La fiscalité au Luxembourg, toute une histoire… (Photo: Shutterstock)

La fiscalité au Luxembourg, toute une histoire… (Photo: Shutterstock)

Depuis la création du Luxembourg, né dans sa forme actuelle en 1839, jusqu’à aujourd’hui, la charge fiscale a considérablement évolué. Retour sur près de deux siècles d’histoire de l’impôt au Luxembourg. 

La place financière luxembourgeoise est aujourd’hui l’une des plus influentes d’Europe et une véritable locomotive pour les autres activités du pays, ainsi qu’un grand pourvoyeur d’emplois (le secteur représente 11% de l’emploi, contre 3% en moyenne pour l’Union européenne). Le succès et l’importance de la place financière s’expliquent par de nombreux facteurs comme la stabilité politique et économique, la position centrale du pays sur la carte de l’Europe, son triple A, mais aussi son système fiscal avantageux et résolument finance friendly.

Pour comprendre comment le pays en est arrivé là, nous vous proposons un petit voyage à travers l’histoire des impôts au Luxembourg avec Denis Scuto, docteur en histoire de l’Université Libre de Bruxelles depuis 2009, enseignant-chercheur à l’Université du Luxembourg et auteur d’une publication sur l’histoire des impôts au Luxembourg dans l’ouvrage collectif Impôts et justice fiscale au Luxembourg: les éléments clés pour une future réforme.

1839, naissance du Luxembourg

 Le Grand-Duché tel qu’on le connaît aujourd’hui en tant qu’État souverain et indépendant est né en 1839, issu indirectement de la révolution belge de 1830. La population luxembourgeoise a en effet vivement exprimé son mécontentement par rapport aux impôts indirects imposés par le roi Guillaume Ier des Pays-Bas (impôts sur le vin, sur le pain, accises sur l’alcool, etc.). En matière d’impôts directs, le jeune Grand-Duché hérite de la nouvelle philosophie de la fiscalité introduite par les Lumières qui remplace l’impôt-tribut par l’impôt-échange et introduit le principe d’égalité devant l’impôt et celui de proportionnalité.

En 1841, la législation luxembourgeoise reprend les impôts directs en vigueur sous la période hollandaise (1815-1830) avec une contribution personnelle perçue sur la valeur locative, les portes et fenêtres, les foyers, le mobilier, les domestiques et les chevaux, un droit de patente fixe sur les revenus des industriels, commerçants et personnes exerçant une profession libérale (les ecclésiastiques, fonctionnaires, avocats, médecins et artistes en étaient exemptés), ainsi qu’une contribution foncière.

Un impôt à 1%

 La vague révolutionnaire qui gronde dans toute l’Europe en 1848 s’accompagne au Luxembourg d’une réforme fiscale qui applique de nouveaux taux d’imposition: 1% d’impôt sur les traitements, salaires et pensions, 2% sur les bénéfices et les gains. Certaines professions en étaient toutefois exemptées (soldats, apprentis, ouvriers, journaliers et domestiques), tout comme les revenus des communes, des hospices ou encore des fabriques d’église. En 1849, le droit de patente est aboli pour laisser place à un impôt foncier de 2% sur les revenus des marchands ambulants, des marchands de bétail et les entrepreneurs de jeux d’amusement. Un impôt foncier de 10% sur les revenus des propriétés bâties et non bâties voit également le jour (il passera à 8% en 1869).

En 1868, les apprentis, ouvriers, journaliers et domestiques sont à leur tour soumis à l’impôt, tout comme les fabriques d’église et les communes. Seuls les soldats restent exemptés d’impôt. Un impôt de 3% est également perçu sur les revenus de capitaux placés à intérêt ou investis dans le commerce et l’industrie. Enfin, en pleine industrialisation du pays, un impôt minier est généralisé à hauteur de 1,5% du prix de vente des produits pour les entreprises minières.

