Trois économistes du Mécanisme européen de stabilité (ESM), basé à Luxembourg, ont mis en garde contre un risque important de divergence en matière d’innovation au sein de la zone euro en raison des efforts actuels d’assainissement budgétaire. Selon un article de blog publié le mardi 10 septembre 2024, par Silvia Calò et Robert Kraemer, économistes principaux, et Francesco Tomasone, consultant, la consolidation fiscale en cours dans la zone euro est susceptible d’exacerber la fragmentation technologique si les gouvernements ne parviennent pas à préserver les dépenses en matière de recherche et de développement.
La R&D pendant l’assainissement budgétaire
L’assainissement budgétaire implique des politiques visant à réduire les déficits publics et les niveaux d’endettement, généralement par une combinaison de réductions de dépenses et d’augmentations d’impôts. Ces mesures peuvent avoir un impact significatif sur la croissance économique et l’innovation à long terme. Le rapport de l’ESM affirme que le maintien des investissements en R&D durant ces périodes de consolidation est essentiel pour favoriser une croissance soutenue et maintenir la compétitivité. Compte tenu des défis posés par le changement climatique, la transformation numérique et le vieillissement de la population, un financement adéquat de la R&D est crucial. La pandémie de Covid-19 et la crise de l’énergie ont intensifié les pressions fiscales, entraînant une augmentation des ratios dette/PIB et des coûts du service de la dette, ce qui a limité la flexibilité fiscale des gouvernements, notent les économistes de l’ESM.
Ils affirment que les pays qui dépensent moins en R&D ont eu tendance à réduire leurs budgets de R&D plus sévèrement pendant les consolidations fiscales que leurs pairs. Cette tendance crée un cycle dans lequel la réduction des investissements publics dans la R&D entraîne une diminution de la capacité d’innovation. Le rapport souligne que lorsque les gouvernements adoptent des consolidations basées sur les recettes qui augmentent la charge fiscale, les investissements en R&D du secteur privé s’en trouvent souvent affaiblis. Faute d’un financement suffisant de la R&D, les pays les moins innovants risquent d’entrer dans une «boucle fatale de la R&D», où le déclin de la capacité d’innovation entraîne de nouvelles réductions des dépenses de R&D, accentuant ainsi les divergences au sein de la zone euro.
R&D et politiques fiscales
Le rapport établit une distinction entre les consolidations fondées sur les dépenses et celles fondées sur la fiscalité. La consolidation basée sur les dépenses se concentre sur la réduction des dépenses publiques, tandis que la consolidation basée sur les impôts implique une augmentation des impôts pour équilibrer les budgets. Selon les économistes de l’ESM, la consolidation basée sur les dépenses ne réduit généralement pas les investissements nationaux en R&D. Au contraire, elle peut encourager les entreprises à compenser les réductions du financement public en augmentant les investissements privés dans la R&D. À l’inverse, la consolidation fondée sur la fiscalité réduit directement les ressources disponibles pour la R&D privée, ce qui a un impact négatif sur les activités de R&D dans tous les pays, quel que soit leur niveau d’innovation.
La boucle fatale de l’innovation
Le concept de «boucle fatale de l’innovation» est introduit pour décrire l’impact des consolidations fiscales sur les pays à intensité modérée de R&D. Ces pays réduisent souvent les dépenses publiques de R&D de manière plus drastique que les nations à forte capacité d’innovation. Il en résulte une aggravation du fossé en matière d’innovation, qui se traduit par une diminution des dépenses de R&D et de l’avantage concurrentiel. Alors que les pays très innovants peuvent voir les investissements du secteur privé compenser la réduction de la R&D publique, les pays moins innovants connaissent une baisse des investissements privés en R&D à la suite de la consolidation, ce qui exacerbe la réduction totale des dépenses en R&D.
Recommandations politiques
Le trio d’économistes préconise dans son billet de donner la priorité aux stratégies de consolidation fondées sur les dépenses afin d’atténuer les effets négatifs sur l’investissement en R&D. Les mesures fondées sur les dépenses sont considérées comme moins préjudiciables à l’innovation, car elles permettent de préserver les investissements publics dans la R&D et d’encourager les contributions du secteur privé. Elles soulignent l’importance de reconnaître le lien entre l’investissement en R&D et la conception de la politique budgétaire pour soutenir la croissance à long terme et la viabilité budgétaire.
Selon l’ESM, les discussions récentes entre l’Eurogroupe et la Commission européenne soulignent la nécessité de politiques qui renforcent la compétitivité à la fois à court et à long terme. La Commission a fait de la recherche et de l’innovation une priorité dans ses orientations politiques pour la période 2024-2029. Il est essentiel de reconnaître ces interconnexions pour s’assurer que les politiques fiscales ne sapent pas les investissements dans la R&D, soutenant ainsi un environnement économique plus robuste et plus compétitif dans la zone euro.
Calò, Kraemer et Tomasone concluent qu’en maintenant l’accent sur la R&D pendant les consolidations fiscales, la zone euro peut mieux relever les défis du changement technologique et de la concurrence mondiale, en assurant une croissance soutenue et en réduisant le risque de fragmentation économique.