Pour Alice Wang, pour continuer de bien investir dans les marchés chinois, il convient de comprendre l’actuelle politique de  «réallocation» que mène le gouvernement de Beijing. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Pour Alice Wang, pour continuer de bien investir dans les marchés chinois, il convient de comprendre l’actuelle politique de  «réallocation» que mène le gouvernement de Beijing. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Pour Alice Wang, gestionnaire des fonds «Bamboo» et «Chine» de Quaero Capital, la Chine reste toujours un endroit où il fait bon investir. À condition de bien apprécier le thème dominant, celui de la réallocation, a-t-elle expliqué à Paperjam lors de son récent passage à Luxembourg.

Les entreprises privées en Chine restent florissantes. Pour autant qu’elles jouent bien leur rôle social. Elles représentent actuellement peu ou prou 80% de l’emploi urbain en Chine et 90% de la création d’emplois.

Les récents tours de vis infligés au secteur de l’internet et de l’immobilier ne doivent pas s’analyser comme des tentatives de renationalisation ou de reprise en main politique – même si quelques têtes qui dépassent devraient disparaître –, mais plutôt comme une «réallocation» des actifs là où ils sont les plus productifs (La réallocation est dans ce contexte la clé de lecture destinés aux investisseurs pour qu’ils investissent en limitant le risque politique. C’est un terme nouveau dans le monde de la finance qui commence à se répandre, ndlr). Il s’agit plutôt d’un effort global pour réduire le risque dans tous les domaines et là où il s’est le plus accumulé.

Favoriser l’investissement efficace

Pour les investisseurs tant étrangers que chinois, l’allocation efficace du capital est la variable-clé. Une allocation «efficace» qui ne se mesure pas uniquement en termes de rendement boursier, comme l’explique Alice Wang, gestionnaire des fonds «Bamboo» et «Chine» de Quaero Capital, lors de son récent passage à Luxembourg. «De ce point de vue, l’approche des autorités chinoises est à l’opposé de celle des autorités américaines. Des autorités américaines qui, avec les politiques de quantitative easing, injectent dans l’économie énormément d’argent pour régler des problèmes de court terme. La politique économique américaine est ‘addict’ aux marchés; la bourse est devenue l’économie, alors qu’elle ne devrait en être que la réflexion. Le gouvernement chinois pense que la déconnexion entre le marché et l’économie réelle est le problème. Et que se passe-t-il lorsque vous avez un gouvernement qui ne veut plus dépenser d’argent dans cette optique? Vous avez besoin d’une réaffectation des actifs là où ils sont les plus productifs.»

Et c’est ce à quoi nous avons assisté ces derniers mois sur les marchés actions.

Alice Wang revient également sur la correction des valeurs du secteur de l’internet chinois. 45% des investissements faits en Chine allaient dans le secteur de l’internet. Un secteur qui favorisait la désintermédiation économique, comme peut le faire Uber en occident. «Face à un mouvement de désintermédiation financée par des capitaux occidentaux et qui met en péril le modèle social chinois, le gouvernement s’est posé la question de la valeur ajoutée générée et de savoir si on n’entrait pas dans une impasse. Alors que des secteurs comme la santé ou les semi-conducteurs ne représentent chacun que 7% du benchmark, 45% sur le secteur de l’internet était-il une allocation efficace du capital? Cela faisait-il du sens?», se demande-t-elle.

Un raisonnement qui ne concerne pas que les investisseurs étrangers, mais également les investisseurs chinois. Ces derniers sont massivement investis dans l’immobilier, «entre 70% et 80%».

«Pourquoi l’économie chinoise croît-elle de 10% chaque année depuis une décennie et que cela ne se retrouve pas sur le marché des actions? Parce que tous les flux vont sur le marché immobilier. Un marché qui représente plus du quart du PIB, mais qui ne contribue qu’à hauteur de 7% de la croissance globale. Est-ce là encore une allocation efficace du capital?», insiste l’analyste.

Plus qu’une réallocation du capital, c’est une réallocation des ressources à laquelle nous assistons pour Alice Wang.

Un cadre différent

Pour qui le cadre d’investissement n’est pas le même en Chine que dans les économies occidentales. Pour ces dernières, l’hypothèse de base est que tout est disponible en abondance. «Un sentiment renforcé par l’essor de la technologie. En Chine, il y a la conscience que le capital est rare et qu’il doit être employé là où il est le plus efficace.»

Pour Alice Wang, la question est de savoir «qui fait ce qui est juste et bien pour le long terme?».

Là où les analystes financiers occidentaux parlent de «renationalisation», elle met en avant une volonté du gouvernement de corriger les inégalités sociales qui ont progressé à cause du Covid. En Occident, cela se fait via le recours à la fiscalité. En Chine, la voie choisie est celle de la création d’emplois. Ce qui passe par le soutien aux petites et moyennes entreprises créatrices d’emplois, au détriment des grands groupes monopolistiques.

Face à la critique de l’autoritarisme chinois, Alice Wang invoque une peur qui se répand en Occident que l’approche chinoise soit la bonne.

Les investisseurs ne doivent donc pas craindre une renationalisation de l’économie chinoise. Mieux, pour elle, l’actuel mouvement de réallocation est porteur d’opportunités sur les marchés actions.

Si dans ses fonds, elle délaisse les secteurs de la technologie, de l’immobilier et de l’éducation, elle est très positive en ce qui concerne les secteurs des services à la personne, de la robotique, de la logistique, et également de l’industrie. Malgré le fait que, pour cette dernière catégorie, elle soit fortement consommatrice d’énergie et que le gouvernement affiche des objectifs très élevés en matière de baisse des émissions de gaz à effet de serre.

Favoriser le stock picking

En insistant sur le fait qu’il convient d’être très sélectif sur les titres choisis.

Plus globalement, elle favorise les PME plutôt que les grandes sociétés en position monopolistique et les sociétés suffisamment réactives pour s’adapter aux changements réglementaires.

Des changements réglementaires qui sont bien plus faciles à prédire que ce que pensent les analystes occidentaux. Pour elle, les Chinois disposent d’une feuille de route très claire qui suit la direction stratégique tracée par un leader incontesté, tandis que les Occidentaux sont tributaires de cycles politiques plus courts et plus illisibles, car soumis à des contraintes divergentes. «En Chine, un gouvernement reste en place tant qu’il est efficace.»

Et de citer l’Afghanistan ou l’affaire des sous-marins australiens pour faire la démonstration que les Américains sont plus imprévisibles, voire inconsistants, que les Chinois.