Albane Pillaire et son équipe gèrent au quotidien plus de 2.000 animaux au sein du zoo.  (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Albane Pillaire et son équipe gèrent au quotidien plus de 2.000 animaux au sein du zoo.  (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Endetté à hauteur de plus de 50 millions d’euros, le zoo d’Amnéville, l’un des plus grands en Europe, a été très proche de la faillite. Trois ans après sa reprise par le fonds d’investissement Prudentia Capital, il s’est restructuré et a retrouvé de nouvelles ambitions. Entretien avec Albane Pillaire, directrice du zoo.

Le zoo d’Amnéville, phare touristique dans la Grande Région, a été placé par deux fois en redressement judiciaire et a échappé sur le fil à une faillite pure et simple. Quelle est votre situation financière actuelle?

Albane Pillaire. – «Le zoo avait une dette de 53 millions d’euros. Lors de la reprise, un plan de continuation a été mis en place par la justice. On est à mi-parcours de ce plan, avec un remboursement annuel progressif de tous les encours du plan. Cette année, par exemple, nous remboursons environ un million d’euros. Le montant total que nous devions rembourser sur la dette initiale se situe à 14 millions d’euros. Il nous reste quatre ou cinq ans de remboursements à honorer.

La prudence reste de mise. Le malade va mieux, mais il n’est pas encore guéri?

«Nous restons en effet très prudents, car nous avons rencontré quelques accidents de parcours: le Covid, les différents confinements, le pass sanitaire qui a ensuite freiné la reprise de la fréquentation… L’activité est aussi très dépendante de la météo. Ensuite sont arrivées la crise énergétique et l’inflation. On achetait en 2021 l’électricité autour de 90 euros le mégawatt­heure, contre 249 euros en 2022. Le prix de la nourriture pour les animaux est aussi en très forte augmentation.

Néanmoins, la première partie de votre feuille de mission a été réussie…

«Ma mission en arrivant était de structurer et de développer le zoo, d’avoir une organisation plus adaptée, de développer une politique d’achat… Tout cela a été mis en place et a amélioré les conditions d’exploitation. Mais, dans l’autre plateau de la balance, on a les nombreux surcoûts.

Le fonds d’investissement Prudentia Capital est le propriétaire des lieux depuis janvier 2020. Cet actionnaire ne s’est jamais découragé?

«, à hauteur de 80% (, conserve 20% des parts du parc et a toujours un rôle de conseil sur la collection animalière, ndlr), et reste impliqué et investi. L’ADN de ­Prudentia Capital est de soutenir les PME qui ont des ambitions de rayonnement européen, ce qui est le cas de notre zoo, et c’est donc une grande chance. Nous avons un produit bien implanté, avec sa collection animalière et la compétence de ses équipes, qui sont indiscutables.

Un objectif de rentabilité a-t-il été fixé?

«Par rapport aux années que l’on vient de vivre, 2023 est l’année où nous espérons un véritable rebond de l’activité. Les deux années de Covid n’ont pas retardé le travail de structuration de l’entreprise, qui est maintenant gérée de manière professionnelle, conformément au plan présenté en 2019 par notre actionnaire. La rentabilité est d’ores et déjà atteinte, même si il reste encore de la marge d’amélioration pour être au niveau des zoos les mieux gérés de France, ce qui est notre objectif pour les deux prochaines années. Notre investisseur est très patient et continuera à accompagner nos objectifs initiaux de développement du Zoo Amnéville.

Quel est le budget annuel de fonctionnement?

«Nous sommes au-delà de 10 millions d’euros de budget.

L’énergie représentait auparavant un budget de 500.000 euros, cela nous coûte aujourd’hui 1,2 million d’euros.
Albane Pillaire

Albane Pillairedirectricezoo d’Amnéville

Comment se ventilent vos principales charges?

«Notre principal poste de dépense, c’est évidemment le personnel: nous avons une centaine de personnes permanentes à l’année, dont la moitié est dédiée aux animaux. Et une cinquantaine de saisonniers sont aussi recrutés chaque été. Ensuite viennent les soins et l’alimentation animale. Puis les charges techniques de fonctionnement, avec des coûts qui explosent. Ne serait-ce qu’au niveau de l’énergie, qui auparavant représentait un budget de 500.000 euros, et qui nous coûte aujourd’hui 1,2 million d’euros.

À combien s’élève le chiffre d’affaires de 2022?

«Il a dépassé les 10 millions d’euros, mais le seuil d’amortissement n’est pas atteint, comme expliqué.

