Contrairement à ce que dit Transparency International, le classement du Luxembourg reste stable sur 10 ans. La méthodologie elle-même soutient cette stabilité pour la plupart des pays. (Photo: Shutterstock)

Contrairement à ce que dit Transparency International, le classement du Luxembourg reste stable sur 10 ans. La méthodologie elle-même soutient cette stabilité pour la plupart des pays. (Photo: Shutterstock)

Selon Transparency International, le Luxembourg perd du terrain dans la lutte contre la corruption, sauf que, depuis 2012, son classement s’est amélioré, passant de 80 à 81. Une «stigmatisation» utile pour décortiquer les lacunes de cet indicateur aussi suivi que peu remis en question.

Le Luxembourg n’est cité qu’une seule fois dans le rapport annuel de l’organisation Transparency International (TI) paru mardi. «Depuis 2012», peut-on y lire, «le Luxembourg (81), la Pologne (56), Chypre (53) et la Hongrie (43) ont considérablement baissé sur l’indice de la perception de la corruption.»

Sauf qu’en 2012, le Luxembourg avait un score de 80 et que le pays a un score de 81 aujourd’hui, occupant la neuvième place mondiale avec l’Allemagne, dans un classement où plus le score est proche de 100, plus le pays est considéré comme exemplaire.

Pourquoi pointer le pays? Mardi, Transparency International a perdu notre e-mail avec nos questions. Mercredi, elle invite à le renvoyer et promet une réponse… toujours pas arrivée à l’heure où nous bouclions.

La note est établie en plusieurs étapes: jusqu’à 13 sources – 7 pour le Luxembourg – donnent une première note de 0 à 100 que Transparency International harmonise pour établir la note finale, en calculant un écart-type par source, histoire de maintenir une homogénéité au moins d’une année sur l’autre.

Pour 2020, par exemple, selon le bilan officiel, les notes allaient de 77,53 à 82,47. Rien à redire pour la Bertelsmann Foundation Sustainable Transformation Index (79), qui émane d’un groupe faisant l’objet de sévères critiques pour son activisme politique dans le livre de Thomas Schuler «Bertelsmannrepublik Deutschland: Eine Stiftung macht Politik» (2010). En revanche, les notes de l’Economist Intelligence Unit Country Ranking (72), du Global Insight Country Risk Rating (83), de l’IMD World Competitiveness Yearbook (84), du PRS International Country Risk Guide (85), du Varieties of Democracy Project (73) ou même du World Economic Forum (86)… ne sont pas dans la fourchette mentionnée plus haut.

Il est aussi possible de questionner la note de chacun de ces sept organismes et leur lien avec la lutte contre la corruption. Ou le lien avec le pays. Par exemple, le rapport sur le Luxembourg de l’IMD World Competitivness est réalisé… par la Chambre de commerce.

Ou bien, de s’interroger sur le respect de la méthodologie générale de TI selon laquelle chaque note ne doit considérer que «les avis d’experts ou de gens d’affaires du pays». Pour la Fondation Bertelsmann, le coordinateur, Nils C. Bandelow, est à Braunschweig, en Basse-Saxe, et ses deux assistants sont le journaliste pour la FAZ (et qui fut sous contrat avec le ministère luxembourgeois de la Culture) Jochen Zenthöfer et le professeur de science politique de l’Université de Trèves, Wolfgang Lorig. L’un et l’autre établissent un rapport revu par le second, puis par un comité de huit experts, sans lien avec le Luxembourg.

Les fonds d’investissement et le RBE

Dans les sous-rapports que Transparency International publie à l’occasion de la sortie de ce rapport, une autre mention est faite du Luxembourg. Dans , un paragraphe s’intitule «Crimes transfrontaliers nécessitant une justice transfrontalière».

«Comme l’ont montré les enquêtes OpenLux de 2021, des véhicules financiers secrets tels que des fonds d’investissement basés au Luxembourg (81) restent à la disposition des personnes souhaitant échapper à la corruption et aux sanctions en matière de droits humains», dit le texte.

Ce commentaire renvoie à une autre publication de l’organisation, de février 2021, selon laquelle 81% des 16.777 fonds d’investissement n’avaient déclaré aucun bénéficiaire effectif au registre luxembourgeois. En comparant les registres américain et luxembourgeois, les auteurs de l’étude soulignent que seuls 16% des 112 fonds qui avaient moins de quatre bénéficiaires effectifs avaient déclaré celui qui avait plus de 25% des parts du fonds au RBE (registre des bénéficiaires effectifs), jetant un doute sur la totalité du registre.

Pas de fiche pays

La seule possibilité, à ce stade, pour comprendre la remarque sur le Luxembourg, est d’aller à la fiche pays, comme l’organisation y invite. Sauf qu’il n’y en a pas.

Sur cette page figurent deux autres chiffres: 19% des Luxembourgeois pensent que la corruption a augmenté en 2020 et 2% des utilisateurs du service public disent avoir payé un pot-de-vin. Une seule question s’intéresse à la problématique du pot-de-vin dans le cadre de l’école publique, et en face du Luxembourg figure… 0%, les 2% viennent de la ligne du dessous, concernant Malte.

Là encore, les chiffres sont intéressants. Des 19%, 4% disent que la corruption a beaucoup augmenté et 15% pensent qu’elle a un peu augmenté, soit… 95 des 500 personnes interrogées par TNS Ilres dans ce contexte. Moins de 100 personnes peuvent avoir un impact final sur l’image d’un pays? Oui, mais au final, le gouvernement y est aussi considéré comme le troisième en Europe en matière de lutte contre la corruption.

Autant de limites qui ne doivent pas réduire la portée des conclusions de l’ONG: «L’année qui vient de s’écouler a vu la multiplication d’exemples inquiétants: des défenseurs des droits humains ont été tués, des médias ont été clôturés, des scandales d’espionnage gouvernementaux ont éclaté, tel le projet Pegasus. De plus en plus, les droits en général et les contrepoids au pouvoir sont minés, non seulement dans les pays où la corruption est systémique et les institutions faibles, mais aussi dans les démocraties établies. Or, le respect des droits de la personne est essentiel pour enrayer la corruption, parce que seuls des citoyens libres de les exercer peuvent agir pour dénoncer les injustices. La pandémie de Covid-19 a également été utilisée comme un prétexte dans de nombreux pays pour restreindre les libertés fondamentales et passer outre les systèmes de freins et de contrepoids. Et en dépit de la dynamique internationale croissante visant à empêcher le recours abusif aux sociétés-écrans et fictives, de nombreux pays présentant des scores élevés, et donc un secteur public relativement ‘sain’, continuent de fermer les yeux sur la corruption transnationale. Il est urgent d’accélérer la lutte contre la corruption si nous voulons mettre un terme aux violations des droits de l’Homme et au déclin démocratique dans le monde entier.»