592 exploitations agricoles sur 1.005 ont cessé d’utiliser du glyphosate, soit plus de la moitié. En outre, 100% des viticulteurs ne l’utilisent déjà plus. «L’acceptation n’est pas si mauvaise. Il y a une ouverture dans ce sens», se réjouit le ministre de l’Agriculture, Romain Schneider (LSAP). (Illustration : Maison Moderne)

592 exploitations agricoles sur 1.005 ont cessé d’utiliser du glyphosate, soit plus de la moitié. En outre, 100% des viticulteurs ne l’utilisent déjà plus. «L’acceptation n’est pas si mauvaise. Il y a une ouverture dans ce sens», se réjouit le ministre de l’Agriculture, Romain Schneider (LSAP). (Illustration : Maison Moderne)

L’utilisation du glyphosate sera interdite dès le 1er janvier prochain au Luxembourg – le premier pays à adopter une telle mesure. Les agriculteurs luxembourgeois sont aussi les premiers à en subir les conséquences. Et la transition peut s’avérer complexe.

«C’est venu trop tôt», estime Christian Wester, vice-président de la Centrale paysanne. Le Luxembourg sera, le 1er janvier prochain, sur son territoire.

Pesticide le plus vendu au monde avec plus de 800.000 tonnes répandues chaque année, il est principalement utilisé pour détruire les adventices, c’est-à-dire les «mauvaises herbes».

Sa dangerosité fait débat: classé en 2015 comme «cancérogène probable» par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), qui dépend de l’OMS, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) considère de son côté que les risques du glyphosate pour les consommateurs sont limités.

Une décision politique

Côté juridique, Et la cour d’appel de Californie a considéré, en juillet dernier, que le Roundup, dont le principal actif est le glyphosate, avait bien causé le cancer d’un plaignant.

Mais la question reste complexe et sujette à débat. Pour Christian Wester, la décision du gouvernement luxembourgeois d’interdire le glyphosate est «idéologique»: «Aucune nouvelle étude scientifique ne justifie cette mesure», tranche-t-il.

S’il reconnaît que ce produit n’est pas «sans contestation», le président de la Chambre d’agriculture, aussi vice-président de la Centrale paysanne, Guy Feyder, juge de son côté qu’il s’agit d’«une facilité, une décision politique, sans base scientifique, prise sous la pression de la rue».

En interdisant le glyphosate, nous prenons notre responsabilité politique.
Romain Schneider

Romain Schneiderministre de l’Agriculture (LSAP)

«C’est une décision politique de la part des trois partis, et qui était dans l’accord de coalition», assume le ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural, (LSAP). Et si elle répond à l’application du «principe de précaution», cette mesure s’inscrit surtout dans une logique: «Le Luxembourg a voté contre toutes les décisions d’autorisation de mise sur le marché au niveau de l’UE. Quand on a une politique, il faut aller jusqu’au bout. En interdisant le glyphosate, nous prenons notre responsabilité politique. D’ailleurs, comme on s’y attendait, Bayer nous fait un procès.»

Une stratégie d’ensemble

Et cette mesure n’est pas isolée: elle s’inscrit dans l’engagement du gouvernement à réduire considérablement l’usage de produits phytopharmaceutiques en général. Le plan d’action national de réduction des produits phytopharmaceutiques (PAN) se fixe ainsi l’objectif de réduire de 50% l’utilisation des produits phytopharmaceutiques d’ici 2030.

Pour les «big movers» – les produits phytopharmaceutiques les plus dangereux ou les plus utilisés, dont font partie les produits à base de glyphosate –, l’échéance est encore plus proche, avec un objectif de diminution de 30% d’ici 2025.

Sans compter que – contre 5% actuellement. Ce qui suppose la non-utilisation du glyphosate sur ces sols.

Et les gaz à effet de serre?

Mais pour comprendre un autre aspect de la problématique du glyphosate, il faut remonter quelques années auparavant. «Dans les années passées, il y avait le souci de limiter le labour des sols, car cela génère des émissions de gaz à effet de serre», explique Guy Feyder. Ce qui est bien sûr incompatible avec l’objectif de lutte contre le réchauffement climatique.

Le glyphosate apporte donc une solution, selon Guy Feyder, en éliminant les mauvaises herbes qui, à défaut de labour, prolifèrent. Désormais, une problématique se pose: «Comment travailler le sol avant le semis?», s’interroge-t-il, puisque le labour n’est pas recommandé au vu des objectifs de limitation des émissions de gaz à effet de serre.

