Dans le cadre de sa mission, la CSSF s’engage à promouvoir une approche réglementaire ouverte, neutre sur le plan technologique et prudente, fondée sur le risque. (Photo: Shutterstock)

Dans le cadre de sa mission, la CSSF s’engage à promouvoir une approche réglementaire ouverte, neutre sur le plan technologique et prudente, fondée sur le risque. (Photo: Shutterstock)

Fin novembre, la CSSF a ouvert une porte aux investissements dans les actifs virtuels. De façon limitée et cantonnée aux seuls produits alternatifs. Avec comme objectif de clarifier sa position vis-à-vis des acteurs du secteur des cryptos et de les attirer sur la Place.

La première question qui se pose est de savoir si les crypto-actifs ont vocation à être inclus dans les portefeuilles et produits d’investissement.

«La réponse est… ça dépend», explique Pascal Bouvier, managing partner & co-founder de MiddleGame Ventures. Pour ce spécialiste de l’investissement dans les fintech et les crypto-actifs, il convient de garder à l’esprit que le monde des «cryptos» n’est pas un bloc monolithique, mais recouvre différents types d’actifs et d’écosystèmes, et que la réponse à la question est fonction des perspectives offertes par ceux-ci, et donc du taux d’adoption.

Dans sa taxonomie des cryptos, Pascal Bouvier met au premier étage les cryptomonnaies. La plus emblématique d’entre elles est le bitcoin. «C’est la première et aussi la plus grande. Dans un marché des crypto-actifs qui pèse aujourd’hui 2.000 milliards de dollars, la moitié revient au bitcoin. C’est une cryptodevise qui vaut ce qu’elle vaut – en fonction de l’offre et de la demande marginale –, mais avec laquelle on ne peut pas faire grand-chose d’autre. On l’acquiert pour sa croissance potentielle et aussi sa capacité à protéger de l’inflation – ce qui n’est pas encore démontré pleinement.» Ce qui est déjà beaucoup, mais, somme toute, limité. D’autant que la volatilité du bitcoin et des autres cryptodevises exclut de fait les investisseurs «retail» ou des investisseurs institutionnels frileux. «Pour des investisseurs institutionnels, maintenant que c’est une classe d’actifs relativement grande et qui continue à croître, même s’il y aura des bas et des hauts, on peut se dire que cela a du sens d’avoir une certaine partie de son portefeuille investi là-dedans pour des raisons de diversification. Avec le poids qu’il a acquis, si on veut être exposé à la crypto, on ne peut plus ne pas avoir du bitcoin.»


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Au deuxième étage, Pascal Bouvier place l’ethereum. L’ethereum est un système blockchain décentralisé et open source qui dispose de sa propre cryptomonnaie, l’ether. Un système qui se différencie du bitcoin par son «narratif». «Les créateurs de l’ethereum ont mis l’accent sur les fonctionnalités qui permettent de créer beaucoup de choses, et notamment de répliquer ce qui se passe dans le monde traditionnel des services financiers, que ce soit en matière de prêts, d’hypothèques, d’épargne, d’investissements, ou encore de produits dérivés. Tout ce à quoi on peut penser est en train d’être refait de manière plus décentralisée, a priori, que dans l’industrie traditionnelle des services financiers.»

Tous ces nouveaux produits et services prennent la forme de tokens – terme que l’on peut traduire par «jeton» –, un actif numérique transférable entre deux parties sur internet sans nécessairement avoir besoin, pour cela, de l’autorisation d’un tiers.

«Par rapport au bitcoin, il y a une perspective d’activité qui peut avoir du sens» pour Pascal Bouvier, qui fait le parallèle avec l’essor d’internet, dont les détracteurs disaient que c’était futile, et qui est désormais incontournable. En reconnaissant que, parmi tous les protocoles existant actuellement, «cinq ou six, peut-être sept» pourraient aussi arriver à maturité, et proposeront des perspectives basées sur une activité économique ou financière réelle. Numérique, mais tangible, donc.

Pour des investisseurs institutionnels, cela prend désormais du sens, avec une gestion des risques et une diversification appropriées, de mettre un peu d’argent – d’expérimenter – sur les protocoles les moins immatures.
Pascal Bouvier

Pascal Bouviermanaging partner & co-founderMiddleGame Ventures

La clé est la maturité. «Pour des investisseurs institutionnels, cela prend désormais du sens, avec une gestion des risques et une diversification appropriées, de mettre un peu d’argent – d’expérimenter – sur les protocoles les moins immatures. On commence par le bitcoin, puis on se dirige immédiatement vers l’ethereum, qui est plus riche en matière d’innovation et d’utilisation, pour arriver ensuite aux tokens, qui sont à l’intérieur de l’écosystème ethereum, en attendant l’éclosion d’autres protocoles, qui seront à terme une quatrième frontière d’investissements potentiels.»

