Serge Wilmes et Corinne Pommerell expliquent les projets à venir en terme de développement de la Ville de Luxembourg dans l’optique de devenir une «smart city». (Photo: Romain Gamba / archives Maison Moderne)

Serge Wilmes et Corinne Pommerell expliquent les projets à venir en terme de développement de la Ville de Luxembourg dans l’optique de devenir une «smart city». (Photo: Romain Gamba / archives Maison Moderne)

La Ville de Luxembourg s’est donné comme ambition, il y a déjà plusieurs années, d’être une smart city. Où en est-elle dans son projet? Quelles sont les étapes accomplies et celles à franchir? Serge Wilmes, premier échevin et en charge de la smart city, et Corinne Pommerell, chef de service TIC, répondent à nos questions.

La Ville de Luxembourg est engagée depuis plus de 20 ans dans le processus de devenir une smart city. Où en est-elle aujourd’hui?

(S. W.). – «Il faut faire une différence entre le processus et la stratégie. Avant le collège échevinal actuellement en place, plusieurs projets relevant du développement d’une smart city ont été réalisés. Mais jusqu’à ce jour, nous ne disposions pas encore de véritable stratégie. C’est pourquoi le conseil échevinal actuellement en place a pris la décision de doter la Ville de Luxembourg d’une stratégie relative à la smart city.

Pouvez-vous nous citer quelques exemples de projets réalisés jusqu’à présent et qui répondent au concept de smart city?

S. W. «Il y a, par exemple, la transmission des données en temps réel pour le Service des bus ou la nouvelle Cityapp, qui donne accès à un vaste ensemble d’informations et permet une interaction avec les citoyens grâce à la rubrique Report.

Corinne Pommerell (C. P.). – «Au niveau infra­structure, qui est la base de toute smart city, nous disposons d’un réseau wifi gratuit depuis 2007. La Ville possède par ailleurs son propre réseau de fibre optique depuis 2010, ce qui permet à tous les services de la Ville de concevoir des applications avec beaucoup de données en s’appuyant sur cette infrastructure.

S. W. «On peut encore citer, dans les anciens projets, l’offre de téléalarme pour les seniors qui est opérationnelle depuis la fin des années 1980, ou encore le park light system, un système de guidage des parkings qui décompte et affiche en temps réel le nombre de places disponibles.

En quoi consiste alors cette stratégie que la Ville de Luxembourg a choisi de mettre en place?

S. W. «Nous devons effectivement définir un fil rouge et des objectifs clairement définis, tout comme une méthodologie et des procédures à mettre en place, sans oublier les investissements nécessaires pour atteindre ces objectifs, que ce soit en matière d’infrastructure ou de formation, par exemple. C’est pourquoi nous avons décidé de nous doter d’une stratégie propre à Luxembourg, en prenant en considération les besoins spécifiques liés à son histoire, son territoire, sa situation politique, économique…

Comment cette stratégie est-elle élaborée?

S. W. «Depuis septembre 2020, nous avons dressé un état des lieux des projets qui existent ou qui sont en cours de conception. Ce travail interne est maintenant sur le point de s’achever, et nous pouvons élaborer une feuille de route qui réponde aux besoins actuels et futurs de nos concitoyens, mais aussi de ceux qui travaillent ou visitent Luxembourg, tout ceci dans l’objectif de maintenir et améliorer la qualité de vie à Luxembourg. C’est donc une stratégie qui a un objectif centré sur l’humain. Pour nous aider dans ce travail, nous avons fait appel à un consultant externe, Pierre Mangers, de la société ­Manghini. Avec l’aide du service TIC de la Ville, il a mené une série d’interviews au sein de tous nos services afin d’identifier et de classer les projets réalisés et en cours pouvant relever d’une démarche smart. À ce jour, 70 projets ont été identifiés.

C. P. «Ces projets ont également été analysés selon leur rapport coût/efficience. À partir de ces analyses, un diagramme peut être élaboré et permet de voir quels sont les projets qui apportent le plus aux usagers. Il est ainsi plus aisé de déterminer les projets qui doivent devenir prioritaires.

S. W. «Actuellement, nous sommes au stade de la finalisation de ce rapport. Il sera par la suite présenté au collège échevinal, qui pourra alors décider de la stratégie à mettre en œuvre.

Est-ce que cette approche s’inscrit dans une méthodologie existante?

S. W. «La méthodologie choisie par M. ­Mangers est celle du cabinet de consultance international Roland Berger, qui a mis en place le classement Smart City Index. Luxembourg n’est pas encore présente dans cet index car, pour y figurer, il faut disposer d’une stratégie. Actuellement, Vienne, Londres et Saint-Albert, au Canada, dominent le classement établi en 2019 avec respectivement un score de 74, 73 et 72 points sur 100. À titre de comparaison et d’indication, Pierre ­Mangers a appliqué cette méthodologie de classement à la situation actuelle à Luxembourg, et nous obtenons un score de 31/100. Nous avons donc une belle marge de progression devant nous. En effet, si nous parvenons à mettre en œuvre notre stratégie et les projets identifiés comme prioritaires, alors il est possible que Luxembourg obtienne au moins 46 points dans le classement des smart cities. Ce n’est évidemment pas une fin en soi d’être dans ce classement, mais cela permet de pouvoir se situer par rapport aux autres villes et de mesurer notre évolution.

Les points forts sont l’infrastructure, la mobilité, l’énergie et l’environnement.
Corinne Pommerell

Corinne PommerellChef de service TICVille de Luxembourg

Que nous manque-t-il en priorité pour obtenir ce meilleur score?

