Deux ans et demi après son arrivée, le CEO de la Lhoft, Nasir Zubairi assure que les fondations sont là, au service de l’industrie financière qui doit saisir les opportunités. (Photo: Romain Gamba)

Deux ans et demi après son arrivée, le CEO de la Lhoft, Nasir Zubairi assure que les fondations sont là, au service de l’industrie financière qui doit saisir les opportunités. (Photo: Romain Gamba)

Deux ans après sa création, la Luxembourg House of Financial Technology (Lhoft) a atteint une taille critique pour offrir au secteur bancaire et financier les outils dont il a besoin. Son CEO, Nasir Zubairi, regrette pourtant la lenteur dans l’adoption du changement. Une analyse franche, comme une perche à saisir.

«Je ne peux plus supporter d’entendre parler de complexité! Un avion est complexe, une Tesla est complexe. Fortnite, le jeu en ligne, est complexe. Malgré des centaines de millions de joueurs qui essaient en même temps d’éliminer les autres du jeu, tous les six mois, ses concepteurs proposent un nouvel environnement de jeu. Tous les six mois!»

Deux ans après la création de la Lux­embourg House of Financial Technology (Lhoft), peste contre la lenteur des institutions financières et autres banques privées à adopter vraiment le changement. Dans son bureau à la porte flanquée du logo de Superman, le Britannique répète ce qui semble être du bon sens moderne.

«Le changement est partout et on ne peut pas l’arrêter. Se maintenir n’est pas une option, la prospérité du Lux­embourg nécessite que l’on continue à croître. Le digital est une évidence et les fintech en sont probablement l’axe majeur à cause de l’importance du secteur financier. Nous devons fournir les outils à l’industrie financière pour résoudre ses problèmes et lui permettre de répondre aux opportunités qui se présentent.»

Les ultra-riches et PSD2

Venu aider le Luxembourg à devenir un hub de référence dans le monde des fintech, l’élégant CEO ne se cache pas derrière son petit doigt. «Je me demande combien de temps le secteur financier va devoir souffrir pour réaliser qu’il faut faire quelque chose… C’est une honte d’attendre d’en arriver à cette situation, mais je suis arrivé récemment à cette conclusion qu’il n’y a pas d’autre manière. Tout est pourtant là, en termes de conseil, de stratégie ou de solution pour accompagner le changement.»

Pourquoi cela ne va pas plus vite? «Une entreprise, ça ne prend pas de décision. Seuls les hommes dans ces entreprises peuvent en prendre. Ces dirigeants sont très à l’aise dans leur job, bien payés, ils n’ont pas besoin de sauter du bateau pour changer les choses. J’ai trouvé cela assez ‘intéressant’ de voir qu’après certains changements dans certaines institutions, ces CEO venaient me voir pour me dire qu’ils voulaient se réinventer et faire quelque chose dans le digital. Je leur ai demandé pourquoi ils ne l’avaient pas fait avant alors qu’ils avaient les leviers pour le faire… Le fait qu’ils aient été remerciés est aussi une preuve qu’on ne peut pas s’endormir sur ses lauriers.»

Personne n’a plus besoin d’une banque physiquement ici. C’est une opportunité! Le Luxem­bourg a l’habitude de l’étranger, pour aller étudier, voyager. Pourquoi ne pas développer une marque luxembourgeoise…

Nasir ZubairiCEO de la Lhoft

La crédibilité qu’il a acquise dans sa carrière dans le secteur financier, «à un niveau senior et international», M. Zubairi voudrait qu’elle l’aide à être entendu lorsqu’il prédit un bouleversement dans la gestion des avoirs des ultra-riches. «Le plus gros changement générationnel va survenir dans les cinq prochaines années. Des quadragénaires ou quinquagénaires vont hériter de la fortune de leurs parents. Je n’en connais pas qui ne veulent pas avoir un outil technologique pour gérer cela. C’est amusant de voir combien de sociétés de ce secteur ne trouvent pas pertinent d’avoir une solution technologique…»

Même chose pour PSD2, la directive européenne sur les services de paiement, qui entrera en vigueur le 14 septembre au Lux­embourg. «Les banques prennent cela comme une menace et essaient de s’y opposer. Dans un monde où nous allons de plus en plus vers la globalisation de la banque et son européanisation, les acteurs locaux vont être en compétition avec des étrangers. Personne n’a plus besoin d’une banque physiquement ici. C’est une opportunité! Le Luxem­bourg a l’habitude de l’étranger, pour aller étudier, voyager. Pourquoi ne pas développer une marque luxembourgeoise… Si les banques ne saisissent pas cette chance, dans deux ou trois ans, Amazon, Google ou Facebook s’en occuperont. Sans avoir ces données, regardez combien ils sont capables de générer de chiffre d’affaires! Ils trouveront un moyen d’avoir accès à ces données.»

Le potentiel des regtech

Au milieu des 166 sociétés membres de la Lhoft, dont 54 résidentes, l’expert en technologies financières pointe les «regtech». «Vu la nature des activités au Luxembourg, cela a du sens. Toutes les sociétés sont sous une pression terrible de l’accroissement de la réglementation, particulièrement en Europe. Pour améliorer l’efficacité et la productivité des back-offices, il n’y a que l’investissement dans la technologie pour y parvenir», assure-t-il, moins convaincu par le potentiel des insurtech.

Le domaine des paiements, dit-il, avance tout seul et vit son momentum, le Luxembourg ayant réussi à attirer des géants. 

Les cryptos ont d’abord été un succès pour le pays, à partir de la position du régulateur luxembourgeois, la Commission de surveillance du secteur financier. Avant que la Lhoft ne devienne plus prudente. «Nous avons été sollicités par toutes les sociétés de la planète au moment où BitFlyer a obtenu sa licence. Mais nous avons décidé d’être un peu plus prudents avec ces sociétés parce que c’est encore le Far West. Les sociétés qui travaillent dans la blockchain sont devenues plus robustes, notamment avec la cybersécurité, ce qui est encore une fois très pertinent pour le Luxembourg.» 

Si la donnée est un asset, pourquoi la banque ne peut-elle pas vendre la protection des données?

Nasir ZubairiCEO de la Lhoft

Pour le CEO de la Lhoft, le secteur est aussi porteur, à différents titres, dans la gestion de fortune, parce que le registre des bénéficiaires économiques va apporter de la transparence, et donc désigner les grandes fortunes aux hackers de la planète.

«Ou même pour la banque privée de commercialiser de la protection comme un service. Si la donnée est un asset, pourquoi la banque ne peut-elle pas vendre la protection des données?»

Deux ans après son ouverture, la Lhoft regarde les chiffres pour mesurer son utilité. Elle voit le développement des partenariats, qui assurent à des start-up luxembourgeoises des opportunités de développement partout sur la planète; l’arrivée de fonds d’investissement ou encore des levées de fonds dans lesquelles la présence au Luxembourg a été un élément rassurant pour les investisseurs.

Avant de filer à sa première réunion de la journée, le CEO de la Lhoft, qui avoue y prendre du plaisir, au milieu d’une équipe de tous les combats, rappelle que la «maison» a pour vocation d’apporter des solutions au secteur bancaire et financier. Pour qu’il continue à être le leader de l’économie nationale. Rien d’autre.