Si des efforts ont été faits pour rendre la ville de Luxembourg accessible aux personnes à mobilité réduite, d’autres sont nécessaires pour adapter les commerces et les restaurants, selon Luciano Fratini. Nous l’avons suivi plusieurs heures dans la capitale pour constater ces lacunes, en attendant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi.

La ville de Luxembourg Un prix qui récompense les efforts fournis pour créer un environnement accessible aux personnes en situation de handicap. Qu’en est-il sur le terrain? Pour le savoir, nous avons rencontré Luciano Fratini. L’homme de 58 ans est en fauteuil roulant depuis un accident de moto, en 1985. S’il a ouvert son magasin d’équipements pour personnes en situation de handicap à Bonnevoie, à quelques mètres de chez lui, il y a deux ans, son trajet quotidien n’a pas toujours été aussi court. Pendant 30 ans, il s’est déplacé presque tous les jours jusqu’au boulevard Royal. Un parcours qu’il a accepté de traverser de nouveau, avec nous.

Une «désaccessibilisation»

Les premiers mètres se passent sans encombre. Les roues aux rayons verts du fauteuil glissent sur le sol mouillé par le crachin de décembre. Jusqu’à un trottoir un peu plus haut que les autres. Luciano Fratini se penche vers l’arrière pour le descendre. «Pour moi, c’est un petit obstacle. Mais quelqu’un en fauteuil électrique ne peut pas le passer. Il pourra trouver une autre solution, mais devra faire une dizaine de mètres en plus.» Un peu plus loin, entre la rue du Laboratoire et celle de Bonnevoie, il croise quelques pavés. «C’est la cata, en fauteuil. Heureusement, il n’y en a pas beaucoup, à part dans le Grund et les faubourgs.» Au carrefour suivant, il tend le bras pour actionner le bouton demandant au feu des piétons de passer au vert. Là encore, «pour quelqu’un de petite taille en fauteuil, c’est compliqué», pointe-t-il. Tout en relativisant: «Ce sont des détails. L’essentiel, c’est que tu arrives à venir en ville.»

Ce qui est le cas. En l’espace d’une demi-heure, Luciano Fratini traverse avec aisance et détermination l’avenue de la Liberté, puis le Pont Adolphe, pour arriver boulevard Royal. «Avant, il n’y avait pas tout cela. Les passages des trottoirs ont tous été améliorés, j’ai remarqué un bon progrès.» Mais un problème persiste: l’accessibilité aux bâtiments.

On nous dit qu’on ne voit pas beaucoup de personnes handicapées en ville, mais c’est normal, si elle n’est pas accessible.
Luciano Fratini

Luciano Fratini

Nous faisons donc un détour par la Grand-Rue. «Je n’étais pas venu depuis longtemps, j’espérais trouver une bonne surprise», assure Luciano Fratini. «Mais ça n’a pas changé.» Des petites bordures garnissent l’entrée de la plupart des magasins, surmontables pour lui, mais pas pour tous les types de fauteuil. «On a refait quatre ou cinq fois la Grand-Rue, pourquoi ne pas refaire, avec les propriétaires, toutes les entrées à plat?», s’interroge-t-il. Pire, un commerce a même «désaccessibilisé» son entrée. Après avoir passé la porte, il faut monter deux marches en bois pour atteindre le magasin. «Avant, c’était une boutique de sous-vêtements, je rentrais tout droit. Maintenant, c’est un revendeur de produits Apple. C’est du haut-de-gamme, alors il faut mettre un podium», ironise-t-il, déconcerté. Interrogé sur une possible entrée supplémentaire pour les personnes à mobilité réduite, le magasin répond à Paperjam: «Non, pas du tout, malheureusement, c’est le seul accès dont nous disposons.»

Une loi votée le 2 décembre

Du côté des restaurants, ce sont les toilettes qui font défaut. «J’en connais seulement trois avec des WC accessibles», calcule Luciano Fratini. Les toilettes publiques de la ville ont quant à elles été mises aux normes, selon lui, mais «il n’y en a pas assez et elles ferment tôt». Il ne comprend pas non plus pourquoi cette décision n’a pas été prise au niveau national. «On nous dit qu’on ne voit pas beaucoup de personnes handicapées en ville, mais c’est normal, si elle n’est pas accessible.»

Pour le chemin du retour, Luciano Fratini donne une seconde chance aux transports en commun, qu’il a abandonnés depuis des années. «À chaque fois que j’ai essayé, c’était un bordel», raconte-t-il. Même si les bus disposaient d’une rampe, les chauffeurs ne semblaient pas toujours bien formés à son utilisation. Pourtant, dès qu’il l’aperçoit sur le boulevard Royal, le conducteur du bus de la ligne 2 déploie sa rampe amovible sous un signal sonore et lumineux, afin de laisser entrer son passager. «Une bonne surprise», sourit Luciano Fratini, en s’installant face à la fenêtre. Le bus l’arrêtera à seulement quelques mètres de son magasin.

À partir d’un certain âge, les problématiques sont pratiquement les mêmes que pour une personne en situation de handicap.
Luciano Fratini

Luciano Fratini

Il retient de ce trajet beaucoup d’améliorations, même si des efforts restent à faire. Pour cela, il compte sur la future loi pour l’accessibilité, «sans cesse reportée depuis des années», regrette-t-il. «Tout le monde vieillit et, à partir d’un certain âge, les problématiques sont pratiquement les mêmes que pour une personne en situation de handicap. On ne rend pas seulement service aux personnes à mobilité réduite, mais aux personnes âgées, avec une poussette, etc.», ajoute-t-il. Avec la loi, «il n’y aura pas de midi à quatorze heures, tout le monde devra s’y tenir». Elle prévoit un accès aux personnes à mobilité réduite dans les lieux publics, avec des exigences supplémentaires pour les nouvelles constructions, comme l’accès à au moins un sanitaire ou une cabine d’essayage. Les nouveaux bâtiments d’habitation collectifs doivent également rendre leurs parties communes accessibles, et au moins 10% de leurs logements doivent être adaptés. Fraîchement votée le 2 décembre, cette loi doit entrer en vigueur le premier jour du 18e mois après sa publication au Journal officiel, sauf pour les obligations relatives aux lieux ouverts au public existants ou situés dans un cadre bâti existant, qui auront jusqu’au premier jour du 120e mois pour s’adapter.