Le problème pour faire des crypto-actifs une véritable classe d’actifs au sens traditionnel du terme, «en sus de celui de la volatilité», est d’abord un problème réglementaire. Si, dans le monde traditionnel des services financiers, l’univers est très policé, «dans l’espace crypto, c’est encore le Far West», reconnaît Pascal Bouvier. Et la tâche des régulateurs s’annonce immense tant les questions à trancher restent controversées: les cryptomonnaies sont-elles des biens, des monnaies légales ou des projets d’investissement? Si d’un pays à l’autre, les réponses apportées sont différentes, l’objectif des régulateurs reste le même: éviter de faciliter les activités de blanchiment, assurer la transparence vis-à-vis du public et des opérateurs, garantir l’intégrité du marché en protégeant les systèmes contre la cybercriminalité et les abus de marché et, «last but not least», protéger les investisseurs contre les risques importants.

Les enjeux de la réglementation

Mais, même en imaginant que le régulateur ouvre la porte, même avec des réserves, et que l’industrie «traditionnelle» de la gestion d’actifs se lance, cela ne signifie pas que, du jour au lendemain, on pourra faire des crypto-actifs des actifs comme les autres. Il manque encore une pièce au puzzle: les prestataires de services nécessaires pour assurer les fonctions de base que sont l’administration, le custody, la gestion du risque, ou encore le trading. Et cet écosystème n’est pas prêt. Il existe en marge du système et n’est pas «investment grade». Il sert plus particulièrement les «early adopters» et les investisseurs moins régulés, comme les «hedge funds».

Aussi, l’initiative de la CSSF d’ouvrir une porte aux actifs virtuels dans les portefeuilles – même limitée au secteur de l’alternatif – peut/doit s’analyser comme la volonté d’aider au développement d’un tel écosystème, d’aider à le structurer et de lui faire dépasser le stade actuel de l’expérimentation, pense Pascal Bouvier.

Cela sera-t-il suffisant pour attirer sur la Place les bons acteurs? C’est une vraie difficulté, estime Pascal Bouvier: «Le monde crypto est, par définition, plus décentralisé et plus dématérialisé. Les prestataires n’ont pas besoin d’exercer dans une localisation précise.» Les questions du passeport et du siège devraient trouver des éléments de réponse dans le projet de directive MICA (Markets in Crypto-Assets), en cours de négociation.

Une CSSF à l’écoute

Pour la CSSF, face à des actifs virtuels qui «ont connu une croissance exponentielle et ont suscité un intérêt croissant de la part du secteur financier au cours des dernières années», l’objectif est effectivement de «clarifier sa position vis-à-vis des entités surveillées susceptibles d’exercer des activités dans le domaine des actifs virtuels». «Avec cette guidance, la CSSF affirme clairement le principe général qu’elle est ouverte à l’innovation et consciente du fort intérêt, ainsi que des avantages potentiels pour les professionnels, tout en gardant à l’esprit que ces types d’actifs ne sont pas pour tout le monde», explique le gendarme de la Place. «Ainsi, dans son rôle de régulateur chargé de la surveillance prudentielle et de la surveillance des marchés dans le but d’assurer la sécurité et la solidité du secteur financier, la CSSF a dû, en gardant à l’esprit les questions de protection des consommateurs et de gestion des risques, entourer les possibilités pour les entités surveillées d’exercer des activités dans les actifs virtuels d’un certain nombre de garde-fous. Des indications claires sont ainsi données sur les conditions fondamentales et préalables à respecter pour pouvoir exercer des activités sur des actifs virtuels.» Dont une bonne appréhension du risque, une gouvernance interne renforcée, un dialogue proactif avec la CSSF lors de la planification de toute activité impliquant des actifs virtuels et la mesure de l’impact de tels investissements sur les clients.

En parallèle, la CSSF réfléchit à des initiatives d’éducation financière. «Avec la démocratisation des activités sur les actifs virtuels par les professionnels de la finance, le besoin d’éducation des consommateurs augmente», constate-t-elle.

Combien faudra-t-il de temps pour que les crypto-actifs quittent le monde de l’alternatif et soient proposés aux investisseurs retail? Cela pourrait être rapide, estime Pascal Bouvier. «Aux États-Unis, cela fait maintenant trois ans que l’industrie crypto pousse pour que la SEC (Securities and Exchange Commission) autorise des fonds ETF en bitcoins. Jusque-là, elle a dit non, parce qu’elle pense qu’il y a encore un trop grand volume de transactions ‘louches’, ce qui est vrai. Mais elle finira par dire oui. Et cela accélérera peut-être le mouvement ici, en Europe.»