Sur la question des quotas, (de g.à d.) Eliane Fuchs, Rachel Hamen, Ginette Jones, Elisa Da Silva, Carolyn Linnevers et Simone Delcourt ont des avis divergents. Mais toutes sont d’accord pour dire que les femmes ne sont pas encore assez représentées. (Photos: Maison Moderne)

Sur la question des quotas, (de g.à d.) Eliane Fuchs, Rachel Hamen, Ginette Jones, Elisa Da Silva, Carolyn Linnevers et Simone Delcourt ont des avis divergents. Mais toutes sont d’accord pour dire que les femmes ne sont pas encore assez représentées. (Photos: Maison Moderne)

Dans le cadre de notre dossier Women on Board publié dans le numéro de mars du magazine Paperjam, nous avons interrogé plus de 200 femmes sur leur vision de la représentativité des femmes dans les boards et les instances dirigeantes. Sur les quotas, les réponses des administratrices sondées varient. Pour Deloitte Global qui mène une étude tous les deux ans, leur efficacité n’est plus à prouver. 

Il y a quelques années déjà,, avec le ministère de l’Égalité des chances. «C’était le début de l’évolution que nous connaissons aujourd’hui. Les quotas peuvent être intéressants dans un premier temps pour faire bouger les mentalités, mais on ne devrait pas être aujourd’hui encore à se demander s’il faut des quotas, les femmes devraient pouvoir s’imposer plus facilement. Or, nous constatons qu’il y a encore des freins à l’accession des femmes dans les conseils d’administration; le changement des mentalités est lent», regrette la présidente de Femmes Leaders Luxembourg, . Pour la managing director de DS Advisory Services, Elisa Da Silva, actuellement en discussions en vue de son premier mandat, «au Luxembourg on pourrait faire autrement. De plus en plus de femmes sont connues des clients grâce à leur réseau».

, la CEO de LuxCSD, a un avis un peu plus tranché. «Comme le reflètent certaines exigences réglementaires, les seuils minimaux favorisent une plus grande diversification des conseils d’administration et renforcent la voix du sexe sous-représenté.» Un avantage donc. D’ailleurs, la senior vice-présidente de Northern Trust Corporation, Rachel Hamen, a un avis tranché sur la question. «Les quotas sont absolument nécessaires si on veut accélérer le rythme du changement et forcer les mentalités à évoluer, mais cela ne doit pas se faire au détriment de la qualité des profils.» 

 Les quotas ne sauraient donc tout régler selon Ginette Jones, présidente de l’Entente des offices sociaux et vice-présidente de la Fondation Solina: «Les quotas doivent être accompagnés par un engagement conséquent des hiérarchies vis-à-vis de la représentation équilibrée femmes-hommes, la formation sur des sujets pouvant impulser une meilleure représentation ainsi qu’un agenda précis et une évaluation continue», insiste celle qui est aussi membre du board de Post Group.

Simone Delcourt, qui a occupé divers postes d’administratrice par le passé propose une autre approche: «Il faudrait plutôt parler d’un quota pour le sexe sous-représenté. En plus, il importe d’avoir au sein d’un conseil d’administration des membres qui remplissent les critères d’expérience et de qualification. Au cas où deux personnes de sexe opposé satisfont à ces critères et sont équivalents, le choix devrait porter sur la personne du sexe sous-représenté.» 

Une parité atteinte en 2038 selon Deloitte Global

Dans sa , Deloitte Global a analysé la situation dans une cinquantaine de pays, avec l’appui de Deloitte Luxembourg en ce qui concerne les données locales. Publiée au printemps 2024, elle présente l’intérêt «de pouvoir se comparer, se benchmarker par rapport à ce qui passe au niveau international. Ce qui est intéressant dans ce rapport, c’est qu’il donne vraiment les tendances et nous permet de constater une amélioration réelle», explique l’audit & assurance partner and diversity, equity & inclusion leader de Deloitte Luxembourg, Sandrine Muller. Car d’un pays à l’autre, la situation évolue différemment, et bien souvent, elle est très liée aux politiques qui sont mises en place. 

Le rapport s’intéresse notamment à la durée qu’il faudrait pour atteindre la parité en continuant au même rythme qu’actuellement. Ainsi, en examinant la situation en 2018, Deloitte Global prédisait une parité à l’horizon 2052. «Finalement en 2023, on a fait un bond dans le temps et on estime que la parité sera atteinte en 2038. On a gagné quelques années, bien que l’on ne puisse toujours pas se satisfaire de cela. Mais nous espérons encore grappiller une dizaine d’années lorsque nous publierons la prochaine étude», espère Sandrine Muller. 