S. W. «Ce qui nous manque surtout, c’est ce document de stratégie et une véritable planification. Il est intéressant de noter que sur les 153 villes évaluées dans cet index, 15 villes sont dotées d’objectifs, mais seulement 8 ont un plan d’action. Évidemment, la Ville de Vienne dispose d’un plan d’action. Cela montre bien que, pour être une smart city performante, il faut non seulement avoir une stratégie et des objectifs, mais il faut ­aussi se donner les moyens de correctement les mettre en place, de les coordonner, de les évaluer à travers un plan d’action.

Quels sont les points forts et les points faibles qui ressortent de cette analyse des projets?

C. P. «Les points forts sont l’infrastructure, la mobilité, l’énergie et l’environnement.

S. W. «Les points faibles portent sur la planification, la coordination et la budgétisation de ces projets. Nous avons besoin, par ailleurs, d’une gouvernance de coordination transversale pour réaliser les objectifs. Actuellement, cette instance transversale est le collège échevinal, mais nous devons bien réfléchir à comment mettre en place cette stratégie transversale.

Cela signifie-t-il que la création d’un nouvel organe transversal serait nécessaire?

S. W. «Je ne peux pas vous répondre, c’est une question politique et d’organigramme. Mais cela fait bien partie des défis à relever, et c’est un point à clarifier par le collège.

Concernant le budget, savez-vous quelle peut être l’enveloppe allouée à cette stratégie et sa mise en place?

S. W. «Peu de projets inventoriés dépassent le million d’euros, ce qui signifie que plusieurs projets vont pouvoir être réalisés avec un investissement raisonnable. Il y a bien sûr des projets de plus grande envergure qui nécessiteront plus de moyens, comme le digital lighting system, qui consiste à équiper tous les lampadaires de capteurs qui peuvent aussi bien réguler l’éclairage public que renseigner sur la pollution de l’air…

Pouvez-vous nous donner quelques autres exemples de projets?

S. W. «Le cadastre commercial fait partie de cette démarche, ainsi que la participation citoyenne interactive, ou l’idée de proposer un acte digital d’état civil certifié conforme. Nous souhaiterions aussi installer des capteurs dans les conteneurs de recyclage qui informent du taux de remplissage.

C. P. «Grâce à notre infrastructure de base, nous pouvons facilement connecter différents types de capteurs qui répondent à différents besoins.

Si on compare Luxembourg à des villes comme Metz, Trèves ou Nancy, nous restons largement en avance.
Serge Wilmes

Serge WilmesPremier échevinVille de Luxembourg

Quelle pourrait être l’échéance de la mise en place de ces projets?

S. W. «Il serait bien de pouvoir le faire dans les cinq prochaines années. Cela dépend aussi des prérequis. Il y aura bien sûr des quick wins qui pourront être plus facilement mis en place que d’autres projets de plus grande envergure.

Luxembourg est-elle en retard par rapport à ses voisins sur la question de la smart city?

S. W. «Si on compare Luxembourg à des villes comme Metz, Trèves ou Nancy, nous restons largement en avance, notamment grâce à l’infrastructure dont nous disposons, mais ­aussi grâce à des projets concrets, comme notre nouvelle app, le projet pilote des shuttles autonomes ou encore le virtual reality tour dans le Pfaffenthal… Mais si on se compare à d’autres capitales européennes, tout en sachant qu’il faut comparer ce qui est comparable, nous accu­sons en effet un certain retard, non pas parce que nous n’avons pas les moyens ou la capacité, mais parce que nous ne nous sommes pas donné de stratégie jusqu’à présent.

Et concernant les données qui sont inhérentes à toute smart city, comment la Ville gère-t-elle ce point?

S. W. «Le département juridique est bien évidemment impliqué dans cette question, car nous devons être conformes à la législation sur la protection des données. Notre DPO (data protection officer, ndlr) nous accompagne également dans l’élaboration de la stratégie.

C. P. «En parallèle du travail d’inventaire des projets, nous avons commencé, au sein du service TIC, à nous intéresser aux data lakes, à regarder les différentes technologies et à voir comment les mettre en œuvre. Sur l’année 2020, nous avons fait quelques PoC (proofs of concept, ndlr) pour appréhender la technologie. Prochainement, avec un des projets qui ont été identifiés comme prioritaires, nous allons élaborer la mise en place d’un premier data lake. Nous aurons ainsi l’infrastructure, la structure et les données nécessaires pour créer des corrélations, faire des analyses… C’est une démarche que nous avons entamée il y a presque deux ans, en projet interne, pour avoir la compréhension du sujet et être prêts pour une mise en œuvre concrète.

Travaillez-vous également sur la question du cloud?

C. P. «Effectivement, c’est aussi un sujet sur lequel nous travaillons. De plus en plus de solutions sont proposées dans le cloud et, avec le DPO, nous élaborons une stratégie qui va être présentée au collège échevinal pour avoir une guidance claire sur la gestion de nos données.

Et qu’en est-il de l’open data?

C. P. «Cela fait plusieurs années que nous travaillons avec de l’open data. Actuellement, nous la mettons à disposition sur la plateforme du gouvernement mais, avec le data lake et les autres réflexions sur les projets, cet outil devra éventuellement être reconsidéré, et nous étudierons si l’option de disposer d’une plateforme propre à la Ville de Luxembourg peut être intéressante.»

S. W. «Il est intéressant de noter qu’en se dotant d’une stratégie, la collaboration avec d’autres acteurs, comme le gouvernement, mais aussi le secteur privé ou les instituts de recherche, va être facilitée. Je pense notamment au Luxembourg-City Incubator qui, avec ses nombreuses start-up, peut nous aider à trouver des solutions aux besoins définis par la stratégie.»

Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de  qui est parue le 25 février 2021.

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