Pas d’alternatives

Or, aucune solution ne semble efficace pour le moment. Des expérimentations sont menées avec la Chambre d’agriculture. Deux ou trois projets sont en cours de recherche pour trouver des alternatives, selon Romain Schneider. Et de nouvelles machines sont en cours d’élaboration – avec un prototype qui serait en cours d’utilisation au Luxembourg.

En deux saisons, on n’a pas suffisamment de temps.

Guy FeyderprésidentChambre d’agriculture

Des alternatives qui ne sont pour le moment ni «fiables» ni «à la hauteur», selon Christian Wester. «Les résultats sont moins bons, les solutions ne sont pas aussi complètes» que le glyphosate, selon Guy Feyder. Le problème étant qu’il faut un cycle des champs complet, d’au moins cinq ou six ans, pour se rendre compte de la réelle efficacité de ces alternatives. «En deux saisons, on n’a pas suffisamment de temps», explique Guy Feyder.

Rentabilité impactée

Forcément, la rentabilité est aussi impactée. À rendements identiques, les coûts de production sont plus élevés. Et la compétitivité des agriculteurs luxembourgeois est dégradée, alors qu’ils vendent sur le même marché que les Français, les Allemands ou les Belges, qui ne se sont pas imposé cette même contrainte.

Pour compenser, une aide financière a été proposée par le gouvernement pour les exploitants qui ont renoncé dès 2019/2020 au glyphosate: par hectare, 30 euros pour les terres arables, 50 euros pour les terres viticoles et 100 euros pour l’arboriculture fruitière. Ce qui n’est pas suffisant, selon les représentants de la Centrale paysanne: ne pas recourir au glyphosate reviendrait à un coût de production supplémentaire de 100 à 150 euros l’hectare, au vu du temps passé en plus et de l’usure des machines pour le travail dans le sol.

Un problème d’autant plus prégnant pour les agriculteurs concernés que dans la grande culture – celles des céréales ou du colza entre autres, où le glyphosate est utilisé –, les marges sont faibles: ainsi, «un peu moins de rendement, un peu plus de coûts, cela se ressent tout de suite», explique Guy Feyder.

Peu utilisé

Mais les agriculteurs directement impactés par l’interdiction du glyphosate sont-ils nombreux au Luxembourg? En 2016/2017, 13.600 kilogrammes de glyphosate étaient utilisés par an – un chiffre qui n’a pas beaucoup varié les années suivantes, assure Romain Schneider, qui considère, évasif, que «ce n’est pas énorme, mais pas rien non plus».

Au Luxembourg, plus de la moitié des surfaces agricoles sont des prairies dédiées à l’élevage, où l’utilisation du glyphosate n’est pas nécessaire. Et, sur l’autre moitié, un tiers seulement accueille de la grande culture, pour laquelle le glyphosate est utile.

La structure des exploitations agricoles du pays dilue aussi le risque: sur environ un millier de fermes, 800 à 850 sont en polyculture, à savoir un mélange d’élevage et de céréales. Or, selon la part de l’une ou de l’autre activité, leur exposition à la nouvelle mesure est donc variable.

La plupart [des fermes] n’utilisent pas le glyphosate.

Christian Westervice-présidentCentrale paysanne

En outre, du côté de la Centrale paysanne, Guy Feyder reconnaît que «pas mal de fermes travaillent avec la charrue». «La plupart n’utilisent pas le glyphosate», admet franchement Christian Wester.

Pour les plus exposés, il reste toujours la solution ultime de basculer vers une autre activité. «Certains de mes confrères se demandent s’ils vont continuer dans la grande culture», assure Guy Feyder. «Mais on verra le résultat après plusieurs années.»

Bonne acceptation

Romain Schneider se rassure en constatant que nombreux sont les agriculteurs qui se sont engagés à renoncer au glyphosate avant même la date fatidique: 592 exploitations sur 1.005, soit plus de la moitié. En outre, 100% des viticulteurs ne l’utilisent déjà plus. «L’acceptation n’est pas si mauvaise. Il y a une ouverture dans ce sens», se réjouit-il.

Et le ministre assure que les recherches vont continuer. «Il faut trouver des alternatives, bien conseiller les agriculteurs et compenser les incidences financières des pertes de production», déclare-t-il.

La prochaine étape sera le 15 décembre 2022, lorsque l’UE devra décider d’une nouvelle autorisation pour le glyphosate en Europe. La question concrète d’un prolongement se posera alors. Une homogénéisation de l’interdiction permettrait évidemment d’éviter des problèmes de concurrence. Une chose est sûre, en tout cas, selon Romain Schneider: «Le Luxembourg votera contre».