Une des tendances qui ressort clairement du rapport concerne les actions gouvernementales, «qui ont un effet assez flagrant. On parle ici de pays qui ont mis en place des formes de quotas dans leur législation, comme en France par exemple. Dans ces pays, on remarque une meilleure représentation des femmes dans les boardrooms. L’une des données flagrantes est que cinq des six pays avec les plus hauts pourcentages de femmes dans les boardsrooms sont des pays qui ont mis en place ces quotas. Et nous parlons ici de quotas allant de 33 à 40%, nous ne sommes même pas encore à une parité à 50%», soulève Sandrine Muller. 

Un accélérateur de changement

Qu’on soit pour ou contre ces quotas, ils sont souvent considérés comme un «accélérateur de changement» et l’étude de Deloitte Global montre en tout cas qu’ils produisent des effets concrets, sans analyser les conséquences qu’ils peuvent engendrer, car «ce sont globalement des législations qui sont nouvelles et face auxquelles nous manquons peut-être un peu de recul», poursuit-elle. 

Un des écueils, dans le cas où il y aurait un manque de candidates, serait d’avoir des femmes qui siègeraient dans de nombreux boards. «La crainte serait de dire, on a besoin de femmes dans un board, alors nous allons toujours chercher la même femme que nous connaissons déjà, sans donner la chance à d’autres personnes qui auraient du potentiel. Un phénomène que Deloitte Global a aussi tenté d’analyser dans son rapport.

«Nous avons mis en place un coefficient qui s’appelle le ‘stretch factor’, par pays. Il a pour but de quantifier le nombre de sièges qu’aurait un homme ou une femme dans des boards. Mais on s’aperçoit que finalement, dans les pays où il y a des quotas, ce stretch factor n’est pas forcément plus élevé.  Plus le facteur d’étirement est élevé, plus le nombre de sièges occupés par un même administrateur sur un marché donné est élevé.  Au Luxembourg, ce stretch factor est plutôt équilibré: 1,03 pour les femmes et 1,02 pour les hommes. 

Le Luxembourg est tout à fait comparable à ses pays voisins, mais nous notons tout de même des différences réelles avec des pays comme la France qui ont mis en place des quotas.
Sandrine Muller

Sandrine Mulleraudit & assurance partner and diversity, equity & inclusion leaderDeloitte Luxembourg 

Ainsi, selon le rapport de Deloitte Global (*), «le Luxembourg est tout à fait comparable à ses pays voisins, mais nous notons tout de même des différences réelles avec des pays comme la France qui ont mis des quotas». Selon les données collectées auprès de 40 entreprises luxembourgeoises, seules 5,6% de femmes président un conseil d’administration. Sur ces 40 sociétés analysées, 61 sièges occupés par des femmes sont recensés. Et elles sont le plus représentées dans le domaine de la technologie, des médias et de la communication (30,2%) et de l’industrie (22,1%). 

En France par exemple, des quotas progressifs pour la parité des boards sont en place depuis la promulgation de la loi Copé-Zimmermann en 2011: 20% en 2014 et 40% à partir de 2017. Depuis 2018, la part de sièges occupés par des femmes est passée de 37,2% à 44%, et la part des présidentes a même doublé: de 5,5% à 12,4%. 

En Belgique, des quotas sont aussi fixés depuis 2011, de l’ordre de 33,3%. Depuis 2021, l’objectif a été dépassé avec 34,9% de femmes à des boards en 2021 et 38% en 2023. 

En Allemagne, le quota de 30% de femmes a aussi été légèrement dépassé (31,3% en 2023), mais n’a produit que peu d’effet pour les sièges de présidentes, où les femmes étaient 4,2% en 2018 et 4,7% en 2024. 

Dans le top 5 des pays où les femmes sont les plus représentées dans les boards, on trouve la France (44%), la Norvège (43,3%), l’Italie (40,4%), la Belgique (38%) et la Nouvelle-Zélande (36,3%). Parmi ces cinq pays, les quatre premiers ont mis en place des quotas. 

À l’inverse, les pays où les femmes sont les moins représentées dans les boards sont le Qatar (1,5%), l’Arabie Saoudite (2,8%), le Koweït (6,2%), l’Argentine(7,5%) et la Corée du Sud (8,8%).

Au-delà des quotas, d’autres solutions peuvent encourager une meilleure parité dans les instances décisionnelles. En Australie par exemple, la sphère politique a plutôt misé sur des objectifs et sur le principe de divulgation volotraire. Depuis 2014, la part des femmes dans les boards est ainsi passée de 15 à 34%. 

(*) Les données publiées dans cet article sont extraites de l’étude de Deloitte Global, sur base des données collectées par le Big Four dans son échantillon. Elles ne reflètent pas la situation de façon exhaustive mais donnent un aperçu des tendances.