«On aimerait que le gouvernement consulte plus régulièrement les représentants des jeunes», explique Charel Schmit. (Photo: Maison Moderne)

«On aimerait que le gouvernement consulte plus régulièrement les représentants des jeunes», explique Charel Schmit. (Photo: Maison Moderne)

Le rapport 2021 de l’Ombudsman fir Kanner a Jugendlecher (Okaju), Charel Schmit, a été présenté ce mardi. Il traite forcément des conséquences de la pandémie sur le bien-être des enfants. Et le constat n’est guère réjouissant…

Charel Schmit, Ombudsman fir Kanner a Jugendlecher (Okaju), a remis ce mardi matin son rapport annuel au président de Chambre des députés, (DP). Un rapport fortement dédié à la thématique du Covid-19 et plus spécialement aux répercussions que la pandémie a eues sur les droits de l’enfant en cette année 2021. 

Un rapport qui est en fait une véritable enquête menée à coup d’entretiens, de consultations d’études et de sondages, de rapports d’activités, de statistiques… Et qui a notamment permis de mettre en lumière le manque de données, qu’elles soient qualitatives ou quantitatives, liées à la situation des enfants et des jeunes au Luxembourg. «Certaines sont indisponibles, d’autres incomplètes. Nous avons de grosses lacunes à ce niveau-là… Le Luxembourg a besoin d’un outil pour suivre l’évolution du bien-être des enfants et des jeunes», a expliqué Charel Schmit. Avant de répondre à nos autres questions.  

Quelles conséquences a eu la pandémie sur la situation des enfants et des adolescents au Luxembourg?

Charel Schmit. – «Le Covid-19 a provoqué un pas en arrière au niveau des droits de l’enfant, si l’on compare aux avancées que nous avions connues dans les années qui avaient précédé en matière de participation, d’inclusion et d’intégration. Maintenant, il va falloir essayer de remettre les pendules à l’heure dans les prochains mois, les prochaines années. Histoire de tenter de gommer le retard qui s’est désormais accumulé. Il y a de nombreux moments où les jeunes n’ont pas pu vivre leur liberté, assouvir leurs besoins à ce niveau-là. Ils n’ont pas pu s’engager comme il l’aurait souhaité au sein de leur communauté, de leur école, de la société…

Il est incompréhensible que tous les coûts d’une psychothérapie ne soient toujours pas pris en charge.
Charel Schmit

Charel SchmitOmbudsman fir Kanner a Jugendlecher (Okaju)

À côté de ça, la pandémie a touché directement une grande partie d’entre eux. Plus de 14.000 enfants (14.147 à la date du 19 septembre, ndlr) ont été infectés directement. Certes, ils font partie d’une génération qui n’est pas la plus vulnérable d’un point de vue médical et sanitaire, mais au niveau de l’impact sur leur vie, leur évolution et le développement de leur personnalité, celui-ci est énorme! Les contacts sociaux ont été plus difficiles. Ceux avec les parents aussi parfois, avec des droits de visite ou d’hébergement qui n’ont pas toujours fonctionné. Tout cela peut avoir un grand impact direct sur la réalité de l’enfant. 

Un impact donc plus psychologique que physique? 

«Sur les plus de 14.000 enfants infectés, une centaine ont été hospitalisés. L’impact sur le plan physique est donc bien là. Mais c’est clair que ce qui a été prépondérant, c’est au niveau mental. Avant le début de la pandémie, il avait déjà été avancé que l’urgence était là de développer et de garantir un accès direct aux offres en matière de soins de santé psychiatriques et psychothérapeutiques. La crise sanitaire n’a fait que faire ressortir de manière plus nette encore les déficits structurels existants. Je lance d’ailleurs un appel à tous les responsables politiques afin que les choses avancent. Il est incompréhensible que tous les coûts d’une psychothérapie ne soient toujours pas pris en charge. 

On aimerait aussi que le gouvernement consulte plus régulièrement les représentants des jeunes. Qu’il le fasse avant de prendre de nouvelles mesures, par exemple.

Il est clair que, pendant cette crise sanitaire, la priorité n’a pas été donnée à la jeunesse.
Charel Schmit

Charel SchmitOmbudsman fir Kanner a Jugendlecher (Okaju)

Vous considérez que la jeunesse n’a pas suffisamment été une priorité depuis le début de la crise sanitaire?

