La pédopsychiatre Salima Aarab analyse l’impact de la crise sanitaire sur la santé mentale des enfants. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

La pédopsychiatre Salima Aarab analyse l’impact de la crise sanitaire sur la santé mentale des enfants. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Ce n’est pas le dispositif de testing qui a le plus d’impact sur la santé mentale des enfants, selon la pédopsychiatre Salima Aarab, mais les restrictions sur leurs activités scolaires et extrascolaires. Angoisses, isolement… Elle recommande donc de tout faire pour ne pas fermer les établissements qui les accueillent.

Nouvelle vague de Covid signifie nouvelles mesures sanitaires. Et, à l’école, cela passe par un renforcement du dispositif de testing. Les élèves du fondamental doivent réaliser trois autotests par semaine au lieu de deux. Pour les plus jeunes du cycle 1, ils se font encore à la maison (les parents signent une attestation par laquelle ils s’engagent à déclarer le résultat positif constaté) et aux cycles 2 à 4, à l’école. Les premières attestations de consentement ont été envoyées aux parents: dès qu’une classe les a toutes recueillies, elle peut déjà appliquer le nouveau dispositif. Sinon, cela s’appliquera au plus tard le 9 décembre. Pas de changement dans le secondaire, où les jeunes réalisent un autotest à l’école et un autre à domicile par semaine. «70% des élèves sont vaccinés», justifie le ministère de l’Éducation. «L’incidence y est, par conséquent, moins élevée.»

Tests réguliers, port du masque dès le premier cas d’infection… Comment ces mesures affectent-elles les plus jeunes? Le point avec Dr Salima Aarab, pédopsychiatre au Service national de psychiatrie juvénile aux Hôpitaux Robert Schuman.

Se faire tester régulièrement, avec le risque d’un résultat positif devant ses camarades… Quel peut être l’impact du dispositif sur les enfants?

Dr Salima Aarab. – «Cela dépend, il y en a pour qui c’est désagréable. Si l’enfant n’aime pas le testing, cela peut aussi venir du fait que dans le milieu familial, ce n’est pas accepté. La crainte, au début, concernait les risques de stigmatisation pour un enfant positif. Mais depuis, tous connaissent un camarade qui a eu le Covid, puis est revenu à l’école, ou l’ont eux-mêmes attrapé. Ce n’est plus quelque chose de spécial. En tant que professionnelle, je n’ai pas entendu d’impacts négatifs. Ce n’est pas le testing qui a le plus d’effet.

Justement, qu’est-ce qui a le plus d’effet?

«La crainte qu’ont beaucoup d’enfants et adolescents de ne plus pouvoir aller faire du sport, fêter leur anniversaire, participer à des activités ou des excursions, si de nouvelles mesures sont mises en place.

En quoi ces activités sont-elles importantes pour leur développement?

«On sait que le sport est bénéfique au niveau physique comme mental. De nouvelles restrictions seraient un mauvais signal pour ceux qui ont des difficultés à faire de l’exercice, ils auront plus de mal à s’y remettre. Beaucoup d’enfants n’ont pas repris le sport. Ils apprennent au contact des autres à interagir, connaître leurs limites, ce qui est important pour développer leurs compétences sociales.

Ressentez-vous les effets des précédentes restrictions en consultation?

«Bien sûr. Je n’ai pas de chiffres, mais les enfants et adolescents sont plus anxieux, ont plus de risque d’avoir des difficultés à rejoindre les autres, ils s’isolent plus. Une partie n’arrive pas à retourner à l’école. Les troubles alimentaires ont aussi beaucoup augmenté chez les adolescents. Certains ont développé des troubles obsessionnels, des dépressions. Mais je n’ai pas de chiffres.


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Quelle est la tranche d’âge la plus touchée?

«Tous les âges sont affectés, mais l’adolescence est une période vulnérable, avec beaucoup de changements. Nous avons constaté une augmentation des tentatives de suicide, surtout chez les adolescents.

Les cours à distance ont aussi pu jouer sur les résultats scolaires. Ont-ils aussi un impact sur la santé mentale?

«Les enfants vivent cela comme un échec s’ils n’arrivent pas à obtenir les mêmes résultats qu’avant. L’école leur met aussi la pression quand les notes ne sont pas bonnes. C’est trop pour certains. En plus de la crainte de ne pas avoir la possibilité de faire le métier ou d’intégrer l’université que l’on veut.

Qu’en est-il du port du masque? Au Luxembourg, cela commence à six ans, alors que des écoles américaines le demandent dès deux ans…

«Deux ans, je trouve cela tôt, ils ne savent pas bien parler. Comment apprendre à parler s’ils ne voient que des personnes avec un masque et comment peuvent-ils, eux, bien utiliser la langue? Le langage non verbal est très important à cet âge-là. Commercer à l’école primaire, je trouve cela OK.

Même en dehors de l’école, certains enfants n’ont connu que le masque dans les lieux publics, par exemple.

«Nous verrons les impacts à plus long terme. Il y a une crainte que plus d’enfants développent des troubles autistiques, qu’ils ne comprennent pas bien le langage non verbal, même s’ils voient toujours les yeux.

Pour les adolescents, qui ont plus de mal à se montrer à cet âge, où apparaissent par exemple les boutons, le masque donne une certaine sécurité. La crainte, ici, est qu’ils aient plus de mal à laisser tomber le masque.

Le fait d’avoir connu très jeune des mesures exceptionnelles, comme le confinement ou le couvre-feu, ne risque-t-il pas de changer leur rapport à l’autorité, dans un sens comme dans l’autre?

«C’est aux parents de leur expliquer. C’est une crise, et on fait ce qu’on peut. Les confinements n’ont pas duré tout le temps, seulement quelques semaines. Si, dans le contexte familial, on vit la crise comme une dictature, il y aura un autre impact, cela créera peut-être plus de méfiance.

Peut-on parler de génération sacrifiée?

«Je n’aime pas ce terme, car il donne l’idée qu’on ne peut rien y faire. On peut faire des choses pour ne pas se trouver dans cette situation. Même si je ne pense pas que les problématiques de santé mentale en augmentation chez les enfants et adolescents s’arrêtent maintenant, nous verrons encore les effets dans les prochaines années.

Que peut-on faire pour ne pas sacrifier ces générations?

«Il faut laisser les écoles ouvertes. Il est important de ne pas se fixer sur les notes, mais de regarder aussi au bien-être, au sport, aux loisirs, à la musique. Il faut également se renseigner sur l’offre existante pour que les enfants et adolescents soient bien soignés. On sait que plus on les prend en charge vite, plus on évite les risques de maladie chronique.»