En 1913, la déclaration d’impôt devient obligatoire au Luxembourg et le taux d’imposition devient progressif, passant de 0,2% à 6% de contribution mobilière. Le taux de 0,2% est appliqué aux contribuables aux revenus inférieurs à 3.000 francs alors que le taux plafond de 6% concerne les Luxembourgeois gagnant 1 million de francs et plus. C’est à cette période également qu’un minimum vital exonéré d’impôts est institué et qu’un impôt sur la fortune fait son apparition (il ne disparaît qu’en 2006 pour les personnes physiques).

En 1919, les impôts directs sont regroupés en un «impôt général sur le revenu». Comme le rappelle Denis Scuto dans sa publication, même si un impôt complémentaire sur le revenu des capitaux voit le jour en 1927, l’entre-deux-guerres reste une période de low taxes au Luxembourg. À titre de comparaison, en 1920, la France adoptait un taux maximal de 50%.

1941, un second tournant historique

Mais la Seconde Guerre mondiale marquera un nouveau tournant historique pour la fiscalité luxembourgeoise. Le système fiscal allemand est en effet imposé au Grand-Duché à partir du 1er janvier 1941 et sera maintenu après la Libération, par l’arrêté grand-ducal du 26 octobre 1944. Toutes les dispositions discriminatoires antisémites seront naturellement annulées. 

L’adoption de ce nouveau régime représente une révolution sur le plan fiscal mais aussi économique et social au Luxembourg. Ce nouvel impôt est «censé faire des cotisations sociales des outils de redistribution et de solidarité dans le cadre du Welfare State: des riches vers les pauvres, des actifs vers les non-actifs, des non-malades aux malades, des jeunes aux personnes âgées», explique Denis Scuto dans sa publication. 

En 1967, l’impôt sur le revenu des personnes physiques varie d’un taux de 0%, pour la tranche de revenu inférieure à 26.400 francs annuel, à 12% pour la tranche entre 26.400 et 36.000 francs, et jusqu’à 57% pour les revenus annuels dépassant 504.000 francs. Les ménages sont également répartis en trois classes distinctes: les célibataires, les personnes mariées sans enfants à charge et les personnes de plus de 65 ans, et les personnes mariées, veuves ou divorcées avec des enfants à charge. Concernant l’impôt sur les collectivités, il est fixé entre 20 et 40% en fonction du revenu imposable.

Une histoire qui reste à écrire

Il faudra attendre les années 1980 pour voir la charge des impôts directs diminuer progressivement au Grand-Duché. Ainsi, pour la tranche la plus haute (plus de 200.000 euros de revenus annuels), le taux est passé de 57% en 1967 à 42% en 2021 et, pour la tranche inférieure imposable (11.265-13.137 euros), de 12 à 8%. La TVA, apparue en 1970, a quant à elle augmenté, passant de 8 à 17% aujourd’hui. 

L’impôt sur les sociétés a lui aussi fortement baissé depuis le milieu des années 60, passant d’un maximum de 40% en 1967 à 17% aujourd’hui. L’impôt communal est néanmoins venu s’ajouter à ce chiffre, portant le taux d’imposition des sociétés à près de 25%. Enfin, à partir des années 2000, dans le cadre de l’éclosion de la place financière, le taux de la retenue d’impôt sur les capitaux qui s’applique sur les dividendes est passé de 25 à 15%. «Cette histoire intéressante et importante de l’impôt et de la politique fiscale dans la longue durée reste encore largement à écrire au Luxembourg.

Et les réformes fiscales que le gouvernement annonce depuis belle lurette – sans jusqu’à présent passer à l’acte – mériteront, elles aussi, d’être analysées à la lumière de cette histoire où s’entremêlent des notions économiques, sociales, juridiques, politiques, philosophiques, idéologiques, une histoire de redistribution ou de distribution changeante des conditions de revenu et de fortune», conclut Denis Scuto.

Cet article a été rédigé pour , paru le 16 décembre avec

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