Ibrahim vient de commencer un nouvel emploi de kinésithérapeute au Luxembourg. Mais pour le Syrien de 33 ans, c’est plus qu’un simple nouvel emploi. C’est la première fois depuis 2012 qu’il peut travailler comme kinésithérapeute.
«J’ai perdu sept à huit ans dans la guerre en Syrie», dit-il, expliquant qu’il avait d’abord suivi une formation de physiothérapeute pendant deux ans dans son institut de santé local en Syrie. Normalement, cela lui permet de travailler dans un hôpital, aux côtés d’un médecin. Mais pas au Luxembourg, qui ne reconnaît pas les diplômes de médecin, dentiste, pharmacien et vétérinaire obtenus en dehors de l’UE.
Lorsqu’il est arrivé au Luxembourg en juin 2016 dans le cadre d’un programme de réinstallation de réfugiés, il est passé par un véritable parcours du combattant pour faire reconnaître ses qualifications. «C’est un problème, même si vous venez juste d’obtenir votre diplôme et que vous êtes arrivé ici ou que vous travaillez et que vous venez ici directement, il n’y a aucune chance de faire reconnaître votre diplôme ici ou de commencer à travailler», se lamente-t-il.
Il lui restait trois options: poursuivre une nouvelle carrière, partir dans un autre pays européen pendant une ou plusieurs années pour faire reconnaître son diplôme ou recommencer un cursus de zéro. Ayant par la suite rencontré sa femme au Luxembourg et découvert Lunex, un établissement d’enseignement supérieur à Differdange, il a opté pour la dernière solution en effectuant une licence de trois ans en physiothérapie. «Il y avait des bons côtés vis-à-vis du fait de retourner à l’école: acquérir la langue, rafraîchir mes connaissances et obtenir un diplôme européen», se souvient le physiothérapeute.
Mais, il reconnaît que c’est frustrant et qu’il a des amis qui sont médecins et pharmaciens et qui ont pu obtenir un permis d’exercer ou de travail dans les deux ans. Un autre ami, qui a suivi une formation en imagerie médicale dans la même institution en Syrie, a fini par se recycler dans l’économie.
«J’ai des amis qui me demandent ce que c’est de travailler dans la médecine au Luxembourg. Je leur dis de ne pas venir tout de suite, parce qu’ils ne pourront pas faire reconnaître leur diplôme. Ils vont soit en Allemagne, soit en Suède», dit-il.
Critères d’équivalences
Pour Yara*, qui a étudié la pharmacie et la pharmacologie en Syrie, la frustration est très importante, en raison des déviations qu’elle a dû opérer. «Avant novembre 2016, ils acceptaient n’importe quel certificat de pharmacie», se souvient-elle. La Syrienne a déménagé au Luxembourg en avril de cette année-là. Elle était encore occupée à terminer sa maîtrise et n’était pas au courant du changement en cours, jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Yara travaille maintenant dans une pharmacie, mais dit qu’elle n’est pas rémunérée en fonction des diplômes obtenus en Syrie. «Je travaille comme préparatrice, comme quelqu’un qui a un bac +3, mais j’ai un bac +7.»
Elle essaie de trouver une solution dans un autre État membre de l’UE, mais dans la plupart des cas, ils lui demandent de maîtriser une nouvelle langue et d’y vivre. Et sa famille étant désormais installée au Luxembourg, elle hésite à tous les déraciner. «Je suis prête à faire un effort, mais c’est dommage que le Luxembourg ne fasse rien pour aider les personnes qui ne peuvent rien faire pour homologuer leur certificat», dit-elle, ajoutant: «Il y a beaucoup de monde comme moi. Certains médecins sont désormais obligés de travailler comme caissiers, car ils ne peuvent pas utiliser leurs certificats, mais ils doivent travailler et gagner leur vie.»
Delano n’a pas été en mesure d’obtenir des chiffres permettant de déterminer combien de professionnels de la santé ayant obtenu des diplômes en dehors de l’UE vivent au Luxembourg, mais ne peuvent pas travailler dans leur discipline. Un porte-parole du ministère de l’Enseignement supérieur, qui s’occupe de la reconnaissance des qualifications, a déclaré que 10% des 4.300 demandes en moyenne soumises chaque année pour la reconnaissance des compétences provenaient de ressortissants de pays tiers. Ils ne pouvaient cependant pas décomposer le chiffre par discipline. L’association des droits des travailleurs étrangers Asti a audité un certain nombre de réfugiés participant à son programme de réinsertion professionnelle Connections. Son équipe a enregistré quatre médecins, deux pharmaciens et quatre infirmières ou infirmières auxiliaires ces dernières années.
«Le Luxembourg a l’une des procédures de reconnaissance les plus difficiles pour les ressortissants de pays tiers», déclare Sérgio Ferreira (Asti) à Delano, soulignant que ce ne sont pas seulement les réfugiés qui ont été touchés. Il a décrit avoir rencontré un médecin généraliste d’Irak qui travaille maintenant dans un bureau parce qu’il n’a pas pu faire reconnaître ses qualifications. «Il n’a pas étudié pour écrire des lettres, il a étudié pour guérir les gens. Lorsque vous savez qu’il y a une pandémie, que vous pourriez être utile et que vous ne l’êtes pas, cela crée également d’autres types de problèmes», déplore-t-il.
Delano a contacté le ministère de la Santé pour lui demander s’il était prévu de modifier le traitement des diplômes de santé délivrés en dehors de l’UE. Ils ont rappelé que l’approche actuelle était que les médecins, vétérinaires et pharmaciens doivent d’abord demander la reconnaissance de leur diplôme et l’autorisation d’exercer dans un autre État membre de l’UE avant de pouvoir soumettre leur demande au Luxembourg. Le porte-parole n’a pas dit si cela allait changer dans un proche avenir.
*Le nom a été modifié afin de garder l’anonymat.