Ni Gëlle Fra des années 2020, ni vestale du temple financier, la nouvelle ministre des Finances, , apparaît comme une citoyenne du monde convaincue, à la détermination placide. Elle est de ces femmes qui ont dans le regard une force sereine, basée sur la confiance en elle, forcément, mais aussi sur un certain apaisement lié au devoir accompli à chaque étape, au fait d’être en phase avec elle-même et les valeurs qu’elle souhaite incarner.
Retour sur le parcours de celle qui a été la première femme à représenter la Commission européenne au Luxembourg, mais aussi la première femme maréchale de la Cour. À compter de ce mercredi 5 janvier, elle sera la première femme ministre des Finances, après avoir prêté serment devant son ancien «patron», le Grand-Duc.
Japon aller-retour
Yuriko Nadia Backes porte un prénom japonais (dont la traduction pourrait être «Lily») en hommage au pays où elle est née, de parents luxembourgeois expatriés, non diplomates. Elle a ensuite vécu en Allemagne, pour revenir dans la région de Tokyo pendant 11 ans. C’est là qu’elle a passé un bac international, avant de partir à Londres étudier les relations internationales à la London School of Economics, puis, licence en poche, l’histoire et l’économie japonaises à la School of Oriental and African Studies. Elle a ensuite obtenu un master en études politiques et administratives au Collège d’Europe à Bruges et a opté pour une carrière diplomatique en passant plusieurs concours.
Avec cette culture nipponne faite de rigueur et d’honneur, mais aussi de quête d’harmonie sociale plutôt que d’individualisme, Yuriko Backes a peut-être gravi les échelons de sa carrière avec la conviction que l’équilibre donnait la mesure de toute chose. «L’harmonie et le travail en équipe sont très importants pour moi, discuter et échanger autour d’une table ronde, de préférence, en prenant en compte les recommandations et les idées de chacun, afin de prendre les bonnes décisions à la fin.»
Un état d’esprit où l’autopromo n’a pas sa place, ce qui explique sans doute qu’elle n’ait jamais adhéré à aucun parti politique jusqu’il y a peu.
Sa force consiste à capter très vite l’essentiel dans les dossiers et à se concentrer dessus.
Un parcours cohérent
«L’échange culturel est le chemin par lequel les âmes voyagent par-delà les frontières», a écrit Haruki Murakami, auteur japonais contemporain. Une maxime que Yuriko Backes aurait pu faire sienne… Elle qui parle le luxembourgeois, l’allemand, le français et l’anglais. Si elle a des notions de japonais, elle avoue ne pas être «totalement ‘fluent’». Une maîtrise des langues qui a constitué un socle non négligeable pour mener une ambition internationale.
Yuriko Backes a débuté sa carrière aux Nations unies, à New York, pendant trois ans, à la représentation permanente du Luxembourg, et au sein de l’Union de l’Europe occidentale (UEO), à Bruxelles. En 2000, elle a rejoint le ministère des Affaires étrangères comme directrice adjointe du service des relations économiques internationales.
Par la suite, elle a été chef de mission adjoint et ministre conseiller à l’ambassade du Luxembourg au Japon. Elle a également été conseillère diplomatique et sherpa pour le compte du Premier ministre (CSV) de 2010 à 2013. Lors de l’arrivée au pouvoir du gouvernement DP-LSAP-déi Gréng, le chef du gouvernement, lui a renouvelé sa confiance aux mêmes fonctions jusqu’en juin 2016.
Pour réussir à évoluer dans ces arcanes, on la dit efficace et synthétique. Elle répond que sa méthode, c’est «l’écoute, l’analyse, la persévérance puis la décision. Je m’organise, c’est important pour moi de faire des ‘to do lists’. J’aime bien faire bouger les choses, boucler les dossiers.» À 46 ans, elle était désignée , remplaçant Guy Berg, qui occupait cette fonction depuis septembre 2014. Quatre ans plus tard, en juin 2020, Yuriko Backes est devenue .