«Tout à fait! Il est clair que la priorité a été donnée à d’autres domaines. Maintenir le système de santé, maintenir les activités économiques… La question a souvent été: comment faire pour que la main-d’oeuvre puisse continuer à travailler? L’impact que les mesures pouvaient avoir sur les jeunes a parfois été évoqué. Mais je n’ai pas le sentiment qu’on lui ait accordé autant d’attention qu’on pouvait l’espérer…

Vous avez déposé votre rapport à la Chambre des députés ce mardi. Vous avez le sentiment qu’il y a un véritable intérêt politique pour les différentes recommandations inscrites dans celui-ci?

«Alors que l’ORK (Ombuds-Comité pour les droits de l’enfant, ndlr) était en quelque sorte rattaché aux ministères de la Famille et de l’Éducation nationale, l’Okaju, son successeur, est rattaché à la Chambre des députés. Et ne reçoit, dans l’exercice de ses fonctions, d’instructions d’aucune autorité.  L’indépendance de notre institution est ainsi garantie. Et nous avons également des moyens et des ressources supplémentaires.

Cette position nous donne la possibilité d’être dans un échange plus régulier avec les membres du Parlement. Et, depuis neuf mois que j’ai succédé à René Schlechter au poste d’Ombudsman, j’ai pu observer un réel intérêt du monde politique concernant l’opinion et les recommandations de l’Okaju. 

Après, on sait que les priorités politiques sont parfois ailleurs. Mais nous sommes là pour mettre une petite pression…

Pour faire ce qu’on appellerait dans d’autres domaines du lobbying…

«En quelque sorte, oui. 

On sait que les priorités politiques sont parfois ailleurs. Mais nous sommes là pour mettre une petite pression…
Charel Schmit

Charel SchmitOmbudsman fir Kanner a Jugendlecher (Okaju)

Quand on jette un oeil au nombre de dossiers que vous avez ouverts ces derniers mois, aux appels que vous avez reçus…, on constate que vos chiffres ne sont pas forcément en hausse. Alors que la situation est préoccupante comme vous le signaliez. Comment l’expliquez-vous?

«L’Okaju doit se faire connaître. Nous sommes majoritairement saisis par des parents ou des professionnels du milieu éducatif. Pas par les enfants et adolescents eux-mêmes. Ces derniers ne savent pas qui nous sommes. Il faut changer ça. On se doit de mettre en place une stratégie de communication l’année prochaine. 

Dans les perspectives à venir en 2022, vous parlez dans votre rapport de la réforme de la Constitution…

«Les droits de l’enfant vont être inscrits dans le chapitre de la Constitution qui évoque les droits fondamentaux. Un des quatre à être réformés. C’est forcément très important pour nous. Cette inscription aura des effets positifs sur toutes les lois à venir et sur la société en général. Pour l’heure, il reste juste quelques questions liées à la formulation à régler…

Les droits de l’enfant vont être inscrits dans le chapitre de la Constitution qui évoque les droits fondamentaux.
Charel Schmit

Charel SchmitOmbudsman fir Kanner a Jugendlecher (Okaju)

Un rapport sur l’unité de sécurité pour mineurs situé à Dreiborn, à savoir l’Unisec, est aussi en préparation…

«Oui. Il est rédigé en collaboration avec la médiatrice, Claudia Monti, en tant que contrôleur externe des lieux privatifs de liberté. Il s’agira d’un bilan des quatre dernières années, soit une centaine de cas passés par l’Unisec. On le présentera prochainement. Il comprendra notamment des alternatives aux placements pénitentiaires. Je ne tiens pas à révéler ici le contenu de ce rapport avant sa publication, mais je me dois de dire que, d’un point de vue des droits de l’enfant, la privation de liberté ne peut être qu’une décision prise en dernier ressort et pour la plus courte durée possible. Or, les placements durent parfois plus longtemps que ce que la loi prévoit… Et on peut parfois se demander, pour certains jeunes, si ce placement carcéral est bien la meilleure réponse à apporter sur le plan éducatif et de la socialisation…»