Quelle a été la fréquentation du zoo cette même année?

«Nous avons dépassé, en 2022, les chiffres de 2019, qui était notre dernière année comparable, avec 356.000 visiteurs, contre 338.000 en 2019. Sachant que l’année 2022 était très compliquée puisqu’on a eu la canicule, la guerre en Ukraine, etc. Le zoo d’Amnéville est taillé pour accueillir au minimum 450.000 visiteurs par an, et c’est donc cela que nous visons, pour 13 à 14 millions d’euros de chiffre d’affaires.

C’est ce qui vous a amené à diversifier votre offre et proposer le festival Luminescences?

«Luminescences fait clairement partie de la stratégie de saisonnaliser le zoo et de “dérisquer” l’activité. On ne peut pas tout miser sur six semaines d’activité lors desquelles, potentiellement, la météo peut être très défavorable. Grâce à ­Luminescences, on a eu des fréquentations hors norme sur le mois de février 2022, en passant de 9.000 visiteurs – ce qui était déjà beaucoup – à 19.000 cette année pour le même mois. On vise les 100.000 visiteurs sur la période hivernale alors que, normalement, nous sommes plutôt à 20.000 ou 30.000 en hiver. Cela dit tout.

Vous êtes arrivée en avril 2021 d’un univers très différent de celui du zoo d’Amnéville?

«Oui, j’arrivais de Strasbourg, où j’étais directrice générale de Strasbourg Événements, filiale de GL Events. C’est un univers qui a l’air très différent à première vue, parce qu’ici on est sur un objet orienté grand public, alors que les équipements que je dirigeais auparavant étaient plutôt “professionnels”. Il y a en plus la dimension animalière qui est évidente, je peux dire qu’il y a finalement beaucoup de points communs: nous nous situons sur des établissements recevant du public, il y a donc de nombreuses incidences sur la gestion, la sécurité des personnes, des biens. Une autre dimension est importante: je reste sur un équipement qui a un réel impact sur son territoire.

Michel Louis, l’ancien propriétaire, disait qu’il était impératif de proposer régulièrement des nouveautés. Votre stratégie n’est pas la même?

«Proposer des nouveautés, cela reste une mécanique que le public et les médias nous imposent, et Michel Louis avait raison sur ce point. Par contre, il faut le faire de manière responsable. À une époque, le zoo était dans une ascension à tous les points de vue – collection, visiteurs, réputation… – et les banques suivaient sans trop rechigner. Mais aujourd’hui, cette confiance est plus qu’éraflée. Lorsqu’en 2016, après l’investissement très important pour Tiger World (20 millions d’euros, ndlr), Michel Louis a demandé à réétaler la dette, les banques ont dit non. Et cela a précipité le zoo dans les difficultés.

Tiger World avait même valu au zoo de perdre le label EAZA (European Association of Zoos and Aquaria), se retrouvant exclu de la grande famille des zoos européens. Il a fallu travailler à rétablir cette image et récupérer le label?

«C’était plus qu’un travail d’image. Tiger World, même si cela partait d’un noble sentiment, a causé aussi une fracture interne. Tout le monde n’était pas pour, dans l’équipe. En développant un spectacle de ce genre au sein d’un zoo dont les buts étaient l’éducation, la conservation et la reproduction, une ligne rouge était franchie.

Les équipes avaient été très peu consul­­tées quant à ce projet. Votre management est plus collaboratif?

«Il y avait effectivement auparavant un fondateur qui était l’unique décideur, ce qui correspond à une manière de faire à une certaine époque. C’est confortable pour les équipes quand les décisions prises vous conviennent, moins quand ça ne va pas. J’ai donc engagé un gros travail au niveau du management, des formations ont été proposées à tous les niveaux. La transparence est plus grande. Avant, les équipes ne voyaient jamais aucun chiffre, mais elles sont pourtant très intéressées par l’actualité de l’entreprise.

Autre exemple de la nouvelle dynamique insufflée: le visiteur pourra bientôt loger dans le zoo…

«Nous avons la chance d’avoir trois hectares disponibles en réserve foncière et nous avons donc pris la décision de nous lancer sur ce segment hôtelier. Nous sommes dans les phases d’étude pour un premier jalon de six grandes chambres dans un écolodge, avec une vue exclusive sur les tigres. Un investissement de l’ordre de 3 à 4 millions, avec une ouverture attendue à l’été 2024. On imagine proposer de 30 à 40 logements en 2026.»

Cette interview a été rédigée pour l’édition magazine de  parue le 29 mars 2023. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.  

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