À bientôt 51 ans, elle est donc la première femme à occuper les fonctions de ministre des Finances dans l’Histoire du Grand-Duché. En tant que diplomate, elle n’avait jamais adhéré à aucun parti jusqu’ici. La voici désormais encartée au DP, un parti dont elle partage les valeurs, indiquait-elle le 3 décembre lors d’une conférence de presse. Avec d’ores et déjà l’idée d’une candidature aux élections législatives de 2023.
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Diplomate, collaboratrice, amie, maman…
Collaborateurs, compagnons de route dans l’écosystème étatique, amis, celles et ceux qui nous ont parlé de Yuriko Backes la connaissent côté cour et côté jardin. C’est notamment le cas de , dont les enfants ont sensiblement le même âge que les siens et se fréquentent.
«Si je devais la définir en trois mots, je dirais compétente, internationale et sympathique. C’est une femme qui comprend, analyse et sait transmettre les informations de manière digeste. Elle parle de nombreuses langues, a vécu à New York et connaît tous les rouages de l’UE. Pour la connaître depuis 20 ans, elle a aussi un excellent sens de l’humour et de l’amitié», résume le CEO de Luxembourg for Finance.
Même son de cloche auprès de la CEO de Luxinnovation, , également diplomate de formation, qui a vécu des étapes de sa vie professionnelle en même temps qu’elle a Bruxelles, et a pu bénéficier de ses conseils tant professionnels qu’amicaux pour s’adapter à cette nouvelle vie. «Il y a eu une forme de sororité. C’est une personne à qui je peux faire entièrement confiance. Je dirais qu’elle est authentique et conséquente. Professionnellement, elle a réussi à traduire les enjeux de niveau européen à l’échelon citoyen, à ce qui fait sens sur le terrain.»
, qui lui a succédé à la Représentation de la Commission européenne, la connaît depuis 2004. Elle parle de relations fluides et «sans chichis». «Elle est très efficace, pragmatique et travaille rapidement. Sa force consiste à capter très vite l’essentiel dans les dossiers et à se concentrer dessus. Elle ne dresse pas de barrières entre les autres et elle, et reste très accessible et conviviale. Je crois qu’elle aime apporter son aide, humainement.»
Au sein de la Représentation de la Commission, l’équipe qu’elle a mise en place est toujours très performante et liée par ce que ses membres appellent «les années Yuriko». Fonction à venir oblige, ils sont peu à accepter de nuancer leurs propos très élogieux. Alors nous avons demandé à l’intéressée elle-même de nous avouer un défaut: «Je suis un peu impatiente. J’anticipe et j’essaie de trouver des solutions aux problèmes avant même, parfois, qu’ils ne se posent. Mais est-ce vraiment un défaut?» Elle dit s’inspirer professionnellement de Robert Schuman «comme un des pères de l’Europe», et de Nelson Mandela «pour son courage».
Ma méthode? L’écoute, l’analyse, la persévérance puis la décision. (…) J’aime bien faire bouger les choses, boucler les dossiers.
Maman de deux garçons de 15 et 19 ans, elle a mené sa carrière dense et exigeante faite de déplacements, de déménagements et d’horaires à rallonge grâce au soutien de son mari et à un dialogue familial permanent.
«C’était et c’est toujours important pour nous de passer le plus de temps possible ensemble, en famille, pour des repas par exemple. Je n’ai jamais aimé rater un match de foot de mes garçons, et j’essaie de réduire mes absences au minimum. Il faut aussi des moments en couple et des moments pour soi pour se ressourcer dans la vie», nous a-t-elle confié. Elle trouve dans le yoga et le pilates l’énergie pour débuter chaque journée et dans la musique de Bach de quoi lâcher prise. Pendant les confinements, elle appréciait travailler dans son salon, ouvert sur la nature, comme une parenthèse bienfaisante au milieu de sa vie trépidante.
Son accession à un poste ministériel la place face à des défis compliqués et autrement stratégiques. Ils ont été déjà largement amorcés par Pierre Gramegna. Face aux enjeux géopolitiques, aux intérêts financiers à protéger et à déjouer, à la critique inhérente à l’exercice du pouvoir, aux jeux politiques et à la remise en cause permanente et nécessaire de ce qui peut sembler établi, Yuriko Backes saura-t-elle préserver son tempérament?