée limitée au niveau européen, car de nombreux garde-fous ont déjà été mis en place par les juridictions européennes. Comment les dispositions de la nouvelle directive s’articuleront-elles avec les outils qui existent déjà?», s’interroge Julie Hecklen.  

En outre, il serait excessif qu’une plateforme d’investissement luxembourgeoise bénéficiant à juste titre de certaines exonérations se voie refuser leur bénéfice seulement parce qu’une société sans ou avec peu de substance est interposée pour des raisons commerciales. «La question qui prédomine, à l’heure actuelle, est donc de savoir si les administrations fiscales adopteront une approche holistique, considérant qu’il n’y a pas d’abus tant que le véhicule luxembourgeois n’a pas été interposé dans le but d’obtenir un avantage fiscal, ou une approche (trop) stricte, considérant toute structure comme abusive dès le moment où une entité est interposée», conclut Luis Muñoz.